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Billet de blog 10 janvier 2024

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CRIMES A PAU - SIX PETITS PALOIS

Une narration robuste et légère à la fois, véritable tournepage...

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Illustration 1

CRIMES À PAU

SIX PETITS PALOIS

Par Yves Carchon

Voici un roman policier qui renoue avec le meilleur du genre dans son registre classique, avec tout ce que cela comporte de minutie, de savoir-faire, de culture littéraire et de maestria. Le lecteur comprendra au fil du récit à qui se réfère l’auteur tout en jouant sur deux tableaux, l’ancien et le moderne. Car ce roman est bien d’aujourd’hui, quoiqu’il puise aux sources limpides du thriller à énigme made in Britain.

L’emploi ludique des noms de personnages par Yves Carchon est censé nous mettre sur la voie de ce qu’il ne nommera pas. Tel le patronyme du personnage d’Hippolyte Lasperge, dont le nom à consonance de plante potagère nous rappelle évidemment un sien confrère de même racine. Le premier apparaît dans les écrits d’Amanda Pristil, dame du crime chez Yves Carchon ; le second honore de sa perspicace bonhommie nombre de romans de devinez qui. Après tout, la Mort sur l’Adour peut s’avérer tout aussi reposante que celle sur le Nil. Quant à Bourg et Guignon, ils valent à eux deux un seul supergendarme. Comprenne qui pourra.

Le verbe de Carchon élégant et enjoué sert une narration robuste et légère à la fois, véritable tournepage, à l’oubli du papier noirci qui subitement, par la magie de la littérature, fait place aux somptueux décors un peu surannés de l’hôtel Beauséjour à Pau et aux mines effarées, patibulaires ou ingénues des protagonistes.

N’hésitons pas à qualifier ce livre de remarquable architecture romanesque. Sa construction, au fil des pages, du gros œuvre à la livraison, se révèle tout aussi réussie.

Le retour de Fragoni

 L’auteur a bien sûr dépêché son fidèle Fragoni[i] pour enquêter. Quand il le faut, celui-ci adopte le rôle et la posture de garde-corps. Car l’écrivaine Amanda Pristil doit faire face à une série de menaces émanant d’un entourage qu’elle semblait avoir perdu de vue. Le passé la rattrape.

Sans ces inconvénients l’ambiance palace cinq étoiles de luxe du Beauséjour serait hautement délectable. Sans ces crimes à répétition, sûr que le bonheur règnerait sur la galerie de personnages hauts en couleur convoqués par l’auteur. Dès le début, le portrait qu’il nous brosse d’un colonel en rupture de régiment ne manque pas de panache. Et ce couple, les Lafouillade, qui « semblaient vivre comme si la terre entière était à leur service. »

On est en 1965 à Pau. La police roule en Simca 1000. L’action se déroule presque en huis-clos à l’hôtel Beauséjour — de renommée littéraire puisque Agatha Christie elle-même y séjourna — et brièvement à Bordeaux.

Le titre intrigue. Il n’inclut pas tous les personnages présents dans le roman. Presque tous vont à travers le monde avec des antécédents souvent problématiques. Pour ne rien dire d’une suspicion d’union consanguine. Il y aura bien plus grave…

Missel mi-raisin

Plusieurs protagonistes écrivent, publient ou affectionnent la lecture. On le verra, d’autres meurent avec un livre posé sur l’abdomen. N’étant pas des gisants, il ne s’agit pas de leur missel.

Quand Fragoni se voit attribué la chambre jaune de l’hôtel, on se dit que les signes vont pleuvoir et qu’il convient de rester vigilants.  Malgré ses précautions, Fragoni qui se prétend agent de change, est vite démasqué par une beauté du lieu.

Lors du court déplacement à Bordeaux, notre enquêteur s’efforce de comprendre le génie des lieux « de s’en, imprégner afin d’en mieux saisir l’essence. » Ainsi s’était-il toujours comporté dans ses enquêtes.

On assiste alors à un emballement de l’action et des tempéraments. Des coups se distribuent comme s’il en pleuvait. Certains mortels. L’ombre de la célèbre écrivaine Amanda Pristil plane au-dessus de la très hétérogène compagnie des pensionnaires de l’hôtel, dont justement les Six Petits Palois, bien avant que le wokisme ne statue et sévisse sur l’énoncé forcément « discriminatoire » de toute origine.

Fragoni rencontrera l’écrivaine et voudra savoir pour quelle raison elle a disparu autrefois pendant douze jours ; il pressent que la raison de sa fugue pourrait fournir une clé utile pour son enquête.

On verra comment une réunion de dernière heure donnera tout son sens au titre de l’ouvrage. La magistrale scène finale ne requiert pas moins de vingt-sept pages pour une étourdissante mise en abyme. Et quelles pages ! Fragoni y déroule « sa longue et édifiante démonstration » sous l’œil sidéré des six petits Palois.

Et si toute cette histoire longue de trois générations n’était pas celle du crime ordinaire, mais au fond l’une de ces histoires d’amour dont le tragique tue inévitablement selon un enchaînement a priori impensable ?

Pierre-Jean Brassac 

Yves Carchon, Crimes à Pau. Six petits Palois, Le geste noir, La Geste, 211 pages, 13,90 €

[i] Les vieux démons, Deborah Worse, aux éditions Cairn.

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