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Billet de blog 29 mai 2025

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CHIMÉRIES

Fulgurance des images-fables, prose poétique de la liberté littéraire et de la liberté tout court.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chiméries

par Stéphane Amiot

 Commençons par définir ce que ne sont pas ces Chiméries, titre épatant du présent recueil. Ce ne sont ni une évocation du « monstre fabuleux vomissant des flammes » dans la mythologie grecque, ni « imagination vaine et sans fondement. »

Tout au contraire, ce que tisse et restitue ici le poète touche à l’essentiel et au socle philosophique des expériences humaines. C’est la poésie dans la pleine réalisation d’elle-même, en ses capacités de dévoilement, de révélation. Et aussi d’indispensable invention.

De flâneries en « chroniques pérégrines », des mouvements communicatifs offrent d’abord au lecteur une suite animée d’itinérances toulousaines quartier par quartier. Aux clartés lyriques du verbe et à ses retournements imagés, s’adjoint au fil de l’ouvrage la profonde étrangeté de la photographie d’Emmanuel Tecles, à la recherche d’une autre apparence du réel.

Souvent poète de l’eau, Stéphane Amiot emprunte, ici aussi, au liquide sa fluidité, sa transparence. Dans son écriture comme dans ses références, on le voit se découvrir sans simulacre ni omission. De page en page, il déroule pour nous ses références et ses préférences littéraires, invoque ses grands prédécesseurs, se montre reconnaissant de ce qu’il leur doit.

Lautréamont reçoit sa sympathie ; Jorge Luis Borges pointe le bout de son nez. Et avec eux la géniale caravane des dédicataires de ces Chiméries dont la musicalité leur va comme un hymne : les Michaux, Delteil, Vialatte et Leduc parmi d’autres.

On entend craquer de joie le vieux chêne des rayonnages de la Bibliothèque Universelle. Bien sûr, on n’y pénètre pas n’importe comment : « Tu laisseras ta peau au vestiaire, on n’entre pas dans la ville, couturé de frissons, on se dissout à l’arantèle du périphe pour renaître chaussé de grande foule et lavé d’amour, » nous avertit Amiot, le poète vraiment né… Nonobstant le numineux, l’archétypal de ses textes, il existe, il est réel. Son bulletin de naissance en témoigne. Alors, lecteur, copie le document quand tu l’auras sous les yeux à la page 51 : il te servira de laissez-passer à toutes les frontières des pays de Poésie.

Car cette poésie franchit tous les espaces, du lointain immémorial au hic et nunc privé et circonscrit du énième Ermitage de la Fontasse, son gîte dont il dit :« Je me suis glissé entre les pages d’un livre et j’ai attendu. J’ai attendu des années, des siècles, un millénaire peut-être, que les hommes apprennent à lire et découvrent le désir de m’ouvrir. »

 Citant Bashô, Amiot poète nous suggère que, tout comme le bon maître japonais, il fera, lui aussi, du voyage son gîte. Rieur, il « parle de l’anthropocène aux fossiles du Muséum. » et contrairement à Ionesco, assistant à l’invasion des rhinocéros, il les voit chassés par l’hiver. Le fantastique garde un pied dans le réel… Le poète nous rassurerait si lesdits animaux à corne(s) ne faisaient trop souvent ici et là le plein de votes.

Entrecoupés de données topographiques, les textes se présentent dans leur situation spatiale et culturelle. Un peu cousin de Mallarmé, Stéphane Amiot a en commun avec lui son prénom, son souffle, son ermitage et peut-être aussi l’idée selon laquelle « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». En fils attentionné de la Terre-mère, notre poète est un peu Gracq, et aussi un peu Grec parce que nouveau Méditerranéen. Quant au « beau livre », chacun de constater qu’il s’y emploie.

Après les bords de Garonne, son art poétique de l’itinérance s’anime de bonheurs visuels en Lauragais, en vallée de l’Hers Mort, aux confins de l’Ariège, tandis que pleuvent les interjections du côté de Soual et Puylaurens.

 Et toujours ces inventions d’un regard et d’une pensée que l’on adopte à force de signes et d’espaces. Notre « sommeil de calandre » change de nature, passe au non paradoxal et à la pleine conscience… On goûte à Borderouge, ce croquer « à pleine bouche la pomme de ma voix, guettant le râle et le courlis… »

 Des pauses nourries de la pensée brute de l’arpenteur géographe vous conduiront nolens volens vers un monde où « Les tanches se trémoussent sur le pré en tendant l’hameçon. »

 Et de temps à autre, par objectif interposé, Emmanuel Tecles offre sa vision des choses : un avatar du Voyageur contemplant une mer de nuages, du peintre Caspar David Friedrich. Ici point de nuages, mais un océan…Le voyageur a pris ses devants : il porte un masque à gaz. Il ne domine pas, il n’est pas Zarathoustra, il se cherche un souffle.

Illustration 1

. Qu’elles soient textuelles ou photographiques, les images nous saisissent pour de bon lorsque « les cylindrées aboient à croquer le vert, muselant leur chauffeur pneumatique hérissé de clous. » Ou quand le poète découvre que « Les mille yeux des tours achélèmes tombent sur un horizon de bidonvilles. »

Accord parfait avec la vision splendide, en page 37, de la moitié inférieure d’un corps humain dénudé pénétrant dans une automobile repeinte en mousse par la durée.

Le lyrisme visuel atteint son point culminant quand Stéphane Amiot signe un commentaire à peine taquin : « Le curé emboucha sa flûte de peau et soulageant sa vessie répandit dans l’air une musique liquide qui lava les anges du remords. »

Comme les Grecs se servent du komboloï qu’ils égrènent incessamment pour s’occuper les mains, ce recueil n’a pas fini de nous occuper l’esprit de ses métaphores à tiroirs, tour à tour profondes, drolatiques, singulières, toujours neuves, édifiantes et captivantes. Nous nous rendrons donc à son « rendez-vous au sous-sol de la passe à poissons. »

Avec Stéphane Amiot, les mots se culbutent, se fécondent et s’universalisent dans une signification qui les dépasse, nous rappelant à chaque phrase que le poétique est là pour réinventer le monde et en élargir le sens.

Les idées, la singularité du langage, la subtile musique du vocabulaire, les jeux sémantiques… Ce bonheur de lecture n’est pas que simple bonheur, il s’accompagne d’une conscience de l’amer, du ténébreux, bien que dominent finalement la couleur et l’élan vital.

Pierre-Jean Brassac

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