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Billet de blog 10 juin 2022

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LETTRES... ET LE NEANT

Dans ces Lettres… et le néant, la vie quotidienne des protagonistes et l’intrigue débordent de l’enquête, l’inondent, la psychologisent

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Lettres… et le néant, par Patrick Caujolle

L’auteur Patrick Caujolle a passé une grande partie de sa carrière dans la Police Judiciaire. Son nouveau roman appartient, pourrait-on dire, à la catégorie des écrits de la corporation. Mais pas seulement.

Dans son précédent ouvrage (Le mort est dans le pré), la foultitude de détails pratiques décrivant les méandres de la procédure faisait plus vraie que vraie.

Illustration 1

 — la rendait plus romanesque.

Le lecteur n’a plus qu’à tendre l’oreille aux dires d’un narrateur qui se lève tôt et qui aime le rugby, le capitaine Gérard Bastide. Dans son histoire, on en veut à la police et à la justice. La première victime est un commissaire divisionnaire à la retraite ; la seconde sera un magistrat.

De conjecture en fausse route, l’affaire change d’orientation. Il faut accepter d’abandonner une affriolante série d’hypothèses lentement tissées d’indices péniblement arrachés aux dissimulations et à la perversité. Des éléments qui, hier encore, paraissaient fort utiles, à quelques coudées de la résolution, procèdent tout à coup d’un improbable fourvoiement.

Alors, nous dit Bastide : « On ferme les volets, on ferme des portes et brusquement, si tout s’obscurcit d’un côté, tout s’éclaire de l’autre. » C’est exactement ce qui arrive au lecteur lorsque le narrateur constate que « Certes la lumière ne pénètre encore que par le trou de la serrure, mais on sent qu’elle est vraie ».

Le savoir-faire de la police scientifique n’est pas absent de l’investigation, qui finit par s’appuyer sur un usage original de l’analyse ADN. Les indices et les preuves s’avèrent minimalistes, invisibles presque.

Bastide et son équipe découvriront que la solution qu’ils recherchent depuis le début ne tient qu’à un fil extrêmement ténu. Une heureuse démonstration métaphorique qui prouve que la vérité aime à se dissimuler dans l’infime, le quasi-microscopique, l’insignifiant.

Finalement, ce n’est pas la dimension, la taille, la quantité qui y conduit, mais sa nature et sa relation avec l’existence et les mobiles du ou des coupables. Cette logique, le narrateur l’exploite avec une sagacité telle que la conclusion du roman, se voit plusieurs fois savamment différée avec une belle maîtrise dramaturgique qui fera faire au lecteur un bond hors de France.

 Le capitaine narrateur, forme vite un bloc massif d’authenticité que l’on adopte et suit en confiance. Sa vie de policier tourne autour du commissariat de l’Embouchure, à Toulouse. Il n’a « jamais été doué pour le bonheur. Un mariage raté, un divorce réussi en ont été les derniers stigmates. […] Un boulot phagocyte.

Lorsque paraît un nouveau visage, plus jeune que les autres et passé par la Libye, on vérifiera que l’optimisme n’est pas la règle chez les personnages de ce roman. Trop de rencontres intimes avec le malheur, trop de tragique, de cruauté, et de violence gratuite…

Le lecteur aura tout loisir de disserter sur nombre de fructueuses réflexions ayant trait au métier de policier, dans des tonalités voisines de Grandeur & Servitude.

Faute de pistes plausibles ou d’indices valables, l’enquête se met à patiner : « Si un trop-plein de pistes éparpille, la disette ankylose, » commente l’homme de l’Embouchure.

 Le vide apparent ouvre une fenêtre sur l’existence du policier, ses contraintes, ses exercices d’auto-persuasion, sa compassion parfois, malgré la fréquentation quotidienne du malheur, de la déshérence auxquels il ne semble guère s’habituer. Une immense fatigue s’empare des uns et des autres ; jeunes et moins jeunes ont « le regard anesthésié ».

 Le lecteur tire avantage jusqu’à la fin de la bonne introduction du roman, tranquille et rétrospective. Il se sentira installé d’emblée sur un pied d’égalité avec les chargés d’enquête.

Puis un nouveau rythme semble indiquer que les choses vont changer. On lâche la bonde aux émotions : le narrateur s’attache à les transmettre.

Alors que le précédent roman de Patrick Caujolle brillait plutôt par sa précision procédurale, celui-ci nous surprend de surcroît par ses qualités littéraires. Ajoutez à cela un certain don de la formule : « Pion parmi les pions, je me suis un jour résolu à sacrifier la dame… » Et vous avez un gambit parfaitement réussi.

L’auteur obtient ici un brevet de maturité stylistique cum laude. Ses prochains romans ne peuvent qu’en bénéficier. Pour paraphraser et contredire audacieusement Sartre auquel le titre du roman fait allusion, on dira que « l’homme est une passion bien utile » : pour l’auteur comme pour le lecteur de romans noirs en tout cas.

Pierre-Jean Brassac

Patrick Caujolle, Lettres… et le néant, Du Noir au Sud, Éditions Cairn, 268 page, 10,50 €

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