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Billet de blog 15 mars 2020

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LA JEUNE FILLE ET LE FLEUVE

DE LA PUISSANCE D'EMULATION DES AMITIES NAISSANTES

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La Jeune fille et le Fleuve, par Bernard Housseau

Il ne s’agit pas de restituer ici, même à grands traits, le récit convaincant de la rencontre des deux personnages du roman — rencontre aussi inopinée que riche en rebondissements et enseignements. On ne raconte pas un roman, on suggère de le lire. Surtout celui-ci.

ELLE, porte un joli nom de fleur et se nomme Ancolie, bien qu’elle réponde habituellement au surnom ordinaire de Cole. L’auteur ne veut pas de cette atrophie qui ferait oublier la rime riche avec ‘mélancolie’, état dans lequel la jeune fille semble se trouver au début du récit.

Deux personnages ? Oui : la jeune fille et le vieil homme : ELLE et LUI, ainsi que se présentent les deux voix au fil du roman. Et autour d’eux, une foultitude bigarrée d’autres personnages animaux, végétaux et humains – trop humains, comme l’exprime Ancolie en résonance avec Nietzsche, peut-être sans le savoir.

LUI, le vieil homme, se prénomme Armand. Il ne se livre pas. On le croirait SDF, il ne l’est peut-être pas. Peu à peu, son refus de la confidence laisse supposer qu’une tragédie lui a fait recouvrir son passé d’un voile opaque. Ancolie parviendra-t-elle à en détisser progressivement les fils ? Et dans quel but, d’ailleurs ?

Parmi les personnages non-humains, on se réjouit de l’exaltante omniprésence des oiseaux qui ponctuent tout le récit et tiennent grandes ouvertes pour le lecteur les portes de la Nature. C’est peu dire que Bernard Housseau les connaît et les aime. Tout comme les arbres…Tout comme la Garonne, avec laquelle le personnage masculin du roman entretient un rapport de haine-amour. On comprendra pourquoi… Ce fleuve-ci ne remonte pas vers sa source, ni vers sa jeunesse révolue. Cela contrairement au fleuve Alphée de la mythologie grecque. Armand hésite à remonter le cours du temps quand il s’exclame« Et si l’eau était en train de couler à l’envers pour moi ? »

Dès les premières pages, un héron se glisse dans cette histoire tout à la fois naturaliste, philosophique et symbolique. Sternes, courlis, cormorans et chevaliers peuplent aussi ce livre composé en deux parties, l’une ‘sur terre’, l’autre ‘sur l’eau’.

Ancolie et Armand seront seuls sur l’eau. Pas sur terre, entourés qu’ils sont d’individus embarqués dans un dialogue de sourds avec la société, et qui en paient les pots cassés. Ce sont le petit-ami d’Ancolie, un peu fier-à-bras fragile et paumé comme les autres, comme leurs parents zonards de père en fils. Une exception et un espoir : Maxime, le frère d’Ancolie. Un jeune musicien enthousiaste.

Dans ce roman, ceux qui s’en sortent sont ceux qui ont un projet de vie. Les autres végètent et dépriment. Encore ce dialogue de sourds qui fait que la société ne les comprend pas davantage qu’ils ne la comprennent, eux. À qui la faute ?

« Mais quoi de plus important, pour faire avancer le monde que de trouver quelqu’un avec qui parler, quelqu’un de différent, mais riche d’humanité. » Cette remarque que l’auteur met dans la bouche d’Armand pourrait figurer en exergue de son livre pour ce qu’elle résume bien de ses intentions humanistes.

Ces propos sur « La Jeune Fille du Fleuve », de Bernard Housseau, appellent une conclusion élogieuse, tant pour sa forme romanesque fondée, du début jusqu’à la fin, sur l’habile alternance de deux voix, dans une langue fluide comme la Garonne — langue que l’on entend s’affermir et s’enrichir au gré de l’évolution culturelle du personnage féminin, ce qui est une preuve de plus de la maîtrise stylistique de l’auteur qui a plus d’un tour dans son encrier. À méditer : sa représentation du monde actuel – notre monde qui se casse les dents sur les problématiques d’abondance et de carence, de déshérence sociale, d’emploi des jeunes et de précarité économique. Avec lui, on s’émeut, de la puissance d’émulation des amitiés naissantes. On passe, selon la formule de Gabrielle Leroy, de la détresse à l’enchantement.

Pierre-Jean Brassac

Bernard Housseau, La Jeune fille et le Fleuve,

Editions Passiflore (2018), 317 pages

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