Mille ans plus loin
par Nicole Chappe
Avec son recueil intitulé Mille ans plus loin, Nicole Chappe nous met, avec beaucoup d’esprit, face à l’inexorable quotidienneté que nous subissons tous à des degrés et sous des formes variables. Elle pique notre curiosité quand nous découvrons que son livre constitue une réponse, à mille ans de distance, à Sei Shônagon. Cette dame de compagnie à la cour de l’empereur du Japon, rédigea jadis ses fameuses Notes de chevet. Celles-ci forment une représentation du monde où elle vécut et qui, pour être éloigné « dans le temps et dans l’espace, » ainsi que le souligne Nicole Chappe, n’en est pas moins une sorte de miroir du nôtre.
Cet ouvrage, étonnant à plus d’un titre, propose une éloquente mise en relief des émotions humaines que suscite la vie en société. Un inventaire fouillé des affects, pourrait-on dire : un nuancier des sentiments, entre l’amour et la détestation des heures et des jours. On trouvera là nombre d’éléments et de notions d’une philosophie de la vie quotidienne. Le lecteur passe ainsi en revue les petits moyens d’être heureux au fil d’une stimulante réflexion sur la vie de tous les jours et notre attitude face à elle.
Nicole Chappe a structuré ses propres Notes en quatre chapitres ; elle les a ordonnés selon ce qu’elle nomme des choses : Choses les plus belles du monde, Choses élégantes, Choses qui inspirent confiance, Choses qui rendent heureux, Choses vénérables et précieuses. Ce faisant, elle n’omet pas d’en indiquer le pourquoi. Pourquoi celles-ci sont tour à tour belles, élégantes ou vénérables et précieuses.
La lecture de ces lignes fait penser au gai savoir du livre d’Adèle van Reeth, La vie ordinaire (Gallimard, 2020). La philosophe y établit avec le quotidien un pacte de non-agression. Elle observe que les problèmes n’y sont jamais graves. À la suite de Montaigne, elle nous parle d’épines domestiques qu’elle juge fourbes car imprévisibles, continuelles et inévitables.
Un premier chapitre d’Impressions positives, de la page 11 à la page 35, et un deuxième de la page 39 à la page 72, dédié aux Impressions négatives. Viennent ensuite un troisième chapitre consacré aux Impressions de naturel (p. 77 à 100), puis un dernier jusqu’à la page 129, qui traite des Impressions d’artificiel.
Une morale au sens le plus positif du terme y est amplement déployée au fil des appréciations que porte l’auteure sur ses expériences vécues et ce qu’elle imagine. Des successions volontairement insolites énumèrent des choses que les gens ignorent le plus fréquemment, telles que « la misère du monde » et « l’orthographe de plus en plus ».
Le texte ne repose pas uniquement sur des assertions, ni des constats, il comporte aussi des impressions et des questions, comme « serions-nous incohérents quand nous donnons de l’argent pour des causes lointaines alors que nous ignorons notre voisin qui se trouve dans la misère ? »
L’auteure ne craint pas de se dévoiler. De page en page elle se révèle à travers le sens, l’orientation et le bien-fondé de ses réactions. On appréciera sa délicatesse, sa discrétion et la limpidité de ses conclusions.
À la suite de Nicole Chappe, le lecteur sera saisi d’effroi par la rubrique « Choses excessivement effrayantes ». S’il n’y avait que ce renard dans le poulailler…
Grâce à ce recueil de pensées, chacun sait maintenant quoi offrir à l’auteure : des fleurs peut-être, mais avec plus de chance de plaire, des produits issus de la fève de cacao. Ne dit-elle pas, sous la rubrique ‘Choses déplaisantes’ que lorsqu’elle s’apprête à manger du chocolat et qu’il n’en reste plus, [elle est] soudain de fort méchante humeur.
Évitons cela et rangeons son remarquable ouvrage, ce Mille ans plus loin, parmi les choses excessivement plaisantes.
Pierre-Jean Brassac
Nicole Chappe, Mille ans plus loin. 5 Sens éditions, Genève, 2017, 129 pp.