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Billet de blog 25 mai 2025

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Une diplomate gazaouie entre deuil et espoir politique

Ce 15 mai 2025 marqua le 77ème anniversaire de la Nakba. A cette occasion, l’ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou-Hassira, a pris la parole pour alerter, accuser, mais aussi proposer. Elle a révélé des évolutions politiques internes aux Palestiniens, et lancé un appel pour qu'Israël reconnaisse l’État palestinien. Analyse d’un discours tenu par une voix qui se fait rare dans les médias.

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« Nous avons reconnu Israël en 1994. À lui maintenant de reconnaître notre droit à exister. »

« Ce n’est pas un tremblement de terre. C’est une entreprise de destruction politique. »

« Même dans les ruines, nous sommes un sujet de droit, pas un simple objet humanitaire. »

Le 14 mai 2025 à Paris, Hala Abou-Hassira, a formulé trois affirmations majeures : l’existence de contacts directs entre son gouvernement et le Hamas en vue d’une réunification politique ; la demande explicite à la France de reconnaître immédiatement l’État de Palestine; la condamnation de la guerre en cours à Gaza comme un "génocide assumé", et non une riposte proportionnée au 7 octobre.

C'est une voix rare, à la fois blessée et résolue, qui s'est exprimée publiquement au café Zimmer, Paris. Hala Abou-Hassira porte un deuil impossible : elle ne compte plus le nombre de membres de sa famille tués par les frappes israéliennes. Pourtant, pendant la conférence de presse organisée par l’Association de la Presse Etrangère (APE), elle n'a pas appelé à la vengeance. Elle a plaidé pour le droit, la reconnaissance, la paix. Et se dit optimiste malgré l’effusion de sang en ces derniers 20 mois.

C’est sur des faits que la diplomate fonde un discours résolument politique, au moment où les destructions s’accumulent et que les processus diplomatiques se trouvent enlisés. Si les images venues de Gaza laissent entrevoir une société broyée, l’ambassadrice insiste sur l’opportunité historique qui se dessine sur le plan international. Elle évoque un "momentum", une fenêtre de clarté possible, à condition que la communauté internationale rompe avec la logique du « double standard ».

Un tournant diplomatique ?

Non seulement la France s’est engagée à "envisager" la reconnaissance de l’État de Palestine dans le cadre de la conférence internationale prévue en juin 2025 [1], mais plusieurs pays européens - Espagne, Irlande, Norvège, Slovénie, Arménie - ont déjà franchi le pas. En même temps, Londres, de même qu’Ottawa, se sont dit prêts à aller dans ce sens avec la France lors de la conférence de juin aux Nations unies. Ce mouvement est qualifié de "moment historique" par l’ambassadrice, qui demande qu’il soit saisi comme un levier d’action, et ce malgré les drames en cours.

Les évolutions politiques incluent une évolution plus discrète : la déclaration publique de l’existence de contacts directs entre l’OLP et le Hamas, en vue d’une unification du gouvernement palestinien. Selon l’ambassadrice, ces discussions visent une restructuration complète : « une seule autorité, une seule stratégie, une seule arme nationale ». Elle pose toutefois des conditions pour mettre fin à un conflit inter-palestinien qui dure depuis 2007 : respect des accords signés, adhésion à la charte de l’OLP, et engagement vers une logique politique et non militaire.

Hala Abou-Hassira est bien placée pour connaître les complexités de telles négociations. Diplomate aguerrie et femme de dossiers, elle est née en 1976 dans le quartier Al-Rimal à Gaza. Après une licence en littérature anglaise à l’université Al-Azhar de Gaza City, elle poursuit ses études en diplomatie à Malte, avant d'intégrer l'École nationale d'administration (ENA) à Paris, promotion "Winston Churchill" (2015). Elle a servi au Gabon, en France, auprès de l’Union européenne, au Canada, puis comme ambassadrice en France depuis 2021. Abou-Hassira est la première femme à occuper ce poste pour la Palestine. Trilingue (arabe, anglais, français), elle incarne une diplomatie palestinienne offensive, déterminée, mais toujours adossée au droit.

Reconnaissance et mise en contexte du 7 octobre

Interrogée sur les attaques du 7 octobre 2023, l’ambassadrice ne nie pas les faits. Elle parle de crimes de guerre qui doivent être jugés, mais rappelle que la justice ne peut être à géométrie variable. Car le 7 octobre ne peut être une autorisation à perpétrer l’inexprimable. Selon elle, c’est une "instrumentalisation d’une tragédie pour en produire une autre, plus vaste et meurtrière". Elle qualifie l’opération israélienne de "génocide assumé".

