Par les forêts où je passe

Plus aucun lieu n'échappe à la destruction.

Là-bas la guerre, stricto sensu, menée directement contre des êtres humains. Ici, celle, diffuse, larvée, contre la richesse et la beauté de la vie. Celle-ci rejoint bien sûr, in fine, celle-là: c’est aussi, sous une autre forme, une guerre que nous menons contre nous-mêmes. Et ça n'a pas de fin, dirait-on, et on a oublié le début du massacre, c'était avant le Pléistocène, avant le lever du soleil peut-être. On a tôt commencé de vouloir maitriser notre environnement : le détruisant. Le ver était-il dans le fruit ?

« et quand il veut serrer son bonheur il le broie »

Le forêts du Pilat ne sont pas sorties de la cuisse de Jupiter, mais c'est tout comme : de la volonté humaine d'avoir, à peu de distance d'une industrie extractiviste qui fit de Saint-Étienne une ville-champignon du XIXeme siècle, de quoi étayer les galeries faites dans la terre, de quoi faire de grands feux.

Les sapins ont poussé ici par notre volonté, modifiant complètement l’écosystème, acidifiant les sols, assombrissant les hivers.

Les forêts royales, les grandes forêts domaniales, obéissaient à des impératifs que nous avons oubliés, à des logiques de temps long. Ce n’était pas le bon vieux temps, bien sûr.

Mais avec l'industrie, le temps court s’impose et ne cesse, depuis le XIX, de devenir plus court.

Les mono-cultures de conifères, les machines-monstres qui abattent, découpent, dépècent en une heure les arbres dont l’abattage aurait nécessité le travail acharné de dix bûcherons pendant des jours, c’est, devenue visible, cette idéologie de l’efficience, de la rentabilité immédiate qui est à elle-même de plus en plus incertaine, et générant donc sa propre accélération affolée, tend vers l’infini, c’est à dire vers des décisions follement "rationnelles", prises à la nano-seconde par des algorithmes. Qui nous échappent.

Idéologie devenue visible. Pour qui veut/ peut encore voir.

Cela laisse dévasté, ouvert à tous les vents mauvais, un paysage où les chevrons épais imprimés aux fondrières des chemins, semblent indiquer l’absence de perspective.