La nuit m’a soufflé sa lumière.
Dans ce titre, arrêtons-nous sur le participe passé « soufflé ». Soit la nuit a dirigé son souffle sur le visage du poète et l’a inspiré, soit elle a fait disparaître la lumière qu’elle lui dispensait auparavant. Une brusque mutation est advenue. Une déconvenue métaphysique tout aussi soudaine pourrait en résulter.
Partage entre éternité et impermanence. Dans chaque poème, un aller-retour assuré entre l’infini et le mesuré…
On relève dans ce recueil dense et puissant une omniprésence du végétal. Il se pourrait que le végétal — pour le poète, pour nous —représente le mieux la nature du vivant et son perpétuel renouvellement, vers quoi tend justement l’art poétique. Pour le philosophe Marcel Conche, la Nature se comprend non comme enchaînement de causes, mais comme improvisation ; « elle est poète, » dit-il.
Marquante pensée de l’auteur dans son avant-propos posant la percutante métaphore cinématographique selon laquelle : Nos jours sont rétiniens et nos nuits leur persistance.
Lisons maintenant ce poème oraculaire dont les trois premières syllabes sont aussi les trois premiers mots :
né du dé/le poète/tout homme/est un nombre en cavale/lancé pour l’espoir.
Quand on a lu cela, la dimension poétique et philosophique du texte s’ouvre à nous.
Promouvoir l’espoir au plus sombre des instants de vie… Est-ce là l’ultime courage moral, face à l’implacable ? L’irrévocable ? Ce à quoi aucune voix ne peut s’opposer.
Il est vrai, nul n’arrête/ la balle/tirée. Et l’espoir serait cette lumière […] dans le ventre/des gouffres.
Dans le poème-titre du recueil, « la nuit m’a soufflé sa lumière, » l’être doit à la nuit ce qui l’anime le jour, dans ses mouvements diurnes. Et finalement jaillira une lumière obtenue de haute lutte :
mes veilles/seront incandescentes/j’y planterai/mes griffes/ au fond de sa rétine.
Résister, dit-il : à quoi et comment ? Le poète, s’essaie à fournir une réponse, à la tracer sur son portulan : À genoux/je déplierai la voile/vertébrale/
Il ne prend pas le large, sa présence réside dans l’écrit. On peut continuer de l’interroger. Résister mais à qui ? Il nous le suggère, à nous d’identifier l’origine de l’adversité, son siège contemporain : Les ailes de l’imaginaire/vent debout/contre la mitraille.
À la fin du recueil sont le commencement et le principe de joie, lumière du monde. Stéphane Amiot exprime cela en taillant pour synthétiser sa quête dans le vocabulaire de la science physique :
ce rayonnement fossile/de la joie/à l’enfance du monde/hier.
Cette poésie s’offre en quintessence existentielle, en acceptation fleurie du tragique et en distillat d’une saine vitalité, pour se tenir à l'écart de l'inespoir.
Pierre-Jean Brassac
Stéphane Amiot, La nuit m’a soufflé sa lumière,
Éditions Unicité, 2021

Agrandissement : Illustration 1
