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« Le mort est dans le pré »
C’est frappant comme parfois un roman peut ressembler à son auteur ! Et pas seulement à son attitude d’esprit, à son regard sur le monde. Mais aussi, plus charnellement, à son visage, à ses traits, à son souffle. Pourtant le lien entre le style et la personne ne s’impose pas toujours. Chez l’auteur dont nous allons parler ici, ce regard sur le monde en est davantage un sur son métier. Par une espèce d’humilité,
En lisant le roman de Patrick Caujolle, je n’ai pas cessé d’entrevoir son visage, au point que dès les premières pages, j’ai prêté ses traits à son narrateur-enquêteur. Ce que suscitait, bien sûr, l’ancien métier de l’auteur, fonctionnaire de police, tout comme le personnage principal du roman ‘Le mort est dans le pré’. Ariégeois d’origine et ancien fonctionnaire du SRPJ, l’auteur se dit maintenant ‘toxicomane de l’écriture’. Ce ne sont pas ses lecteurs qui s’en plaindront. Et il a tout l’air de bien supporter cette variété de psychotrope.
Caujolle a entamé son parcours littéraire en publiant de la poésie, avant de se saisir avec habileté de l’outil romanesque pour montrer ce qu’est selon lui la vie concrète du fonctionnaire de police « avec ses petites forces et ses grandes faiblesses ». Policier ou auteur, notre homme semble n’avoir aucune envie de jouer les gros bras. Son narrateur lui ressemble donc : humble, souvent amusé, jamais sarcastique. Il reconnaît que « le fonctionnaire de police « avale beaucoup de couleuvres », tout en parvenant à ne pas trop douter de son utilité. Il vit de l’intérieur ce paradoxe insoluble qui fait que souvent remontés contre la police, rares sont les citoyens raisonnables qui affirmeraient en toute bonne foi pouvoir se passer d’elle.
De l’hyperréalisme dans le roman
Ce récit entièrement écrit à la première personne du singulier— celle du narrateur-enquêteur — évoque la peinture hyperréaliste… Pourquoi ? Pour ses qualités visuelles ? Pour la précision narrative et son côté implacable ? Pour sa finition rédactionnelle léchée ? Pour la technique poussée à son point culminant ?
Peut-être pour un peu de tout cela et avant tout pour sa vraisemblance. On sent à chaque instant le métier et le savoir-faire du rapporteur qui, loin de se satisfaire des faits, enrichit son texte d’analyses psychologiques et comportementales, étayées visiblement par une longue expérience professionnelle dans une probante communion littéraire entre l’auteur et le narrateur. Aussi est-ce peu dire que l’enquête est circonstanciée, détaillée. Nous sommes avec Patrick Caujolle assurément dans la rigueur d’une pratique policière qui jadis formait l’essentiel de son quotidien.
Limite rigolard, le point de départ. Quoique…
Le récit émane du commissariat de Blagnac, nous fait savoir le narrateur, qui a « vingt-cinq ans de boîte » et va par le monde avec des galons de capitaine, visibles ou non c’est selon. Il se nomme Gérard Escaude et est âgé de quarante-cinq ans. Pour lui, contrairement au poncif, la réalité ne dépasse pas la fiction. Mais là, avec ce mort dans le pré, il pressent qu’il en sera tout autrement. Notre narrateur en est lui-même estomaqué… La scène de crime ressemblerait à beaucoup d’autres si ce n’est que ce mort-là gît sur le ventre en chaussettes d’un blanc immaculé au beau milieu d’une parcelle de bonne terre grasse du Pays toulousain. Comment est-il venu jusque-là pour mourir, sans salir ses chaussettes ? Ce détail, à l’encontre de toute logique, pose une première question insoluble, sans parler de l’autre question de l’identité et des mobiles du ou des assassins. À moins qu’il ne s’agisse d’un suicide...
Ces questions occupent le lecteur que Gérard Escaude, alias Patrick Caujolle, pilote ingénieusement tout au long d’une intrigue à tiroirs. Avec lui, nous cheminons allègrement de fausse piste en impasse, dépités, égarés, mais résolus à venir à bout de cette énigme que tout nous empêche de lâcher.
Les personnages du drame
Notre référent dans cette sordide histoire, le capitaine Gérard Escaude, nous apparaît vite comme un homme expérimenté, enquêteur bon enfant, qui conserve sa marge d’autonomie et de saine autocritique. Son petit côté rigolard, malgré le sérieux de l’enquête, nous distrait juste ce qu’il faut. À peine le temps de souffler sur une saillie astucieuse ou un bon mot hilarant, et déjà l’enquête nous rappelle à son service. Les protagonistes sont nombreux et multiples, chacun avec ses motivations et ses mobiles à la fois troubles et distincts.
Intuition n’est pas intime conviction
Dès le premier abord, l’écriture de Patrick Caujolle, se caractérise par une forte densité de conjectures et de raisonnements auxquels il convie le lecteur, tout en lui offrant un volume d’informations qui tiendra sa curiosité en éveil tout au long du récit. Si l’enquêteur nous paraît sûr de lui, l’auteur aussi. Et puisqu’ils sont l’un et m’autre aux commandes du récit, nous sommes rassurés : ils savent à chaque instant où ils vont précisément. Les certitudes n’étant pas de ce monde en matière de futur, le doute plane parfois, mais c’est un doute délicieux, ponctuel, qui n’affecte en rien la progression de l’enquête rigoureuse que mène le capitaine Escaude, parfois presque sans avoir l’air d’y toucher.
Cette légèreté, comme sa moins drolatique cousine, l’humilité, tient du trapèze sans filet, sous-tendu par ce que Spinoza nommait le troisième genre de connaissance, l’intuition. Escaude en est si généreusement doté par la nature, qu’il ne la désigne jamais, bien qu’elle soit sa meilleure amie.
Parlons un peu écriture et dramaturgie
L’enquêteur Escaude vise tout autant la clarté de son rapport à la hiérarchie, que Patrick Caujolle la lisibilité sans faille de son écriture. Ces deux objectifs en un sont pleinement atteints. Dans le genre enquête policière, un modèle du genre…
Il arrive même que l’auteur en bon pédagogue qu’il pourrait être, sente que nous avancerions encore mieux à ses côtés s’il se fendait d’une petite révision. Il s’exécute aussitôt :
« Bon ! Récapitulons ! Un agriculteur très vraisemblablement tué par balle (à moins que la balle n’ait été tirée post mortem), une douille, une cartouche à ses côtés mais pas d’arme, des chaussures disparues, pas de voiture sur place ou aperçue et pas de témoin direct. » Et nous emboîtons le pas de plus belle à l’ancien du SRPJ de Toulouse, qui ne se départit jamais d’un rictus fataliste et d’un sens des formules drôles, somme toute assez révélatrices de son ressenti personnel.
Quand le capitaine Escaude, rencontre des collègues d’un service d’ordre cousin, il sent « leurs poignées de main molles et quelque peu bouffies d’ambiguïté ». Pour que nous comprenions bien ce qu’il vit alors, il a ce mot : « C’est comme accepter de l’argent de votre député, un cadeau d’un djihadiste ou un compliment de Sarkozy, ça peut être sympa dans un premier temps, mais ça sent vite la patate. »
Certes, le mort est dans le pré, mais le bonheur de lecture aussi !
Pierre-Jean Brassac
Patrick Caujolle, Le mort est dans le pré, col. Du Noir au Sud, Cairn Éditions, 195 pages, 9 €