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Billet de blog 16 juin 2025

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De militante à victime : quand la culture du viol gangrène la gauche

Ce témoignage dépasse le récit d’une violence sexuelle. Il montre comment une organisation politique de gauche, se disant féministe, reproduit les mécanismes de la culture du viol : doute, silence, protection de l’agresseur. Parler est un acte politique. Pour que les victimes soient crues, et la culture du viol combattue.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En avril 2024, j’ai été violée par un militant d’une organisation politique de gauche en Loire-Atlantique. Depuis longtemps déjà, il exerçait sur moi une emprise. Il me faisait subir des abus émotionnels. Je n’arrivais même pas à mettre des mots sur ce que je vivais. L’emprise, le viol tout ça me paraissait inconcevable. Parce que cette personne, je la croyais incapable de me faire du mal. Pourtant, c’est exactement ce qu’il a fait.

Quand c’est arrivé, j’ai mis un temps fou à comprendre ce qui m’était arrivé. J’ai eu du mal à nommer les choses, à réaliser que j’avais été violée. Et quand la prise de conscience est arrivée, ça a été la chute libre. J’étais en ruine. J’avais littéralement envie de mourir. Et ce que je ne savais pas encore, c’est que ce n’était que le début.

Après cette prise de conscience, j’ai décidé d’en parler à quelqu’un en qui j’avais confiance. Un militant également. Je lui ai raconté ce que j’avais vécu. Il m’a écoutée, et m’a conseillé de me confier à d’autres militantes, des personnes en qui lui avait confiance. Moi, je n’étais pas totalement rassurée, mais je lui faisais confiance à lui. Alors je l’ai écouté.

Je me suis d’abord confiée partiellement à une militante qu’on va appeler Z. Elle m’a « écoutée », m’a remerciée de lui faire confiance, mais sa première proposition a été de me mettre face à mon agresseur pour avoir une discussion. Une discussion avec lui, comme si ça allait m’apaiser, comme si ça allait m’aider à aller mieux .J’ai trouvé cette idée complètement déplacée. C’était violent, en fait. Comme si la solution était dans le dialogue, alors qu’il m’avait détruite.

Mais déjà avant ça, un truc m’avait mis la puce à l’oreille. On discutait avec d’autres militants, et un gars évoque quelqu’un qui a été accusé de violences. Et Z. répond qu’elle fait “attention à ce genre d’accusation”. J’aurais dû me méfier à partir de là. Mais j’étais vulnérable. J’avais ce besoin de reconnaissance, ce besoin de figure maternelle dans le militantisme. J’ai projeté sur elle ce manque affectif. J’ai idéalisé. Grosse erreur.

Et puis on me propose une solution : faire une alternance semaine A / semaine B avec mon agresseur pour éviter qu’on se croise. Je suis censée être la victime, et pourtant c’est moi qui devrais modifier mes engagements ? Renoncer à militer comme je le faisais, à ce qui me faisait du bien, pour ne pas le croiser ? C’était absurde.

Finalement, le national est saisi. À partir de ce moment-là, tout s’accélère. J’ai eu un long entretien avec eux, où j’ai raconté toutes les violences : émotionnelles, psychologiques, sexuelles. Iels m’ont écoutée avec sérieux, sans me juger, sans me faire douter. Ça m’a soulagée.

Suite à ça, mon agresseur est suspendu.

Mais pour moi, c’était trop tard. J’étais vidée. Épuisée. J’avais plus la force de militer. J’ai quitté mes responsabilités. Et c’est là que Z. me propose qu’on aille boire un café. Moi, je pensais qu’on allait parler d’autre chose, que ce serait un moment amical. Mais non. Elle revient sur l’affaire, et me demande ce que je cherche vraiment. Elle me dit que mon agresseur a « muté » tous les groupes de discussion militants et qu’il ne comprend même pas pourquoi il a été suspendu. Et là, elle me dit qu’elle a demandé au national d’accélérer la procédure parce que « c’est pas humain pour lui ». Je vous jure, à ce moment-là, j’ai cru que j’allais vomir.

Moi j’ai été violée, et on me parle de l’inconfort de l’agresseur ? Je devrais compatir ? J’ai eu l’impression de devoir me justifier, de devoir prouver que j’étais une « vraie » victime. J’étais en colère, et je lui ai dit. Sa réponse : « Notre neutralité peut te choquer, mais c’est pour ça qu’on a transmis au national ». Mais quelle neutralité, en fait ?

