Bringuenarilles (avatar)

Bringuenarilles

Comique troupier

Abonné·e de Mediapart

121 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 mars 2015

Bringuenarilles (avatar)

Bringuenarilles

Comique troupier

Abonné·e de Mediapart

"L'Encyclopédie contre Voltaire", vraiment?

Bringuenarilles (avatar)

Bringuenarilles

Comique troupier

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet est la réécriture d'un précédent, écrit dans l'agacement et la précipitation. Donc assez peu lisible. Celui-ci sera plus synthétique et, je l'espère, son sens plus clair.

Voici l'article qui m'avait tellement agacé, d'autant qu'il avait été publié en Une : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/020315/un-autre-heritage-des-lumieres-l-encyclopedie-contre-le-mahomet-de-voltaire)

Pourquoi s'être crispé pour si peu, me demandera-t-on ?

Tout simplement parce que la thèse qui y est défendue me semble d'une partialité inadmissible, et que cette remise en question systématique de Voltaire, les récurrentes « découvertes » de sa part d'ombre, me semble relever, bien plus que du nécessaire débat d'idées, d'une entreprise de démolition à fins politiques plus ou moins conscientes.

Entendons nous bien : il n'y a pas d'icônes. Pas de dieux, ni de maitres ; personne sans ombre non plus. Personne qui ait raison sur toute la ligne. Voltaire pas plus qu'un autre ne manque de défauts et remettre en question sa pensée est légitime autant que souhaitable. Encore faut-il le faire avec honnêteté.

Quels propos tenaient donc cet irritant billet?

Il opposait l'Encyclopédie à Voltaire, voulant signifier par là que les Lumières sont diverses, que Voltaire ne faisait pas l'unanimité et que la position voltairienne, face aux religions, n'est pas la seule possible (sous-entendu: une autre laïcité, tout aussi lumineuse que celle de 1905, est possible...).

Comment prouvait-il cette opposition ? En démontrant que cet article de l'Encyclopédie est critique vis-à-vis de Voltaire, et surtout de l'interprétation faite de Mahomet dans la tragédie Le fanatisme ou Mahomet le prophète écrite en 1736 et représentée pour la première fois en 1741.

Bien. Admettons. Euh... non. Avant d'admettre, allons voir de plus près le texte de Deleyre. Voici donc l'article FANATISME, auquel aucun lien ne renvoyait dans le billet des "invités de Mediapart" (Deleyre - L’Encyclopédie, 1re éd. 1751, Tome 6, pp. 393-401): http://fr.wikisource.org/wiki/L’Encyclopédie/1re_édition/FANATISME

Et celui de Voltaire, dans le Dictionnaire Philosophique de 1764 :

http://www.lyc-lurcat-perpignan.ac-montpellier.fr/intra/fra/premiere/lumieres/voltaire/fanatism.htm

En faire l'entière lecture permet de constater à quel point Voltaire et Deleyre sont... proches.

Allons à l'essentiel, en six points :

a) Deleyre caricature la superstition et les attitudes qui lui sont attachées dans un style que n'aurait pas renié son présumé adversaire. « figurez-vous un dévot de chaque secte éteinte ou subsistante, aux piés de la divinité qu’il honore à sa façon, sous toutes les formes bisarres que l’imagination a pû créer. A droite, c’est un contemplatif étendu sur une natte, qui attend, le nombril en l’air, que la lumiere céleste vienne investir son ame ; à gauche, c’est un énergumene prosterné qui frappe du front contre la terre, pour en faire sortir l’abondance »

b) Deleyre critique radicalement la guerre et le fanatisme, indissociablement mêlés, et évoque longuement le danger de mêler politique et religion : « Ils se partagent le monde, & bientôt le feu s’allume aux quatre extrémités; les peuples écoutent, & les rois tremblent. (...) tous ces mouvemens tumultueux augmentés par le trouble de chaque particulier, rendent en peu de tems le vertige général. »

