Vendange amère
par Muriel Carchon.
Dans ces Pyrénées-Orientales où il fait bon vivre, entre Saint-Cyprien, Collioure et Banyuls, Anaïs a trouvé la mort.
Le trouble règne. À qui ou à quoi ce malheur est-il dû ?
Rodrigue, le frère de la jeune femme, dit avoir trouvé sa sœur, morte dans une vigne. Il suppose qu’elle a glissé et que, blessée à la tempe, la chute a été mortelle. Joseph Malville, le père de Rodrigue et d’Anaïs, n’est pas du tout de cet avis. Il enrage et hurle : « Tu l’as tuée. Et tu crois que je ne vais rien faire ? »
Une autopsie devra avoir lieu.
Dès lors un entrelacs de présomptions, d’intimes convictions et de témoignages se fait jour. La situation se corse, les positions se durcissent.Rodrigue Melville se voit accusé par un proche d’avoir tué sa sœur et d’avoir maquillé son crime en accident.
Muriel Carchon sait faire parler ses personnages. Qu’ils aient peu ou beaucoup à dire, ils parleront parce que tel est l’enjeu de ce roman policier dont le texte repose avant tout sur la fluidité des échanges – et parfois des flux de conscience qui révèlent les préoccupations intimes des personnages. L’abondance des dialogues électrise l’action.
Comme la langue souple et le style direct du récit, ces choix font partie du vaste outillage littéraire de l’auteure ; elle entend jeter ici un éclairage cru pour faire émerger le réel dans la nudité d’une objectivation des faits, tout en jouant bien sûr avec les nerfs de tout le monde.
Quand on lit un roman policier, il est intéressant de se demander quel film il serait si au lieu d’être allé chez le libraire on était au cinéma. Cette Vendange amère, serait par exemple celle de Jean Becker, volontiers cinéaste de la province des braves gens. Même quand ils ne sont pas tous et pas toujours braves.
Et justement, en matière de bravitude l’enquêteur a fort à faire tout au long de ce récit dans lequel l’amertume dénote une tout autre origine que le cépage récolté.
L’auteure s’en tient à l’essentiel et fait en sorte que le drame suive son cours, tant du point de vue des protagonistes que de celui de ses lecteurs.
Muriel Carchon procède souvent par scènes et tableaux où les personnages sont maîtres de leur espace, ce qui conforte encore la prééminence du visuel dans son art narratif. Étant donné ce sens de l’image dramatique chez l’auteure, mentionner le caractère filmique du récit n’a au fond rien d’aberrant.
On sent l’auteure préoccupée de la nature des liens familiaux de ses personnages. C’est que l’on ne connaît pas bien la véritable origine de tous. Peu à peu, la personnalité de la défunte Anaïs se dessine. La gendarmerie remplira son office.
Culturellement parlant, et s’agissant de l’enracinement de ses personnages, ce roman entonne un chant choral de la diversité.
Culture vigneronne, culture catalane et culture gitane… Ce coin de France atteint une épaisseur et une polychromie qui le singularisent à jamais. Et, pour emprunter à la terminologie vinicole, constatons qu’il se distingue par une typicité bien à lui — typicité que l’auteure dépeint non pas comme un exotisme mais comme une vérité intrinsèque vécue au plus profond de l’être de chaque personnage. La conception gitane de la suprématie des liens familiaux traverse le récit. La catalanité s’y épanouit à grands traits de vignobles et de côté vermeille.

Agrandissement : Illustration 1

On dévale ce roman avec l’attention d’un promeneur qui, regardant passer un torrent, découvre qu’aucun appui fixe ne se propose à son regard, tant sont variées les formes tumultueuses du flot vers l’aval.
Il faudra attendre que son courant encore turbide atteigne la plaine, que ses eaux enfin calmes révèlent leur vraie couleur. Les personnages de Vendange amère ne sont pas différents : la fin du roman de Muriel Carchon vous les montrera tous dans leur limpidité, toute honte bue et tout secret de famille décanté.
Pierre-Jean Brassac,
septembre 2023 Muriel Carchon, Vendange amère, Noir Austral, T.D.O. Editions, 223 pp., 15 €