Essoufflé... Enfin, pas tant que ça, vu le chemin parcouru. En m'engageant sur ce sentier, j'imaginais difficilement atteindre ce niveau, tenir, parvenir à cette petite pause sur ce plateau...
Il faut dire, ils ont peut être démarré un peu fort. Il est vrai que je suis tombé... Je me suis relevé... Retombé. Je n'avais rien demandé après tout. J'aurai pu refuser tout net, ne pas bouger. Rester allongé, faire le mort, ignorer ce défi qu'on venait de me lancer. Quelle idée, une randonnée ? Au début, je n'ai pas tout saisi, mais bon... Alors, surmontant les premières chutes sur ce sol inconnu, hostile, j'ai décidé d' y aller, de montrer de quoi j'étais capable. Je me suis pris au jeu, je me suis promis de rester debout, quel que soit le terrain. Un pas devant l'autre, j' ai apprivoisé le chemin qui s'est rapidement révélé assez plat, droit, sans embuches, un paysage neutre sans éclat ni beauté particulière....Une marche lente, monotone...Encadrée...
Plusieurs kilomètres sans saveur, sans sauveur, seul. Puis, sur la gauche, une trouée dans le mur de feuillage uniforme, bordant mon avancée tristounette. Un sentier plus étroit. J'ai bifurqué, sans hésitation, soulagé et curieux. Apparemment, je n'étais pas le seul, des voix et des rires s'élevaient au loin, droit devant. Gravissant la légère pente en courant je me suis rapidement retrouvé entouré d'une nuée de personnes, un regroupement de jeunes, des garçons, des filles. La bonne surprise ! Immédiatement, le contact s'est établi sans paroles, juste les regards échangés, l'intuition qu'on allait s'entendre. Tout feu, tout flamme. Les guitares, les percussions, les bouteilles, les pétards... La fête ! On a bu, dansé, philosophé, fait l'amour, raconté des conneries, tout oublié ( ouiiii, il faudrait tout oublier !!...) On est resté un bon bout de temps, rêvant à la lueurs des flammes, s'endormant sereins autour des feux de bois. Une parenthèse enchantée. Une parenthèse trop vite refermée..Sous la pression des organisateurs. Peu à peu, en petits groupes, ou un par un, nous nous sommes séparés. Reprendre le chemin, continuer vers de nouveaux horizons. Avancer !!
J'ai donc poursuivi mon cheminement, seul, mais riche de ces merveilleux moments vécus. Tout sourire dans ma tête, je savais que j'allais inévitablement revivre des moments pleins, des rencontres enrichissantes, la balade serait forcément positive, sinon, à quoi bon. Il suffisait d'être à l'affut, à l'écoute de chaque indice, même minime. La clairière était déjà loin derrière et j'ai retrouvé des groupes de marcheurs, sur un chemin de plus en plus large. Chaque grappe d'individus avançait, semblant ignorer jusqu'à la présence des autres, au mieux, les toisant presque dédaigneusement. Je tentais ponctuellement des approches, mais m’aperçus bien vite de l'inutilité de mes démarches, pourtant amicales. Ma clairière de folie me semblait déjà lointaine, appartenant désormais au passé...Je ressentais à nouveau, l'ennui du début, le démarrage morne des premiers pas de cette aventure, sans entrain, sans but, sans issue. Pourquoi marcher pour marcher, bêtement, seul une nouvelle fois...Et les gardes qui balançaient nonchalamment les bras...Avancez, avancez !
Des rires ! Des rires d'enfants ! Des éclairs de joie, soudain, rompant le brouhaha incompréhensible des groupes qui me dépassaient, sans même me voir. Comme des ricochets, des hi hi!, des ha ha! tintaient à mes oreilles. Je stoppais net. Plus bas, oui, ils se trouvaient plus bas, derrières les ronces qui délimitaient notre couloir de marche. je rentrais en force dans les fourrés, ignorant les épines et les branches entremêlées, héros de la jungle. Une éclaircie, un chemin douillet, une herbe tendre, digne d'un pâturage normand. Voilà, de toute évidence, une nouvelle étape bienveillante m'attendait, c'était tout tracé.