« C’est ainsi que le fanatisme a consacré la guerre, & que le fléau le plus détestable est regardé comme un acte de religion »

c) Défense de la Tolérance, maître-mot voltairien, s'il en est : « Est-il possible que les rois condamnent à mort tous les sujets de leurs états qui veulent retourner au paganisme, parce que la nouvelle religion ne leur convient pas ; que les peuples excédés de la tyrannie de leurs conquérans, renoncent à cette même religion qu’ils ont reçûe par force ; que dans la réaction des soûlevemens, ils s’oublient jusqu’à trépaner les prêtres & raser les églises, & qu’enfin pour une église détruite, on égorge toute une nation ? Prenez garde de vous laisser séduire à ce ton emphatique ; ouvrez les annales de toutes les religions, & jugez vous-même. » « Pourquoi regarder l’hérésie comme un crime inexpiable ? eh ! n’a-t-on pas une raison de le pardonner dans ce monde, dès qu’il ne se pardonne point dans l’autre ? » « La persécution enfante la révolte, & la révolte augmente la persécution ».

d) Comparaison du fanatisme avec le « MAL DES ARDENTS ». Il est amusant de savoir ce qu'écrit Voltaire dans le Dictionnaire Philosophique : « Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu. ».

Et de le comparer à ce qu'écrit Deleyre : « Il courut dans le xj. siecle un fléau, miraculeux selon le peuple, qu’on appella la maladie des ardens. C’étoit une espece de feu qui dévoroit les entrailles. Tel est le fanatisme, cette maladie de religion qui porte à la tête, & dont les symptomes sont aussi différens que les caracteres qu’elle attaque. »

La comparaison Mal des Ardents / fanatisme est identique.

e) Eloge de l'IRONIE et, tenez vous bien, de la CARICATURE pour lutter contre le fanatisme: « il n’y a que le mépris & le ridicule qui puissent les décréditer & les affoiblir. On dit qu’un chef de police, pour faire cesser les prestiges du fanatisme, avoit résolu, de concert avec un chimiste célebre, de les faire parodier à la foire par des charlatans. Le remede étoit spécifique, si l’on pouvoit desabuser les hommes sans de grands risques ».

Deleyre, comment aurait-il lu Charlie Hebdo ? C'est à considérer... Il défend ici la parodie et la caricature comme moyen intelligent de lutter contre le fanatisme. C'est à dire qu'il rejoint totalement Voltaire dans les moyens de lutter contre le fanatisme.

f) Le plus comique : critique de tous les fanatismes et de toutes les religions, y compris de la religion mahométane en terme là aussi assez voltairiens. Qu'on en juge :

Voltaire fait dire à son Mahomet « Mon triomphe en tout temps est fondé sur l’erreur ».

Deleyre, pas autre chose : « Mahomet une fois desabusé, il lui en coûta moins de soûtenir son illusion par des mensonges, que d’avoüer qu’il s’étoit égaré » mais aussi : « C’est ici qu’on peut demander si Mahomet étoit un fanatique, ou bien un imposteur. Il fut d’abord un fanatique, & puis un imposteur »

Texte moderne par bien des aspects (on peut lui trouver des accents pré-laïcs, il esquisse une critique du colonialisme ainsi qu'une analyse anthropologique du fanatisme...), il n'est aucunement en opposition frontale avec la pensée voltairienne : défense de la tolérance, rejet radical du fanatisme, renvoi dos-à-dos des religions, refus de l'athéisme, libéralisme des solutions à lui opposer...

Alors quoi ?

