L’actuel premier ministre de la république française (autoproclamée) a déclaré au journal Ouest France :
« Ce qui a été acté, c'est qu'il fallait attendre l'épuisement d'une série de recours et des décisions de la justice administrative. Ce sera le cas au premier semestre 2015. Après la décision du tribunal administratif, il faudra alors s'engager dans la construction de Notre-Dame-des-Landes »
http://kiosque.leditiondusoir.fr/data/395/reader/reader.html#preferred/1/package/395/pub/396/page/4
1 Du point de vue du fonctionnement du langage
On remarquera tout d’abord l’usage répété du verbe « falloir», traduisant une nécessité, dans les deux phrases successives : "il fallait attendre" / "il faudra alors s’engager". Maladresse involontaire ou tentative de manipulation du lecteur en mettant sur le même plan ces deux nécessités bien différentes l’une de l’autre : attendre l’épuisement (présumé) d’une série de recours et enager la construction.
Etrange déclaration bien peu respectueuse d’une juridiction censée être indépendante : « après la décision du tribunal administratif » ! Mais que dit cette décision qui, officiellement du moins, n’est pas encore prise ?
En tout cas en utilisant ici l’expression «ce qui a été acté » Valls veut agir sur l’inconscient du lecteur pressé et veut créer la confusion suivante : le tribunal administratif actera l’épuisement des recours alors qu'en principe il doit se prononcer le 15 janvier.
Le lecteur attentif qui s’attache à toutes les nuances de la langue française sait aussi que le verbe attendre n’a pas seulement un sens passif d’attente mais qu’il peut également avoir un sens beaucoup plus actif et être synonyme de vouloir, d’ordonner, d’exiger étant issu du latin « ad tendere » qui signifie aussi : « chercher à, s’efforcer de, faire des efforts, déployer de l’énergie» (http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=tendere) . Attendre l'épuisement des recours ou bien tendre vers cet épuisement ?
On aura donc compris que Valls attends (veut, ordonne, exige …) l’épuisement d’une série de recours présenté devant le tribunal administratif ainsi que des décisions de la justice administrative (bien sûr favorables au point de vue qui est le sien).
La moindre des politesses vis-à-vis du tribunal administratif aurait voulu qu’il s’exprime en suite au subjonctif en disant : Ce qui a été acté, c’est qu’il fallait attendre l’épuisement d’une série de recours et des décisions de la justice administrative pour qu’après la décision du tribunal administratif il faille alors s’engager dans la construction de Notre-Dame-des-Landes.
En effet, les verbes : vouloir, ordonner, dire (quand il a une valeur d'ordre), défendre, douter, attendre, préférer, souhaiter, regretter, être satisfait, être possible, ont une valeur de vérité incertaine ; on emploie donc le subjonctif dans la proposition qui les suit.
voir à ce sujet http://www.francaisfacile.com/exercices/exercice-francais-2/exercice-francais-25454.php
2 Du point de vue du fonctionnement de la justice administrative.
Comment sont recrutés les membres des tribunaux administratifs ?
Il existe plusieurs voies d'accès au corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, prévues aux articles L. 233-2 et suivants du code de justice administrative.
- Le recrutement par la voie de l’Ecole nationale d’administration. Conformément aux dispositions de l’article L. 233-2 du code de justice administrative, les magistrats administratifs sont recrutés parmi les anciens élèves de l’Ecole nationale d’administration. (mais en général les élèves de l’ENA choisissent bien d’autres débouchés et par conséquent il y a un concours spécifique
- Le recrutement direct par voie de concours externe et interne. Ce recrutement, organisé sous forme de concours (externe et interne), s’adresse pour le concours externe, aux titulaires de l’un des diplômes exigés pour se présenter au premier concours d’entrée à l’ENA, et pour le concours interne, aux magistrats de l’ordre judiciaire ou fonctionnaires, agents publics civils ou militaires appartenant à un corps ou cadre d’emplois de la catégorie A ou assimilé et justifiant, au 31 décembre de l’année du concours, de quatre années de services publics effectifs. ›
La composition du jury fixée lors de chaque session par arrêté du vice-président du Conseil d'Etat.
- Nomination au tour extérieur. La nomination de conseillers et de premiers conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d’appel par la voie du tour extérieur s’adresse aux fonctionnaires civils et militaires de l’État, ainsi qu’aux fonctionnaires de la fonction publique territoriale ou hospitalière, sous réserve notamment d’appartenir à un corps de catégorie A et de justifier de certaines conditions d’ancienneté et de grade. ›
Conformément aux dispositions des articles L. 232-1 et R. 232-22 du code de justice administrative, la sélection relève de la compétence du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, qui se compose (art. L232-2 CJA):
- du vice-président du Conseil d'État, président
- du conseiller d'État, chef de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives
- du directeur général de la fonction publique ;
- du secrétaire général du Conseil d'État ;
- du directeur chargé au ministère de la justice des services judiciaires ;
- de cinq représentants des membres du corps
- de trois personnalités qui n'exercent pas de mandat électif, nommées respectivement par : le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat.
Les candidats présélectionnés seront auditionnés par une délégation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs (voir composition ci-dessus)
On voit donc bien que ces recrutements quelles qu’en soient les modalités dépendent étroitement de l’appareil d’Etat (instrument de domination d'une minorité de la population au service de ses intérêts particuliers sur la majorité) et du pouvoir politique et que le vice-président du Conseil d’Etat joue ici un rôle essentiel sur lequel il convient de revenir.
Qui est le vice-président du Conseil d’Etat ?
« La présidence du Conseil d'État est confiée au Vice-président. Cette appellation est le lointain souvenir de l’époque où le Conseil d’État était présidé par le chef de l’État ou par une autorité politique ...
Il préside l'Assemblée générale qui donne des avis au Gouvernement, notamment sur les projets de texte. En théorie, elle peut être présidée par le Premier ministre, et en son absence, par le garde des Sceaux, ministre de la justice. Mais cela ne se produit que de façon très exceptionnelle et pour une séance à caractère protocolaire. » http://www.conseil-etat.fr/Conseil-d-Etat/Organisation/Le-Vice-president-du-Conseil-d-Etat
Il s’agit donc bien là d’une présidence assurée par un vice-président par délégation du chef de l’Etat … Cela n’est pas sans conséquence puisque le Conseil d'État est la plus haute juridiction administrative et selon les matières, il juge en premier et dernier ressort, en appel ou en cassation.
Valls peut donc faire confiance dans la décision de la justice administrative qui est censée être indépendante mais dont le recrutement et la promotion se fait sous dépendance étroite, même si ces fonctionnaires sont ensuite inamovibles.
Dans un contexte de flottement, l' intervention de Valls n'a pas d'autre sens que de vouloir influer sur les décisions qui seront prises par ce tribunal mais cette déclaration est tellement maladroite et ce combat est devenu si impopulairequ'elle va peut être se révéler contre-performante. Bon courage !