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Billet de blog 14 juillet 2015

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Tsipras en Antigone

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Tsipras en Antigone

Le courage et l'angoisse.

Lors d'un discours devant le parlement européen, durant ce moment suspendu entre le referendum et la reddition, Tsipras a comparé sa position à celle de l'Antigone de Sophocle.

Cette comparaison n'est pas sans fondement. Pour Tsipras il s'agissait d'évoquer le devoir de refuser des lois iniques au nom d'une idée supérieure de la justice. Et c'est sans doute ce mérite que tout un chacun reconnaissait à la décision de referendum. Cette volonté de désobéissance fut renforcée au-delà de toute attente par le vote massif en faveur du non.

Mais dès le lendemain du vote une seule question était sur toutes les lèvres : et maintenant ?

Ce qui dominait était un étrange mélange fait de la joie d'avoir su dire non à ceux qui réduisent la Grèce en esclavage et de la crainte de la réaction des maîtres.

Et c'est sans doute ce qui rend plus pertinente la comparaison de Tsipras. Car, sans doute avait-il déjà à l'esprit la capitulation qu'il devrait accepter. Et à l'instar d'Antigone il marchait vers sa perte, avec la conscience d'avoir à endurer les conséquences de l'insoumission à l'ordre imposé par l'UE.

Mais quelle est la nécessité de ce destin ? L'angoisse qui a pu étreindre le peuple au lendemain du vote ne pouvait-elle trouver d'apaisement que dans la punition ?

Car c'est bien d'angoisse qu'il s'est agi. Angoisse devant le vide ouvert par le geste qu'a été le vote non. Que pouvait affirmer Tsipras, de quel projet émancipé de la tutelle de l'oligarchie capitaliste était-il porteur ? Hélas, d'aucun sinon de vouloir prouver qu'on ne pourrait pas l'assujettir sans qu'il proteste devant les excès de cet assujettissement. Et après avoir fait preuve de cette capacité à protester il n'avait plus d'autre choix que de reprendre le chemin de la servitude. Ce qu'il fit, la mort dans l'âme n'en doutons pas.

Mais Tsipras et son gouvernement sont une chose : le peuple grec en est une autre.

Ce qui a donné au résultat du referendum un tel poids c'est que derrière le vote se profilait l'apparition du peuple sur la scène, l'entrée en jeu d'un acteur dont le rôle prévu est de choisir ses représentants aux moments canoniques. Or à travers ce vote se faisait jour une volonté politique du peuple : en finir avec l'humiliation imposée par une poignée de capitalistes à l'immense majorité.

Et c'est cela qui est insupportable pour les Etats et pour l'UE, qu'ils perçoivent comme une menace. Avant même l'issue du vote l'initiative du referendum était perçue comme un coup de poignard dans le dos. Que le peuple s'exprime sur les décisions économiques relève de l'inconcevable : vouloir intervenir sur les choix économiques à partir d'une volonté politique c'est ce qui proprement est l'impossible de ce monde.

De la volonté de toucher à l'impossible nait l'angoisse quand cet impossible est posé en dogme.

Et il l'est pour tous les gouvernements qui ne reconnaissent d'ordre que l'ordre capitaliste. Depuis la disparition des Etats communistes, c'est le cas général. Et c'est bien celui assumé par le gouvernement grec. Même si des aménagements, des adoucissements, des perspectives lointaines de changements plus fondamentaux sont envisagés, en finir avec le capitalisme n'est pas à l'ordre du jour. Il est absolument essentiel de trouver la forme contemporaine de l'idée communiste.

D'où l'angoisse : cette loi capitaliste est insupportable mais il est impossible de s'y soustraire.

Le peuple représente ce lieu d'où peut surgir ce qui rendra l'impossible possible. Ce qui permettra de transformer l'angoisse en courage et de passer de la loi du capitalisme à la justice.

Mais si le peuple est ce lieu, la simple affirmation de son existence et de sa capacité à faire surgir d'autres possibles n'y suffit pas. Il y faut la forme organisée de cette volonté, il faut l'instrument du courage. Et c'est ce dont doit se doter le peuple, non seulement le peuple grec mais dans un internationalisme renouvelé les peuples du monde entier.

Quelle peut être cette forme organisée ? La réponse aujourd'hui se dit principalement de manière négative : ce n'est pas sous la forme des partis politiques dont la perspective est la prise du pouvoir.

Et de ce point de vue l'apparition d'organisations telles que Syriza et Podemos, nées au lendemain de mouvements populaires, ont pu indiquer une ouverture vers des formes d'organisations dont l'objectif est davantage d'incarner une volonté populaire que d'accéder au pouvoir d'Etat. Mais la douloureuse expérience grecque montre la limite de cette représentation populaire lorsque ces organisations sont au pouvoir. Seule une organisation des gens, suffisamment forte pour prescrire aux Etats les politiques qu'ils estiment bonnes permettra de sortir de l'impuissance et de l'angoisse.

Travailler, ensemble, à trouver les formes d'une telle organisation et réinventer l'idée communiste est sans doute la forme du courage politique aujourd'hui.

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