Les chiffres de The Lancet appuient ce constat : entre 55 000 et 78 000 morts sont attribués aux bombardements et exactions israéliennes à Gaza entre octobre 2023 et juin 2024 [2]. La poursuite des bombardements, le blocus total, les destructions massives (plus de 92 % des habitations), la famine, les maladies mortelles et les assassinats de civils ont certainement décuplé ces chiffres. Ce ne sont pas des dommages collatéraux, mais, selon la diplomate, "les instruments mêmes de la politique israélienne actuelle".

Une stratégie d’annexion par le vide

Cette politique n’est pas seulement militaire. En mai 2025, la Knesset a voté une loi permettant aux colons d’avoir des titres fonciers légaux sur des terres palestiniennes en Cisjordanie [5]. Cette mécanique juridique entérine une stratégie d’annexion rampante, « douce » mais structurelle. L’ambassadrice y voit un basculement : « Le but n’est plus seulement de fragmenter la Palestine. Il s’agit de la vider. »

Abou-Hassira rappelle également le caractère illégal de l’occupation, reconnue par la Cour internationale de justice en 2024 comme une forme d’apartheid, selon les critères définis par l’ONU et partagés par Amnesty, Human Rights Watch, et B’Tselem [6].

77 ans de déni et d’impunité

Mais la diplomate insiste sur une histoire qui débute après la Seconde Guerre mondiale. « La question palestinienne n'a pas commencé le 7 octobre 2023 », affirme-t-elle. « Elle commence en 1948, par l'expulsion de plus de 750 000 Palestiniens et la destruction de 530 villages. La "Nakba" (« catastrophe », en arabe) est un traumatisme fondateur qui marque le début d’un projet de colonisation étatique. Depuis cette date, Israël a mis en place une stratégie continue de confiscation des terres, d’extension de colonies illégales, de nettoyage ethnique, et de refus d’un État palestinien.

Hala Abou Hassira énumère certaines des lois internationales violées par l’Etat israélien. La colonisation israélienne en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, abuse de la Quatrième Convention de Genève (1949) qui interdit le transfert de population civile dans un territoire occupé. La Cour internationale de Justice (CIJ) a qualifié cette occupation de "prolongée, illégale" depuis 1967, et d’« apartheid » dans son avis de 2024. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) y voit un crime de guerre.

Pourtant, insiste la diplomate, Israël continue à bénéficier d’une impunité quasi absolue.

Gaza : laboratoire d’une extermination moderne

Depuis 2007, la bande de Gaza est soumise à un blocus étouffant. « Les autorités israéliennes y calculaient même le nombre de calories nécessaires à la survie d’un Gazaoui, afin de calibrer le nombre de camions autorisés à entrer – une stratégie que les Nations unies ont qualifiée de punition collective. »

A partir du 7 octobre 2023, l’offensive israélienne a franchi un seuil inédit : 92% des bâtiments sont détruits, selon les agences de l’ONU. Les approvisionnements en énergie, en eau, en nourriture, en médicaments sont coupés. Les hôpitaux, les écoles et les mosquées sont visés. Les ONG et reporters internationaux tenus à distance tandis qu’une famine fabriquée par le blocus est en cours.

La CPI a déjà délivré un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou pour usage de la famine comme arme de guerre. Mais aucune sanction n’a suivi. L’ambassadrice le martèle : « C’est un génocide. Et il est assumé ».

Cisjordanie : extension du champ de ruines

Zone moins couverte par les médias, la Cisjordanie n’est pas épargnée. Depuis octobre 2023, plus de 1 000 Palestiniens y ont été tués. Des camps de réfugiés à Jénine et Tulkarem sont rasés, les routes contrôlées par des colons équipés et protégés par l’armée. L’apartheid spatial atteint son paroxysme : « La capacité de mouvement du peuple palestinien est quasi impossible, » martèle Abou-Hassira. « Pour faire un trajet de trois kilomètres, on passe des heures à traverser des checkpoints. Et ces checkpoints se sont décuplés : on en est à 1000 en Cisjordanie, et ils rendent la vie quotidienne des Palestiniens impossible. »

Et derrière les chiffres, une stratégie d’annexion. Une nouvelle loi israélienne délivre des titres de propriété aux colons sur les terres palestiniennes. L’annexion rampante devient légale aux yeux d’Israël, mais toujours illégale en droit international. Or, dénonce l’ambassadrice, les multinationales étrangères continuent à œuvrer au cœur de ces territoires, ignorant les cadres juridiques formulés au niveau international[7]. Des sociétés comme Caterpillar, la Société Générale et Airbnb ne sont pas seulement complices de violations des droits humains. Elles soutiennent activement les mécanismes qui rendent ces exactions possibles.