En novembre 2024, j’apprends que mon agresseur est toujours présent au sein d’un collectif qui travaille à l’élaboration de la campagne de l’organisation politique de gauche pour les municipales de 2026. Je contacte alors un militant que je considérais comme un ami pour lui demander des explications. Sa réponse : « Mais il a le droit de voir des gens » et « Ce n’est pas l’organisation politique de gauche ».

Sauf que ce collectif travaille directement sur la campagne de l’organisation politique de gauche ?? 🤡 son noyau dur est exclusivement composé de membres de cette organisation. Donc, en gros : c’est un violeur, mais tranquille, il a le droit de rester.

Petit à petit, le noyau dur de l’organisation politique de gauche à qui je m’étais confiée, ceux qui avaient « entendu » m’ont ghostée. Plus de messages, plus de soutien. Plus rien. Silence total. J’étais seule.

Z. est une cadre très influente du mouvement local. Elle fait aussi partie du noyau dur, tout comme l’était mon agresseur, et je vous laisse imaginer l’impact que ça a eu dans mon militantisme le fait que Z. ne me croit pas et se range de son côté. Mon agresseur était un homme socialement valorisé dans l’espace militant : reconnu, écouté, légitimé. Moi, j’occupais une position plus vulnérable : plus jeune, en apprentissage politique, et dépendante affectivement et politiquement de lui. C’est une dynamique fondée sur des rapports de genre, d’âge, de capital culturel et politique. Il m’a placée sous emprise, et cette emprise a été rendue possible par son autorité symbolique dans le groupe.

Après la suspension de mon agresseur, j’ai été ostracisée. Certains ne me disaient même plus bonjour. À chaque action, je me sentais comme un cheveu sur la soupe. Comme si j’étais celle qui gênait, celle qui foutait le bordel. On m’a fait payer la suspension de mon agresseur, comme si c’était moi qui avais causé tout ça. Comme si j’étais coupable d’avoir parlé. On m’a fait passer pour une menteuse. Le silent treatment que j’ai subi m’a détruite encore plus. Ce que j’ai vécu est une forme de violence sociale. Elle sert à réintégrer symboliquement l’agresseur (en tant que victime) et à exclure la véritable victime pour rétablir un « ordre ».

Le climat est devenu tellement toxique que j’ai dû déménager. C’était invivable. Personne ne m’a protégée. Des gens (y compris certains cadres du mouvement local) savaient, mais n’ont rien dit. Pas un soutien. Rien. Pire, ils ont préféré se taire pour protéger l’image de l’organisation, pour préserver leurs petits équilibres de pouvoir. J’ai été silenciée, isolée, abandonnée.

Je sais que leur souhait, à certains, c’était qu’il soit réintégré. Parce que c’est « un bon militant ». Parce que c’est « un camarade ». Peu importe qu’il m’ait violée. Peu importe ce que j’ai subi. Ma sécurité, ma santé mentale, mon droit à militer… tout ça a été considéré comme secondaire. Au fond, ce qu’ils voulaient, c’était préserver l’un des leurs.

Ce que j’ai vécu, ce n’est pas juste une histoire personnelle. C’est une illustration violente de la culture du viol. Une culture où les agresseurs sont protégés par leur réseau, leur statut, leur utilité politique. Une culture où les victimes sont réduites au silence, jugées trop bruyantes, trop dérangeantes. C’est fou comment mon viol a été banalisé, minoré et normalisé. La culture du viol, ce n’est pas seulement excuser le viol :c’est créer un climat dans lequel la parole des victimes est systématiquement mise en doute, déformée, ou ramenée à des intentions suspectes (jalousie, vengeance).

Je sais déjà ce qu’on dira de moi. Que je règle mes comptes, que je veux nuire à l’organisation politique de gauche. Mais c’est faux. Je ne veux pas de vengeance. Ce que je veux, c’est la justice et la vérité. Je veux qu’on regarde cette réalité en face. Je veux que ça ne se reproduise plus.

Aujourd’hui, je parle, parce que me taire, c’est laisser faire. Parce que chaque silence de plus est une violence de trop.Je n’ai plus peur de déranger. Et je n’ai plus rien à perdre.

Si vous acceptez de protéger un agresseur, vous êtes complices. Être féministe, ce n’est pas une posture. C’est une ligne politique. Et une ligne politique, ça se tient.

Je ne me tairai plus !

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