Pierre ne sentait pas bien. En fait, ne se sentait plus bien.
La cinquantaine, certes, mais aussi le travail : Des heures et des heures assis ; des heures et des heures de repas d'affaires ; des heures et des heures de canapé, seul, face à l'écran.
Une sorte de lassitude, de prise de conscience. Besoin de se vider la tête....Et le corps, également.
Quatre vingt dix kilos au compteur pour un mètre soixante dix à la toise...
Pas de sport, pas de sortie, pas de vie amoureuse, peu d'amis...Juste un compte en banque bien rempli, un bel appartement... Pour lui tout seul !!
Il devait réagir, une alerte salutaire commençait à titiller ses neurones anesthésiés. Pas question d'attendre ainsi le terme, de plus en plus essoufflé, de plus en plus gras, de plus en plus las, de plus en plus seul. Quoi qu'on en dise, le physique influait sur les chances de trouver l’âme sœur, au moins une compagne avec qui donner, recevoir, partager un bout de chemin. Sa dernière rupture était suffisamment lointaine et il se sentait prêt à revivre tout ça, à assumer le risque d'une romance qui tourne au cauchemar.
Et c'est ainsi que, suite au rendez vous chez son médecin qui lui avait déniché un début de diabète et un foie gras, ça ne s'invente pas, il avait décidé de franchir le pas....Et la frontière...
Se rapprochant du statut de vieux, le jeûne apparaissait comme la solution adéquate. L'accompagnement médical de cette pratique n'existant pas en France, l'Allemagne semblait l'endroit parfait pour tenter l'expérience. Une clinique privée, évidemment. Pas un problème pour Pierre...
Dès l'arrivée, la hantise de n'ingurgiter que de la soupe pendant quinze jour, fût apaisée à la vue de cet établissement médical qui ressemblait plus à un hôtel de luxe qu'à un CHU de province. La piscine y était également pour quelque chose, certainement...
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Renaud, assis sur le bord du canapé, finissait juste son plat de pâtes agrémenté de fromage râpé....Le privilège des débuts de mois.
La générosité également des colocs qui l’accueillaient, une chambre s'étant libérée pour quelques mois. Seul dans la maison ce soir, il s'allongea sur le sofa sans quitter l'écran des yeux. Le téléviseur allumé, plus comme une présence qu'un intérêt pour la propagande quotidienne, il s'abandonna dans une béate passivité reposante et anesthésiante. Comme des millions de gens, repus et dociles....
Demain serait un autre jour ; une malchance sur deux que ce soit un jour de galère !!
Les contrats se faisaient de plus en plus rares, de moins en moins bien payés....L'offre et la demande, la fameuse !
Sans oublier l'avidité, conjuguée à l'absence totale de la moindre notion de respect des potentiels employeurs.
Même schéma côté propriétaires, privés, organismes publics ou autres filières de l'habitat. Tous les logements vides, propriétés de l'état, des banques ou autres multinationales restaient dédiés à la spéculation ou hors de prix. Salaires mirobolants et cautions en rapport exigés !!
Comme nombre de jeunes, mais pas que, il avait allégrement franchi le seuil de pauvreté pour plonger tête première dans les marécages de la précarité. Les honteuses images diffusées à la va vite, entre une pub pour une magnifique voiture électrique, un reportage sur les hôtels de luxe ou le discours d'un politicien "présumé" délinquant !! Le même qui avec ses collègues, venait tout simplement, de sucrer tout un pan du financement de la culture et par extension de l'éducation. La confirmation d'un régime drastique pour toutes les personnes vivant du spectacle vivant !!
En sécurité, chauffé, nourri, Renaud laissa sereinement s'affaisser ses paupières, rejoignant des contrées chimériques...
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La quinzaine achevée, Pierre bouclait sa valise...
Son visage, sa voix, sa silhouette, son enthousiasme radieux, tout démontrait sans ambiguïté la réussite de son séjour Outre-Rhin.
Il allait retrouver ses chères pénates, allégé de ses indésirables kilos....
Et de quelques milliers d'euros !!
Une voix off commentait les images des aventures de ce courageux quinquagénaire, bravant la faim, l'éloignement.
Mais aussi les rencontres, les douces journées à jouer aux dames, avec des dames, au bord du bassin. La vie de château. La vie de riche.
Hors du temps...
Pierre se livrait sur ses sensations, ses ressentis, sa volonté portée jusqu'au bout, son retour triomphal, sa nouvelle vie, bref, se regardait le nombril, fier, unique, égocentrique....
Et puis bien entendu, ses nouvelles résolutions . Nettoyé, aminci, ayant éliminé son début de diabète et son foie gras, il n'allait cependant pas se priver d'en déguster à nouveau, venu du sud ouest celui là...
Mais promis, il allait désormais se montrer raisonnable et vigilant !
Il s'était fait serment de régulièrement pratiquer le "jeûne intermittent".
Fin du reportage.....Générique !!
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Renaud ouvrit un œil sur les derniers mots de Pierre...
Interpellé, il se redressa, monta le son du téléviseur, à priori intéressé mais déçu de s'être assoupi devant une émission consacrée à son métier, ses particularités, ses conditions de travail auxquelles étaient confrontées des millions de personnes : Théâtre, musique, danse, sons, lumières, écriture, et tant d'autres....
Il avait bien entendu : "Jeûne intermittent" !!
Oui, on parlait de lui, "jeune intermittent" du spectacle, celui là même qui ne mangeait qu'un jour sur deux.....