La Nouvelle-Amazonie
par Patrick De Meerleer
Notre futur est-il en Nouvelle-Amazonie ?
Patrick De Meerleer est votre guide au pays des Nouvelles-Amazones. On en ignore l’emprise spatiale, mais son nom se réfère à la mythologie grecque. Celle-ci évoque la vie de femmes guerrières qui, pour tirer plus facilement à l’arc, optaient pour une radicale ablation du sein droit.
L’histoire extraordinaire que nous conte l’auteur est celle d’une nation du futur placée sous l’autorité des femmes. Son chef d'État est une reine qui a pour nom Opposa II.
Dès les premières pages, le livre montre une humanité revenue à l'état de nature, mais civilisé, «dans lequel les hommes se trouvent en tant qu'hommes et non pas en tant que membres d'une société » selon John Locke. La souveraine conduit une sorte de monarchie éclairée.
Nous sommes en l'an 46 PS. Serait-ce le post-scriptum, après la fin des Écritures ?L’auteur nous invite à porter notre regard de journée en journée sur la vie de ce monde. Si le passé semble presque effacé, ce n’est pas une raison pour ne plus en parler, semblent penser certains personnages, euh, pardon : certains Néoamazoniens… Leurs noms multiples déroutent parfois la lecture, ce qui contribue toutefois à illustrer la singularité de ce nouveau monde où nous sommes censés exister bientôt.
Le mystère persiste : s'est-il passé quelque chose de grave ? Serait-ce pour cela que « les hommes se sont laissé dominer par les femmes. »
Une fiction collapsologique ?
Effondrement de l'économie de marché et faillite du système bancaire sont-ils des causes ou des conséquences ? Le tableau que brosse Patrick De Meerleer pour ses lecteurs se signale comme une fresque sociologique du Grand Après.
On se souvient de l’époque où les humains s’étaient vus confisquer le monopole du temps : « Il y a un siècle [...] l'Europe changeait son heure tous les six mois, » déplorent ceux qui en 46PS vivent selon les saisons.
La société néoamazonienne paraît peu différente de celle qui l’a précédée. Le soi-disant progrès social et politique semble se poursuivre, contrairement à l'évolution technologique arrêtée net.
Les satellites sont tombés du ciel et avec eux la formidable accumulation de mémoire numérisée.
« Les hommes se sont entre-tués pour survivre à la pollution, à l'appauvrissement des ressources, » commente un narrateur. On note une phrase qui n'a rien d'insignifiant: « De grands espoirs avaient encouragé la jeunesse à la Révolution écologique ».
Le visage de la nouvelle humanité se dessine.
Lors d’une récente rencontre l’auteur laissait au lecteur le soin de qualifier son ouvrage d’utopie ou de dystopie. Pour certains, l’histoire de la Nouvelle-Amazonie sera la préfiguration heureuse d’une réalité à venir. Ce sera une eutopie, un lieu heureux, en opposition à l’utopie qui serait le résultat d’un effort consistant à imaginer un lieu inexistant.
L’auteur n’est pas prophète, mais auteur
Familier de la chose agricole, l’auteur cultive visiblement un amour des arbres et des chevaux, les mérens particulièrement. Les nombreuses références à la nature, au végétal et à l’agriculture dessinent les contours philosophiques et politiques du nouvel être ensemble sur Terre. Celui-ci rend obsolète le mot d’écologie, créé pour dissimuler une crise. L’équilibre étant rétabli, ce terme a perdu tout sens pratique.
Patrick De Meerleer a vaillamment résisté à la tentation des jeux prophétiques et technologiques qui se proposent inévitablement à tout celui qui interroge l’avenir et se charge d’imaginer sous quel régime politique, économique et social notre humanité vivra dans cent ans ou plus. Il a concentré ses efforts sur ce qui est encore plus important, à savoir les relations humaines.
Mise en récit d’un nouveau monde
L’auteur est parvenu à tenir la matière et le ton de sa narration éloignés des sentiers battus du roman pré-néo-amazonien. Il lui fallait une langue, un souffle, un vocabulaire, une narration, et jusqu’à un type de ponctuation néoamazonienne. Son intention romanesque lui commandait de se démarquer des conventions du genre. Mission accomplie !
Des exemples ?
Les dialogues ne sont introduits ni par des guillemets ni par des cadratins. Le rythme plutôt constant de sa narration produit des voix et des sonorités inédites. Parmi ses autres qualités romanesques, ce récit trouve sa valeur dans une étrangeté littéraire qui est proprement nouvelle et donc personnelle.
Une nouvelle place pour l’individu
Les vingt-neuf personnages auxquels notre romancier a donné le jour forment donc, en plein et en délié, la réalisation par l’écrit d’une toute nouvelle société. Et c’est ce que peut la littérature.
La carte de sa Nouvelle-Amazonie forme un palpitant essai de préfiguration réelle ou inversée de ce qui pourrait advenir, induit par ce que nous sommes aujourd’hui.
Pierre-Jean Brassac
Patrick De Meerleer, La Nouvelle-Amazonie, Éditions Lazare et Capucine,
240 pages, 16 €

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