Les sondages sont sans équivoque, selon les instituts, il y a près de 70 à 84 % des Français qui sont favorables à une aide active à mourir.
C’est en ces termes que le président de la République a dévoilé lors d’un entretien aux journaux Libération et La Croix le 10 mars dernier, un projet de loi en faveur d’une « aide active à mourir ».
Ce dernier a depuis été présenté en conseil des ministres le 10 avril. Un examen de cette loi est prévu à l’Assemblée nationale à partir du 27 mai prochain.
Les formations politiques «Les Républicains» et le «Rassemblement National» ont indiqué que leurs députés disposeraient d’une liberté de vote au terme de l’examen du texte.
Début 2023, les 180 participants de la convention citoyenne sur la fin de vie ont rendu leur verdict après trois mois de débats.
« L’accès à l’aide active à mourir doit-il être ouvert ?» à cette question, les participants ont répondu à 75% « oui » et 19% « non »
Parmi eux : 72 %, se sont exprimées en faveur d’un «suicide assisté» et 66% d’une «euthanasie»
Il apparaît donc indubitablement au regard de tous ces chiffres que la société est prête à accepter un changement significatif en matière de législation, mais aussi de l’accompagnement au sens large de la fin de vie.
Aussi, le Comité consultatif national d‘éthique, a émis en septembre 2022 un avis timidement favorable à une évolution législative en la matière.
Le CCNE dit lui-même que l’application de la loi actuelle : La loi dite «Leonetti-Claeys» est «très insuffisante» et appelle à une politique «volontariste » qui ne se contente pas d’une réforme législative.
Certains membres du comité ont souhaité rappeler «qu’on meurt mal en France» et que dans l’ensemble, les soins palliatifs doivent s’imposer comme une priorité en matière de santé publique.
En effet, il faut rappeler qu’il y a 21 départements en France qui ne disposent pas de structures de soins palliatifs. Aussi, il y a seulement un français sur trois pour qui ces derniers sont accessibles.
Revenons à notre projet de loi, que contient-il exactement ? Il ouvrirait la voie à une «aide à mourir» sous 5 conditions strictes :
- Être majeur.
- Être capable d’un discernement plein et entier
- Avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court au moyen terme
- Avoir des souffrances physiques et/ou psychologiques qu’on ne peut pas soulager
- L’accord en décision collégiale de l’équipe médicale.
« L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne. » Dixit le président.
Le chef de l’État se veut prudent, dit «se méfier» des sondages en la matière et se dit également sensible aux «opinions philosophiques et religieuses»
In fine, d’aucuns pourraient penser que ce dernier est trop frileux en la matière, que la société serait prête à aller plus loin afin qu’on puisse parler de «suicide assisté».
Certains me racontent cependant un manque d’accompagnement à l’hôpital, pour faire appliquer une loi déjà existante. C’est le cas d’Hélébore qui raconte les derniers instants de son père:
« Mon père est mort d'un cancer généralisé, en août 2021, (COVID et restrictions), il a demandé s’il y avait une pilule pour ne plus souffrir et dormir définitivement. Bien sûr on lui a dit non.. Elles (les infirmières) ont fini par le sédater, je n'ai même pas eu le temps de lui dire adieu, il a été débranché de tout ce qui l'alimentait pour ne pas gaver les tumeurs, le dernier jour, une infirmière lui a fait une injection avec l’anti douleur et le sédatif, probablement de la morphine, je ne sais pas ce qu'on lui administrait, il est mort 30 minutes plus tard, devant moi qui étais en train de lui faire renifler un parfum...c'était horrible, j'ai senti son cœur s'arrêter... »
On rappelle que depuis 2016, c’est la loi «Leonetti-Claeys» qui ouvre l’accès « à une sédation profonde jusqu’au décès » qui est la règle en matière d’accompagnement vers la fin de vie.
Aussi, le projet de loi, offrira-t-il réellement un choix, en particulier pour celles et ceux qui n’ont plus la possibilité de l’exprimer clairement où bien trop difficilement?
