Dernière caresse de pinceau, ultime petit jet de laque...Nicole me retire le peignoir.
Me voilà debout, dans le couloir ; retour à l'agitation des techniciens. Je rase les murs. Manquerait plus qu'ils me flinguent le costume !!
Je me faufile jusqu'à la dernière limite de la scène. Le rideau est tiré. Tel un danseur, d'un équilibre fragile, j'avance doucement sur la pointe des pieds, sans bruit, jusqu'au petit trou percé dans la toile: Le judas caché des comédiens. Le point de vue sur la salle est parfait. Un petit bijou de théâtre à l'italienne. Rare de se produire dans un tel lieu.... Ouah !!! Il y a du monde. Déjà les trois quarts remplis. Beaucoup de têtes connues, la famille bien sûr, les potes, des relations de boulot, et puis un paquet d'inconnus. Des quels ai je le plus peur ? Le nœud vient de se resserrer un petit peu plus. Mon estomac doit faire la taille d'une boule de pétanque...La boule au ventre....Le trac !
Et la fameuse et sempiternelle question. Qu'est ce que je fous là ?
Le temps n'y fait rien. Toujours comme la première fois.
On le sait, on n' oublie pas, et on y retourne...
Encore quelques dizaines de minutes et toute cette angoisse sera loin. Mes maux de ventre se seront volatilisés et mes mots s'envoleront pour toucher le cœur du public. La voilà la récompense, la voilà la réponse à ces douleurs.
Non, je ne suis pas masochiste, non, je ne m'impose pas ces affres de terreur pour rien. Se recroqueviller, se tordre en se tenant le ventre, suer, haleter et puis, se déplier, s'ouvrir, exploser, jubiler et captiver le public.
C'est le moment. Les dix dernières minutes... La loge.
"Ton thé t'a-t-il ôté ta toux tenace ?"...Je me sers un petit verre de blanc...Éclaircir la voix !
"Ciel si c'est cinq sous ces six ou sept saucissons-ci, c'est cent cinq sous ces cent sept saucissons aussi."... Je croque mon petit carré de chocolat. Je bois mon verre d'eau. tout est en ordre.
L'exercice réussi, je fais défiler mon texte dans la tête, en accéléré. L'introduction, l'envolée, les respirations, les pauses, le final !!!
Tout fonctionne. Je vide mes poumons, les regonfle, lentement. l'estomac se détend, les mains tremblent moins.
Ce soir, je vais être le meilleur, leur scotcher le cul sur le fauteuil, leur catapulter la tête au firmament.
"Toc toc". Le régisseur plateau passe sa tête casquée par l’entrebâillement: "Marc, trois minutes, faut y aller !!"
Un peu que je vais y aller. L'adrénaline a terrassé ce foutu trac !!
Le couloir est désormais calme, bercé de légers chuchotements. Une petite pensée pour mes premières représentations, gamin...
Tous à parler tout bas, rire nerveusement, vivre ces moments, puis une fois sur scène, réaliser l'attention que nous portaient les adultes, disciplinés, buvant nos mots. Une impression de maîtrise, de pouvoir. Jouer, être quelqu'un d'autre, raconter des histoires, faire rêver le public.
La comédie, leur jouer la comédie !!!
Rien n'a changé. Années après années, cours après cours, je me suis perfectionné, endurci. Un métier, une passion, une immersion totale dans de longs textes, devant des salles inégales, parfois réceptives, parfois plates, voir hostiles.
Mais toujours le petit bonhomme dans un recoin de ton cerveau pour te rappeler à l'ordre: Attention, tu joues, garde les pieds sur terre!! Ne t'égare pas !!
Driiiiiiing !! Je viens me placer sur la petite croix tracée au milieu de la scène. Le temps d'entendre les "merde !!" lancés à voix basse depuis les coulisses.
Le rideau s'ouvre !! Je lève les bras, haut, très haut. J'ajuste le micro, d'un tapotement de doigt, un toc toc (un tic) et j'attaque:
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"MES CHER(E)S COMPATRIOTES!! MES CHER(E)S AMI(E)S !!
bla bla bla
bla bla bla
bla bla bla
VOTEZ POUR MOI !!
POUR LA RÉPUBLIQUE !!
POUR LA FRANCE !!!"