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Billet de blog 20 février 2024

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DANS L'OMBRE DU RÊVE par Consuelo Arriagada

« Réveillez-vous, vous qui dormez dans l’ombre du rêve ! »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans l’ombre du rêveEn lo oscuro del sueño,

par Consuelo Arriagada, aux éditions Nautilus.

Cette « ombre du rêve » pourrait être L’obscur du rêve, dans une traduction plus littérale du titre de ce poignant recueil. Surtout parce qu’il renverrait alors à un grand poète mystique de la langue espagnole, Juan de Yepes Álvarez, dit Jean de la Croix, auteur du concept de « Nuit obscure » de l’âme.

« Réveillez-vous, vous qui dormez dans l’ombre du rêve ! » nous enjoint Consuelo Arriagada dès la page de garde du recueil, laquelle dans le cas présent porte étrangement bien son nom.

Deux pages plus loin, sa dédicace parle d’émerveillement, de lumière et de mots, en un triangle sacré de sa poésie. Ces mots, Consuelo les déverse selon des familles mentales qui ont à voir avec le regard, le corps, ses blessures et sa fécondité, avec la langue, le temps et la mémoire.

Quand la poétesse évoque « le regard avisé des étoiles, » elle nous rappelle que depuis l’univers, on nous voit, on nous observe attentivement à travers les milliards d’yeux stellaires du firmament.

Le temps surgit dans « les racines œcuméniques du lendemain, » tandis que la mémoire, les souvenirs du temps passé valent pour « inventaire des restes d’un naufrage, » dans son poème intitulé très visuellement « Rencontre avec un tableau de Paul Delvaux ».

Dans cette poésie de conjuration des peurs humaines, chacune, chacun, cherche sa place, ce que met en lumière l’exergue du poème Errance, dédié au poète argentin Roberto Juarroz (1925-1995), avec qui elle dialogue, où le texte évoque « L’impression que je devais être ailleurs ne m’abandonne jamais. » À quoi la poétesse répond que « émergés de l’exil/condamnés à habiter/ le miroir de l’ombre/nous alimentons le désir/avec la fidélité du manque. »

Ceux qui lisent la poésie de Consuelo Arriagada dans sa langue d’origine verront et entendront combien sa parole peut être magnifiquement lapidaire, sans pathos extrême, ce qui ne veut pas dire sans souffrance. Ceci ne fait que conforter encore la réussite de la traduction en français que nous devons à Michelle Dospital.

Dans « Second plan, » la poétesse se rit du monde, après avoir déclaré que « Le réel se scinde au point de fuite. » Nous méditons et nous demandons : ce monde est-il bien sérieux, est-il seulement un ?

Un court texte promeut l’Amor fati, dans une foulée stoïcienne propre à la sage acceptation de son propre chemin de vie, davantage même : à sa consécration.

Le recueil s’achève littéralement sur une Chute, selon une place choisie par l’auteure, peut-on supposer. Il y est question de « vents métaphysiques » et de « cris muselés ». À son exclamation liminaire incitant les dormeurs à se réveiller, succède ce propos final que l’on peut concevoir à la fois comme l’apparition d’une clarté, d’un repère salvateur et d’une nouvelle connaissance du réel.

La succession de rythmes distincts, de formes courtes et incisives, fantomatiques parfois, souligne le génie visuel de cette poésie d’idées.

Avec Consuelo Arriagada « le grand mystère ouvre les yeux. »  Elle fait de même sur un univers qui le lui rend bien. Cette contrepartie en mots et en symboles, permet visiblement à sa poésie de s’ouvrir jusqu’au tréfonds du sens.

Pierre-Jean Brassac.

 Consuelo Arriagada, Dans l’ombre du rêve, avec un avant-propos

de Samuel Trigueros, écrivain hondurien, Nautilus, Saragosse, 2022.

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