Souvenons-nous, du cas de Vincent Humbert, l’Eurois de 19 ans à l’époque fut victime d’un grave accident de voiture, le 24 septembre 2000 le laissant ainsi tétraplégique, aveugle et muet. En novembre 2002, à l’aide de son ouïe et de son pouce droit, accompagné de son animatrice Chantal, il a ainsi pu écrire au président de la république de l’époque, Jacques Chirac Pour lui demander le «droit de mourir». Le chef de l’État d’alors, ne donna pas suite à cette requête.

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Vincent Humbert meurt le 26 septembre 2003, par injection de chlorure de potassium administrée par son médecin, le docteur Duchaussoy. Lui et sa mère Marie Humbert ont été poursuivis par la justice des chefs de « empoisonnement avec préméditation » pour le premier et d’« administration de substances toxiques » pour la seconde. Ils ont tous les deux bénéficiés d’un non-lieu en février 2006.
Qu’en est-il aujourd’hui ? par exemple une personne qui deviendrait polyhandicapée à la suite d’un accident, mais donc le pronostic vital, n’est pas engagé, «à court ou à moyen terme» pourrait-il bénéficier de cette loi?
Le ministère de la santé joint par mail, répond très clairement par la négative et rappelle fermement les critères (mentionnés auparavant):
«Le handicap ne constitue pas un critère.
Pour toute personne, en situation de handicap ou non, le point d’entrée dans la procédure est la demande formulée par le patient d’une aide à mourir.
L’éligibilité de la demande est instruite par un collège de professionnels de santé sur la base de 5 critères cumulatifs (préalablement rappelés)
Si la personne est éligible, elle a accès à l’aide à mourir dans un délai de 3 mois, si elle en a la faculté, la substance létale sera auto-administrée, si elle n’en n’a pas la faculté, elle pourra bénéficier de l’accompagnement d’un médecin ou d’un infirmier"
La réponse est claire : Si l’un des cinq critères n’est pas constaté, il n’y aura pas d’accès à une «aide à mourir». À l’évidence, on meurt toujours mal dans notre pays, et en matière de fin de vie, ce n’est toujours pas l’heure du choix.
Mais alors, si l’on ne peut pas choisir la manière dont on souhaite mourir, surtout si l’on est dans une souffrance insupportable. Peut-on choisir au moins de vivre dignement, surtout quand on est poly handicapé ou atteint de maladies chroniques? Aussi plus simplement, quand on est une femme et qu’en France, le Sénat a rejeté le 15 février dernier, un projet de loi ouvrant la voie à un congé menstruel de 2 jours pour les femmes atteintes de « règles douloureuses et invalidantes ». Pour rappel, la chambre haute ne compte que 126 sénatrices sur 348 élus.
En outre, voici un témoignage poignant de la part de «Petite Loutre». Elle est autiste mais est également atteinte de «Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH) et autres joyeusetés » comme elle le décrit sur son compte Instagram ainsi sur son blog, je vous invite à lire son témoignage complet ici. En voici quelques extraits :
« Dans l’aide à mourir dans la dignité, le problème n’est pas l’aide à mourir. Le problème c'est l'absence d’aide à vivre dans la dignité. Le problème c’est une société qui cultive le déni de handicap (pourtant plus de 7 millions de personnes en France) en refusant obstinément de s’adapter à quelque besoin que ce soit. Le problème c’est l’absence d’accessibilité. Le problème c’est l’état délabré du système de santé. Le problème c’est le monde du travail qui rejette les plus fragiles et broie les autres. Le problème c’est le simulacre d’école inclusive hanté par des milliers de profs validistes (NotAllProfs, on sait). Le problème c’est l’AAH en dessous du seuil de pauvreté (liste non exhaustive). »
Elle ajoute :
« Le problème n’est pas l’aide à mourir dans la dignité. Si une personne bénéficiant de conditions optimales de soin, de ressources financières et d’inclusion, estime être trop en souffrance pour vivre, sans espoir de jours meilleurs, il est légitime qu’elle puisse choisir de mourir dans la dignité. Mais ces conditions optimales sont non seulement rarissimes, mais aussi, jour après jour, rendues de plus en plus inaccessibles. Dans les conditions de vie qui sont aujourd’hui accordées aux personnes handicapées dans notre société, l’aide à mourir confine à l’eugénisme ».
