Un texte de Silvio que je porte à votre réflexion ⬇️
Il y a une certaine indécence, ou plutôt une certaine violence, à étaler dans les pages des journaux les « récits de confinement » de quelques bobos parisiens retranchés dans leurs maisons secondaires.
Il y a une certaine indécence, ou plutôt une certaine violence, à se faire l'écho aujourd'hui des élucubrations esthético-philosophiques d'une classe protégée.
Il y a une certaine indécence, ou plutôt une certaine violence, à déployer un imaginaire minoritaire en le présentant, du fait des supports, comme universel.
La question, une fois de plus, est : « de qui parle-t-on ? ». Quel(s) univers symbolique(s) voyons-nous déployé(s) ? De quelle(s) réalité(s) parle-t-on ?
Le confinement, il n'est pas dangereux pour celles et ceux qui sont confiné.e.s. Il est dangereux pour celles et ceux qui ne le sont pas.
Il y a, bien sûr, le personnel soignant. Traditionnellement invisible, il est cette fois mis sous le feu des projecteurs. Ou plutôt une image d'Epinal, des combattant.e.s en blouses blanches, véritables machines de guerre, en première ligne face à l'épidémie. Nous jetons le voile pudique de l'héroïsation pour ne pas trop nous poser la question des conditions matérielles de l'exercice. On ne veut pas trop savoir. On ne veut pas savoir que dès maintenant, des choix sont effectués entre deux patient.e.s pour savoir qui va mourir et qui on va tenter de sauver. On ne veut pas savoir que dès maintenant, certain.e.s enfilent des sacs poubelle pour tenter de se protéger. On ne veut pas savoir que le repas s'est composé d'un yaourt et d'un morceau de fromage, car les approvisionnements sont insuffisants.
Il y a aussi les forces de l'ordre. Policiers et policières à qui on ordonne de contrôler les déplacements en effectif insuffisant, avec un masque pour tout l'équipage.
Il y a enfin, et surtout, celles et ceux dont nous n'interrogeons même pas, comme à l'habitude, l'existence. Celles et ceux que l'on considère comme des machines, des rouages de la société. Dont on prend conscience uniquement lorsqu'ils et elles ne sont pas là. Ce sont les éboueurs et les éboueuses, qui quadrillent nos villes pour éviter qu'elles deviennent des dépotoirs attirant les rats et les maladies. Ce sont les employé.e.s de magasins, qui réapprovisionnent les rayons dévalisés avant de courir vers la caisse afin d'éviter que la queue ne s'allonge. Ce sont les vigiles qui tentent à longueur de journée de raisonner des clients paniqués ou méprisants. Ce sont celles et ceux qui nettoient nos lieux de travail, et notamment les hôpitaux. Ce sont celles et ceux qui livrent chaque jour des dizaines de repas, sans aucunes protections, pour notre confort. Ce sont celles et ceux qui traversent la France pour livrer des marchandises, sans pouvoir prendre de douche ou un café car les stations-service ferment. Ce sont celles et ceux qui continuent à travailler sur les chantiers, car « il ne faut pas bloquer le pays ». Ce sont celles et ceux qui interviennent pour réparer en urgence telle canalisation bouchée ou telle installation défaillante pour nous garantir l'accès à l'eau et à l'électricité. Ce sont celles et ceux qui enterrent nos mort.e.s.
Il est un apport connu de la sociologie que les classes populaires sont invisibilisées dans le récit collectif. Même en cette période de confinement où les seul.e.s qui continuent de travailler sont celles et ceux sans qui notre système s'effondrerait en quelques jours.
Comme toujours, faire de la politique c'est faire des choix. Choisir un camp, prendre parti. Participer ou refuser de participer à cette dynamique.
Silvio, 22 mars 2020

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