Parmi les victimes invisibles, Hala Abou-Hassira nomme les 10 000 détenus palestiniens sans jugement, dont des centaines d’enfants, certains de moins de 12 ans. Les rapports d’ONG israéliennes, aujourd’hui criminalisées, font état de violences systématiques, de privations, de viols en détention. Pour elle, ce n’est pas un dérapage : c’est une "politique de la peur".

L’appel à la France

Ce discours aurait pu être militant. Il reste diplomatique. Mais il est porté par une femme que le conflit a frappé de plein fouet. Hala Abou-Hassira a perdu plus de 200 membres de sa famille dans les bombardements israéliens de 2023-2025. Une tragédie qu’elle évoque sans pathos, mais avec une émotion contenue : "Ceux qui restent à Gaza ne dorment plus. Ils posent des pierres sur l’estomac des enfants pour ne plus sentir la faim."

Lors de son audition à l’Assemblée nationale en novembre 2024, l’ambassadrice avait salué l’attachement de la France au droit international [8]. A la conférence de presse, elle renouvelle cet appel : reconnaissance immédiate, embargo sur les armes, suspension de l’accord UE-Israël [9]. « L’Afrique du Sud a saisi la CIJ pour violation de la Convention sur le génocide. Mais l’absence de sanctions réelles renforce un régime d’impunité qui fragilise le droit international lui-même. » Abou-Hassira réclame des sanctions « diplomatiques, économiques, et surtout militaires ». « Suspendre l’accord d’association entre l’UE et Israël, comme l’y autorise l’article 2 (respect des droits humains), serait un premier pas », insiste -t-elle.

Un espoir politique, pas un vœu pieux

« Nous avons reconnu Israël en 1994. À lui maintenant de reconnaître notre droit à exister. » Cette phrase revient comme un refrain. La diplomate affirme que la Palestine, même dans les ruines, reste une entité politique, porteuse de droit. La solution à deux États est pour elle un compromis. La cohabitation est possible. Mais l’éradication n’est pas une option.

Dans une conclusion sobre, Hala Abou-Hassira adresse d’abord un appel aux journalistes : « Soyez les voix de ceux que l’on tente de faire taire ». Elle rappelle aux membres de l’APE que plus de 200 de leurs confrères et consœurs sont tombés à Gaza, un chiffre plus élevé que celui des journalistes tués durant les deux guerres mondiales et la guerre d’Afghanistan réunies.

Puis, l’ambassadrice rappelle la solution à deux États. « C’est la concession la plus douloureuse que nous ayons faite », rappelle-t-elle. Mais l’alternance est claire : un seul État d’apartheid, où les Palestiniens seraient des citoyens de seconde zone, ou bien l’éradication pure et simple de leur existence politique – et physique. Et que reste-t-il de la diplomatie, quand la France conditionne la reconnaissance de la Palestine à un "bon timing" ? Pour Hala Abou-Hassira, il n’y en aura jamais : « Faire la bonne chose de devrait pas dépendre du bon moment. »

Références :

[1] https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/guerre-israel-hamas/la-france-pourrait-reconnaitre-l-etat-de-palestine-selon-emmanuel-macron_6477424.html
[2] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)02678-3/fulltext
[3] https://www.icc-cpi.int/news/prosecutor-karim-aa-khan-kc-seeks-arrest-warrants-netanyahu-and-hamas-leaders-gaza-crimes
[4] https://www.unocha.org/publications/report/world/occupied-palestinian-territory-situation-report-10-may-2024
[5] https://www.haaretz.com/israel-news/2025-05-15/ty-article/.premium/knesset-approves-cadastral-bill-that-would-legalize-west-bank-land-grabs/0000018c-43f4-da55-adfd-c7ff49360001
[6] https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/
[7] https://orientxxi.info/magazine/palestine-les-multinationales-contre-le-droit-international,7717

[8] https://videos.assemblee-nationale.fr/video.15820688_673d9511af679.commission-des-affaires-etrangeres--mme-hala-abou-hassira-representante-de-l-autorite-palestinienn-20-novembre-2024

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/25/gaza-la-france-appelle-a-un-cessez-le-feu-humanitaire-et-un-embargo-sur-les-armes_6197003_3210.html

Daniel Brown, journaliste indépendant, mai 25, 2025

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