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Billet de blog 13 janvier 2011

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A qui profite le crime ?

 Il se passe quelque chose d'indigne autour de la Manufacture des Œillets et de son ancien propriétaire Eric Danel.

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Il se passe quelque chose d'indigne autour de la Manufacture des Œillets et de son ancien propriétaire Eric Danel.

En 1989, ce bâtiment magnifique a été sauvé et racheté par Eric Danel avec le concours de la Banques Vernes Artésia. Contre vents et marées (3 dépôts de plusieurs tonnes de gravats devant l'entrée principale du bâtiment à l'initiative de la Mairie) Eric Danel a entrepris de faire de cette ancienne usine désaffectée, un des plus grands centres d'art contemporain indépendant de France, attirant au fil des ans, des centaines de milliers de visiteurs et faisant même l'objet d'un classement aux Monuments Historiques.

Des spectacles de Patrice Chéreau, Olivier Py, Philippe Caubère, Jacques Doillon, des expositions de Gilles Caron, Aki Kuroda, Raymond Depardon, l'accueil des programmations du Festival d'Automne, du Festival d'Ile de France de Musique Classique, du FRAC... l'installation dans le lieu de l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, et d'une salle de répétitions pour le Châtelet, les Portes ouvertes aux journées du Patrimoine, les expos-vente au profit d'associations de l'Hôpital Bichat, d'Arcat Sida, des Enfants de la Source, des dizaines d'évènements, expositions, concerts, défilés, tournages... En quelques années, Eric Danel avait réussi ce miracle de fabriquer un lieu entièrement dédié à la culture sans l'aide de la moindre subvention et en prenant sur lui tous les risques financiers en tant que caution de sa société qui s'était lourdement endettée pour l'acquisition du lieu et sa transformation en espace culturel. Je me souviens que, soucieux de faire rentrer le cinéma dans la grande halle, il a fait installer deux projecteurs 35 mm et un écran de plus de douze mètres...

C'est dans ces conditions de risque maximum qu'EricDanel, à cette époque avec le soutient de sa banque, était parvenu à équilibrer ses comptes, puisque, comme l'atteste un rapport d'expert, à partir des années 2001 et 2002 les revenus locatifs de la Manufacture des Œillets couvraient le remboursement des crédits.

Comment expliquer alors qu'en mars 2009, BNPParibas ait fait vendre le lieu et que la mairie d'Ivry l'ait acheté pour la somme de 7M°5 d'euros ?

Premier étonnement : la modestie de la somme, l'endroit ayant été évalué à 21 M° d'euros en septembre 2006 par un expert judiciaire. Deuxième étonnement : la banque fait vendre, alors que la Manufacture, hypothéquée à son profit, lui rapporte en location 1M°2 par an, avec une potentialité à hauteur de 2M°.

A qui profite ce crime contre la culture ?

Tout devient plus clair quand on sait qu'en 2002, la Banque Vernes Artésia premier soutien actif d'Eric Danel au niveau financier, est rachetée par Dexia Banque Privée (elle même rachetée depuis par la BNP). Dexia se trouve être aussi la banque des collectivités locales, et donc celle de la Mairie d'Ivry...

D'un soutien bancaire (la banque Vernes) qui se voulait partie prenante de l'opération culturelle mise en place, Eric Danel s'est retrouvé avec des interlocuteurs financiers prêts à sacrifier quinze années de travail afin de servir les seuls intérêts de la Mairie d'Ivry.

En tant que caution, Eric Danel a vu sa société liquidée, sa résidence principale et ses biens mobiliers saisis et vendus, et cela avant même qu'aucune expertise n'ait eu lieu et qu'aucun tribunal n'ait jugé la créance... Non seulement, on a, en quelques mois, réduit à néant quinze ans de travail culturel acharné, mais, depuis six ans que dure la procédure, on a mis Eric Danel dans une situation sociale, familiale et psychologique dramatique et traumatisante.

Il ne m'appartient pas d'intervenir dans une procédure en cours et qui, je l'espère, rendra justice à Eric Danel, mais dans combien de temps ? De plus, après le rachat de la Manufacture des Œillets par la Mairie d'Ivry, j'ai quelques inquiétudes sur l'avenir de ce lieu d'exception. Dans le journal qu'elle publie : « Ivry ma ville », la municipalité vient de faire paraître un dossier sur sa nouvelle et prestigieuse acquisition. Il n'y est évidemment pas question des tonnes de gravats déposés par les camions municipaux lors du rachat du lieu par Eric Danel, et le rôle de l'ancien propriétaire y est complètement sous-estimé. La mairie prend la suite, mais en oubliant le début de l'histoire, en faisant comme si elle avait toujours soutenu un projet qu'elle s'est au contraire employée à détruire. Le dossier d' « Ivry ma ville » fait ainsi une belle place à la présence dans les lieux de l'Epsaa (une école supérieure d'arts graphiques) et d'une salle de répétition du Châtelet, en oubliant totalement de signaler que c'est bien Eric Danel qui avait attiré ces institutions...

Mais pourquoi ce dossier ? La municipalité n'en fait pas mystère, il est question d'un projet de Centre Dramatique National, projet pour lequel on réclame, bien sûr, la participation des deniers de la culture... Qui peut se plaindre de la création d'un nouveau CDN à l'initiative d'une mairie de gauche, dans un lieu si extraordinaire ? Personne évidemment... Pourtant ce serait une ironie de l'histoire particulièrement tragique, d'imaginer la Manufacture des Œillets toucher ses premières subventions d'état, à l'heure où l'homme qui l'a inventée, rénovée, animée, et portée à bout de bras pendant quinze ans se trouve réduit à rien par l'effet d'une collusion probable entre une banque et la Mairie.

On parlera sans doute « d'intérêt général ». Et on oubliera celui qui a sauvé avec acharnement La Manufacture des Œillets contre ceux-là même qui en 1989 voulaient simplement la détruire.

Il n'est question que d'un homme. Cet homme n'appartient à aucun parti, à aucune chapelle, et, dans tout ce qu'il a entrepris concernant la Manufacture des Œillets, il n'a jamais souhaité mettre son nom en avant. Il voulait juste laisser la plus de place possible aux créateurs. Il est temps que lui soit rendu quelque chose de ce qu'il a donné.

Bruno Herbulot - cinéaste -

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