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Billet de blog 19 juillet 2022

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MATINS DU MONDE, par Christian Pastre

Christian Pastre s’est joué des obstacles, « il connaît parfaitement la période qu’il évoque, celle des villageois d’un Néolithique avancé. »

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MATINS DU MONDE,

par Christian Pastre

 Le titre indéfini de ce roman en annonce parfaitement la teneur : tant de matins en des lieux innombrables ont fait et défait ce monde. Le tragique y est déjà l’une des circonstances de la vie sur Terre. C’est l’expression d’une volonté qui dépasse celle des acteurs de ces Matins du monde, pour qui bonheur et malheur forment le don du Grand Tout auquel chacun entend s’unir.

En tant que sujet romanesque, la préhistoire demeure originale, parce que peu traitée et considérée par les auteurs comme assez risquée, qu’ils soient préhistoriens ou romanciers. C’est ce que pose dans sa préface l’éminent archéologue Jean Guilaine, professeur au Collège de France, spécialiste de la préhistoire récente et de la protohistoire.

La crainte de l’anachronisme peut en dissuader plus d’un. Quelques auteurs se sont pourtant distingués dans ce genre passionnant, telle l’écrivaine américaine Jean M. Auel dans une saga en six volumes intitulée Les Enfants de la Terre.

Ce même Jean Guilaine l’écrit tout net : Christian Pastre s’est joué des obstacles, « il connaît parfaitement la période qu’il évoque, celle des villageois d’un Néolithique avancé. ». Le lecteur suivra en confiance les pas de l’auteur, remontera le temps avec lui, jusqu’à l’aube de l’agriculture et du pastoralisme.

Jean Guilaine l’affirme, « rien ne manque à ces tableaux de vie néolithique. » La vie, l’amour, la maladie, le spirituel, la guerre : tout y est. La philosophie aussi, et avec elle le serment de « lutter contre la tentation du doute et de l’orgueil. »

Sous les yeux du lecteur, l’auteur diapre cette vue d’ensemble sur nos prédécesseurs d’il y a plusieurs milliers d’années, d’exquises paraphrases pour désigner la mer et le soleil telles que ces « contrées lointaines où l’eau s’étend sans limites » et « l’astre du jour ». En cet âge de la pierre polie, la simplicité s’accorde à un troublant réalisme.

Très épurée, la langue du récit bannit par avance tout ce qui pourrait ressembler à la complexité de nos sociétés modernes. On en est encore au royaume de l’univoque, du pur et de l’innocence. Pourtant, l’ignorance et l’incompréhension sévissent déjà en fléaux consubstantiels d’une société qui n’en finit pas de naître. Des pulsions destructrices s’infiltrent et souilleront peu à peu le flot civilisationnel.

On voit avec Christian Pastre que l’état de nature n’est pas sans loi ni droit. Comme nous l’a appris John Locke, il est régi par le droit de nature. Astor et ses adversaires d’une autre communauté agiront en connaissance de code.

Le nombre restreint de personnages du roman amplifie l’impression de vide et de solitude qui caractérise, à nos yeux, l’espace préhistorique. Christian Pastre nous fait vivre avec beaucoup de sensibilité l’existence quotidienne d’une famille au sein d’une petite communauté dont on compte les membres sur les doigts d’une seule main. Les joies y abondent, les malheurs aussi.

Tout cela confère à ce très beau texte sa poétique simplicité et sa puissance narrative. Les êtres qu’il nous présente sont nos frères humains, nous sommes leurs égaux d’après le Meccano. Les parents d’alors, Astor et Marna, ne sont pas moins soucieux que ne peuvent l’être ceux d’aujourd’hui. Leurs savoirs sont vastes quand il s’agit de ce que nous appelons la Nature et qu’ils préfèrent considérer comme l’émanation de la Grande Mère. Ils vivent dans des maisons « accoudées à la rondeur du monde », explique notre guide littéraire d’un monde qui se montrera bientôt plus anguleux.

Si le ton de ce livre nous captive dès les premières pages, c’est qu’il dit bien et sans pathos ce que sont les sentiments collectifs qui ont cours depuis des millénaires, indépendamment du contexte historique et sociogéographique.

La tranquille éloquence de ces « Matins du Monde » nous entretient du stade où aurait pu demeurer notre esprit collectif et individuel. Cette fiction n’est pas seulement historique, gageons qu’elle renferme aussi quelque ferment d’un avenir à repenser.

Pierre-Jean Brassac

18.07.2022

MATINS DU MONDE, par Christian Pastre, préface de Jean Guilaine, Éditions du Cabardès, 155 pages, 17 €.

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