Pour justifiez le billet demeure ce (très) court passage (243 « characters » sur 10795 me susurre OpenOffice, soit 2,25 % de l'ensemble) :

« Mais ce n’est pas assez de répondre à cette question, si l’on ne demande grace aux lecteurs pour l’avoir faite : car il est peut-être contre le droit des gens, & contre les égards que les nations se doivent entr’elles, de jetter de pareilles imputations sur les législateurs mêmes qui les ont séduites ; parce que le préjugé qui leur déguise la force des preuves d’une religion contraire, semble les autoriser à la récrimination. Ainsi, loin d’approuver celui qui mettroit sur la scene un prophete étranger pour le joüer ou le combattre ; tandis que le spectateur bat des mains & applaudit à son heureuse audace, le sage peut dire au grand poëte : si votre but avoit été d’insulter un homme célebre, ce seroit une injure à sa nation ; mais si vous ne vouliez que décrier l’abus de la religion, est-ce un bien pour la vôtre ? A Dieu ne plaise qu’on prétende justifier un culte aussi contraire à la dignité de l’homme ; mais comme on parle ici pour toutes les nations & pour tous les siecles, on deviendroit suspect au grand nombre des lecteurs qui veulent s’éclairer en s’accommodant au langage d’une legere portion de la terre. Ceux qui sont persuadés, n’ont pas besoin de preuves ; & ceux qui ne le sont pas, sans doute ne veulent pas l’être : ainsi ne balancez pas à détester le fanatisme par-tout où vous le verrez, fût-il au milieu de vous. »

En effet, pas de doute, il s'agit d'une critique de Voltaire. Le « grand poëte » (l'ironie n'est pas certaine), c'est lui.

Mais que dit Deleyre ? Qu'il existe un risque, puisque les Lumières et leur Encyclopédie entendent parler universellement (« pour toutes les nations & pour tous les siecles ») d'être mal compris, de pécher par ethnocentrisme : la critique de l' « abus de religion » risque de passer pour une « injure à la nation » étrangère et d'empêcher que la pensée des Lumières se répandent au-delà de leur pays.

Sa condamnation du fanatisme est pour autant radicale : « A Dieu ne plaise qu’on prétende justifier un culte aussi contraire à la dignité de l’homme » et le paragraphe se conclue par un encouragement à ne pas hésiter à « détester le fanatisme ».

Alors ? Cette critique est sans doute à entendre, mais est-il honnête de titrer « L'Encyclopédie contre Voltaire » ? A l'examen, comment le défendre, ce titre ? La quasi totalité de l'article est en accord avec Voltaire, tant sur le fond que la forme, et jusque dans sa critique de Mahomet. Tronquer ainsi l'article de Deleyre permet de véhiculer un message ; au détriment de toute honnêteté intellectuelle.

Pourquoi agir ainsi ? Pourquoi chercher à atteindre Voltaire?

Que la droite, l'extrême-droite aient toujours haï Voltaire est une évidence logique, et c'est de bonne guerre : il leur a porté des coups dont ils ne sont toujours pas remis. Mais à gauche ?

Il semblerait que dans une certaine gauche, qui défend une laïcité « ouverte », Voltaire est maintenant le mort à abattre car il est à ses yeux le fer-de-lance d'une critique de la "religions des opprimés". Voltaire est sacrifié sur l'autel de l' "islamophobie" assimilé à un racisme... Cette gauche Frankenstein se croit généreuse et progressiste, mais il me semble qu'elle sous-estime complètement la question religieuse et les cataclysmes qu'elle est capable d'engendrer. Elle promeut le morcellement de la société en communautés, favorisant au passage les des plus extrémistes des croyants. Si à court terme, ce morcellement peut permettre un apaisement, c'est à moyen terme l'apparition de mondes séparés qui pourront un jour être au bord de l'affrontement.

Il y a un méprise majeure, véritablement tragique, à voir dans Voltaire un fanatique de la critique des religions. C'est un critique du fanatisme de toute religion. Attaquer Voltaire sur ce plan, c'est faire preuve d'ouverture d'esprit, certes, mais envers des personnes qui n'en ont aucune.

Et le réveil risque d'être douloureux.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.