Pour Lucile, 34 ans, qui est atteinte de plusieurs maladies chroniques. La fin de vie est un sujet auquel « elle pense beaucoup » et « depuis longtemps » elle dit avoir peur que ses pathologies « s’aggravent ».
« Si je me retrouve seule et isolée, ce sera très compliqué pour moi, physiquement et surtout psychologiquement, j’ai peur de me retrouver dépendante…ce ne sera même plus vraiment la vie »
Elle poursuit :
« Si mes pathologies deviennent plus lourdes que je ne peux plus effectuer les gestes du quotidien seule, que ma vie tourne autour de mes rendez-vous médicaux et de mes médicaments, pour moi, la décision sera simple, STOP »
« C’est pour ça que j’aimerais qu’on ait le choix »
« En France, nous ne sommes pas tous égaux dans l’accès aux soins, je suis totalement pour la création d’unités ou d’équipes spécialement dédiées à la fin de vie »
Évidemment, ces propos peuvent être mis en perspective avec la coupe budgétaire décidée au début de l’année par Bercy, sur la mission «solidarité, insertion et égalité des chances» du Sénat, mais également plus généralement sur les 20 milliards d’économies demandées par l’exécutif.
On pourrait parler du manque criant de place en classe ULIS, et du manque de formation des enseignants en la matière, ou encore, des 14 stations sur 309 adaptées pour les personnes a mobilité réduite, mais dans ce cas, ce n’est plus un article qui serait nécessaire, mais un roman.
Aussi, il est facile de s’apercevoir que l’on donne peu la parole aux personnes dans ces situations dans le débat public, sur le sujet de la fin de vie comme dans d’autres.
D’après le gendarme des médias, l’ARCOM, la visibilité des personnes en situation de handicap à l’antenne n’est que de 1 % en 2022. Néanmoins, cette proportion a légèrement augmenté, car elle était de 0,8% en 2021.

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Pour rappel, les personnes en situation de handicap peuvent représenter jusqu’à 15 % de la population.
Pour "Handi-social", une association de défense des droits des personnes handicapées, le constat est sans appel :
« Si on ne donne pas la parole aux personnes handicapées, c'est car les personnes handies sont déshumanisées, infantilisées par le système et qu'ils considèrent que nos vies ne valent pas la peine d'être vécues alors notre opinion, notre parole ne sont pas considérés »
Ainsi, pour une proportion non négligeable de la population, la question n’est pas celle de «l’aide à mourir», mais plutôt de se donner les moyens d’offrir une vie digne à tous nos concitoyens. Une vie qui donne à toutes et tous la liberté de s’épanouir en ainsi d’être accompagné en fonction de ses besoins mais également de pouvoir s’exprimer et d’être considéré par les autres, pour ça il y a un outil fondamental, que l’on a tendance à oublier dans nos sociétés, ça s’appelle l’empathie.
C’est précisément le manque d’empathie qui fait qu’il est un peu plus facile de répondre à la question :«Comment mourir»? plutôt que «Comment bien vivre» ?
Ainsi, on préfère occuper l’espace médiatique sur la première question, plutôt que sur la deuxième.
S’il est noble de s’interroger sur la fin de vie, sur la possibilité d’offrir un choix sur la manière dont on souhaite que son existence prenne fin. Il apparaît indispensable que chacun d’entre nous quelle que soit notre condition, et d’où nous venons, puissions être représentés et ainsi s’exprimer dans le débat public sur ce sujet comme dans d’autres surtout si certains peuvent apparaître comme les plus concernés par ces derniers. Aussi, il est crucial de réunir les conditions matérielles, sociales et médicales pour permettre la vie en toute dignité pour toutes et tous mais également pouvoir y mettre fin dans un cadre le plus optimal possible, selon le souhait de chacun. Aucune de ces conditions ne semble réunies dans aucun cas de figure sur un plan éthique.
Pour terminer, le fait de parler en premier lieu de l’aide à mourir plutôt que comment avoir une vie digne, dénote une société qui ne sait pas se défaire de ces polarisations et de ces démons.
En réalité, de par son manque d’empathie, la société c’est à dire « nous » n’offrons aucun choix. Vis sans te plaindre. Meurs et tais-toi. On va t’aider à ne pas faire trop de bruit quand tu souffres.