Dans la prison de Socrate
Le roman historique de Christian Pastre éclaire d’un jour captivant la personnalité du philosophe.
Faire revivre ce géant de l’histoire de la philosophie, qui n’a pas laissé d’écrits, que l’on connaît surtout à travers l’apologie de Platon et les relations de quelques autres auteurs, le projet était ambitieux. Christian Pastre fait preuve d’un savoir-faire accompli, tandis que sa détermination et son attachement intellectuel à la philosophie et au personnage de Socrate lui permettent d’éviter les écueils du genre. Car la voie est étroite à qui se lance dans une telle composition biographique.
Écrit dans une langue, élégante, aussi épurée que sobre et précise, presque grecque par mimétisme et fréquentation prolongée, ses dialogues rappellent sans cesse par leur ton et leur construction, ceux de Platon et de certains sophistes. Historien, l’auteur est aussi un narrateur efficace. Le rythme maîtrisé, de son récit dépassionné mais passionnant, nous fait remonter sans peine les quelque vingt-cinq siècles nous séparant du philosophe athénien qui fut aussi mari, père, sculpteur et hoplite.
Lecteurs de Dans la prison de Socrate, nous découvrons la personne privée de Socrate, ainsi qu’une profusion de détails, tour à tout savoureux et édifiants, sur sa vie quotidienne et son entourage — détails que Christian Pastre a collectés avec sagacité chez des auteurs classiques et modernes.
Nous voyons Socrate veuf, en proie au dilemme du remariage. Nous l’entendons alors raisonner en toute logique. Sa philosophie appliquée est une hygiène de pensée ; elle le conduit à prendre la décision bonne et juste qui importe.
Dans ce roman, les scènes de bataille sont d’une troublante véracité. Montrer Socrate à la guerre, continue de témoigner d’une saine audace littéraire ; ce faisant l’auteur nous renseigne avec minutie et fait mouche.
Pastre nous guide dans une Athènes fascinée par le verbe « où le goût de la philosophie s’exprime sur les places publiques comme dans les maisons de la bonne société ». On pourrait voir en cela les sources d’une tradition grecque millénaire qui se perpétue de nos jours dans le goût des Grecs modernes pour la poésie.
La scène émouvante des dernières heures de Socrate, criante de réalisme, est empreinte d’une très juste gravité philosophique. Elle enrichit l’ouvrage d’une conclusion à la hauteur du personnage.
À la question rituelle de ce « que peut la fiction, pour l’histoire ? », le roman historique de Christian Pastre fournit une réponse sans équivoque. Il s’agit bien d’émettre des hypothèses très documentées, puis construites à grand renfort d’intuitions telles, qu’elles s’approchent au plus près de l’exacte vérité historique que nul ne connaîtra jamais.
Pierre-Jean Brassac
Dans la prison de Socrate, éditions Tautem, 2017,
158 pages,
ISBN : 979-10-97230-06-7