La répression des Ouïghours existe au Xinjiang. Elle relève très probablement de la qualification juridique de « crimes contre l’Humanité ». Mais ce sont les chercheurs et les juristes qui doivent déterminer et les faits et leurs qualifications juridiques, et ce le plus indépendamment possible -c’est à dire à l’écart des pressions américaines ou chinoises.
C’est pour cela qu’il faut saluer le courage intellectuel de Clémentine Autain1 et de la France Insoumise qui osent ne pas plier devant la dégoulinance de bons sentiments dont s’affublent ceux qu’on pourrait pourtant bien appeler, si l’on reprenait leur propre définition extensive et subjective du mot « génocide », des … génocidaires.
En effet, combien de morts en Irak, combien en Libye, en Syrie et ailleurs ?
Et combien seront massacrés au Yemen avec les armes françaises glorieusement vendues par notre VRP en chef ? Ce sont là des morts pour la démocratie, me souffle-t-on. J’oubliais.
Passons. Ces positions, au moins, seront -elles conséquentes ? On ne saurait croire le contraire. On voit déjà fort bien Hidalgo annuler les JO de l’été 2024. On croit savoir que L’UMP s’est fortement distancé d’un parti chinois avec lequel, dans un accord vieux de 12 ans, il a souhaité « multiplier les échanges entre dirigeants mais aussi entre cadres et élus du parti ».
On imagine surtout Macron, dans le sévère froncement de sourcil qui lui est si caractéristique, rompre toute relation commerciale avec la Chine. C’est mal parti, non ?
Et c’est donc moins « saluer le courage intellectuel de Clémentine Autain et de la France Insoumise » qu’il faut faire, que dénoncer le cynisme pervers et l’inconséquence dont font preuve tous ces brillants votants.
Car dans cette affaire, il y a surtout deux choses à comprendre:
- L'instrumentalisation de la souffrance du peuple Ouïghour à un niveau géopolitique (donner des arguments aux EU2 en train de resserrer leur étau sur la Chine, en passe de les détrôner).
- L’instrumentalisation de la souffrance du peuple Ouïghour en politique intérieure (ça permet en effet à Macron de ternir l'image de la FI et de se donner à peu de frais une image d'homme plein de compassion).
Dans cette affaire, donc, la souffrance des Ouïghours, tout le monde s'en fout3.
Enfin, le courage intellectuel est ici indémêlable d’une vision réellement démocratique de l’Histoire et du Droit. Clémentine Autain rappelle quelque chose de fondamental: "Je ne suis pas capable d’affirmer que c’est un génocide parce que je me fie au monde universitaire, aux ONG qui travaillent sur la question, aux travaux de l’ONU."
Ce ne sont pas les politiques qui doivent dire l’Histoire, dire le Droit.
Ne pas respecter cette séparation des rôles, c’est bafouer un principe démocratique fondamental. Et dans ce cas précis, c’est affaiblir la puissance du mot "génocide" qui, n’en déplaise à certains, à un sens précis. S’en servir à tort et à travers, sans légitimité historique et juridique, pour instrumentaliser l'histoire à des fins (géo)politiques en surfant sur sa charge émotionnelle, c’est se condamner, à moyen terme, à voir ce terme tellement galvaudé, tellement évidé, qu’il n’aura plus aucun impact.
« Tiens, encore un génocide. Un scotch, please », entendra-t-on au café du commerce du Sénat.
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1 Laquelle a toujours dénoncé les exactions commises.
2 L'accord Aukus n'aura donc pas suffi à nous désaligner. Mais il est vrai que nous avons pu vendre, comme en retour dirait-on, des Rafales à MBS qui pourra donc très humanitairement, car avec l'aval implicite du très démocratique Macron, massacrer des Houthis.
3 En fait, c’est pire : nos "élites" sont de plus en plus fascinées par le"modèle" chinois. LREM comme l'UMP. Le capitalisme autoritaire leur semble, maintenant que la séduction consumériste a du plomb dans l'aile, un horizon à envisager. C’est ce que qu’explique très bien Barbara Stiegler.