Ils étaient là : Sauts, pirouettes, courses au milieu des gerbes d'eau, au bord du petit lac. Elle était là, assise. Un regard, un regard qui m'attendais, moi ! J'en fus convaincu dans la seconde, aucun doute. je ne bougeais plus, arrêt sur image. Son petit signe de la main, me libéra, et tout naturellement, je vins m'assoir à ses cotés, au plus près de son sourire...Comme j'avais bien fait d'entamer ce parcours, ce cheminement, ce défi qu'on m'avait lancé. Une heures, trois heures, plus ? Nous étions deux hier, et l'osmose s'était réalisée, simple, limpide, illuminée par les enfants qui nous entouraient désormais. Mains dans les mains, nous reprîmes le parcours, une grande allée bordée de fleurs odorantes et apaisantes. Les petits couraient devant, revenaient quémander un bisou, repartaient de plus belle, joyeux, tendres, vivants. Nous avons déambulé ainsi pendant des kilomètres, surveillant d'un œil les gamins partis explorer d'autres sentiers en parallèle, jamais très loin, revenant nous faire un coucou régulièrement. Juste nous serrer contre eux et nous conter leurs découvertes, leur ballade, seuls, comme des grands. Et puis le chemin s'est modifié, il nous a fallut contourner de nombreux rochers, quelques troncs, couchés en travers de notre progression. Il a fallut grimper, s'aider mutuellement pour franchir des passages délicats, pousser sur les jambes, tirer sur les bras. Toujours en s'assurant que les enfants suivaient, sur le chemin qu'ils avaient choisi, un peu à part....On a ri, on s'est soutenu, on s'est engueulé. Mais jamais la peur de ne pas y arriver, de rester planté en bas d'un rocher ou au fond d'un ravin, jamais. Progresser, ne pas faiblir, réussir, ensemble. C'est vers la fin de la grande montée que les premiers signes de fatigue se sont dévoilés, venant nous titiller les tendons, nous casser un peu le dos, nous bouléguer les cellules grises. Un temps incalculable s'était écoulé depuis mon départ, puis notre rencontre. Suffisait de regarder en arrière, un moment qu'on ne voyait plus le point de départ, malgré les hauteurs sur lesquelles on se trouvait.L'important était de toujours entendre les enfants, au loin, un peu plus bas....Ils progressaient de leur coté, à leur rythme... Nous arrivions sur le plateau.
Essoufflés.....Enfin, pas tant que ça vu le chemin parcouru. La pause, la grande pause annoncée. Nous allions passer un bon moment sur cette grande étendue, ce tapis vert, à perte de vue, baigné de soleil. Alors, nous nous sommes posés; nous avons ouvert les sacs, déployé les couvertures, allongé nos bras, évacué tout stress. Et le soleil s'est estompé, calme et flamboyant, tel une suite pour violoncelle. Un instant, une once de bonheur. Zen, soyons zen, comme chantait l'autre, une fois sortie du métro. Le sommeil a immédiatement pris le contrôle de la situation. Chuuut !!. Le dur désir de durer. Mais rien n'est éternel, sauf... On le savait, on avait été prévenu dès le départ. Le séjour dans cette oasis était limité dans le temps. Nous devions à un moment laisser la place. Les gardes qui patrouillaient discrètement aux alentours vinrent nous prévenir. C'était demain ! Le départ ! La suite du programme....
J'avais une vague idée de ce qui nous attendait. Des on dit, des infos glanées ça et là auprès des organisateurs, peut être de simples rumeurs. Enfin, ce qui était certain, c'est que cette randonnée avait un début et une fin; et une fois arrivés sur le plateau, il ne restait que quelques kilomètres à parcourir, apparemment, les plus durs. Durant les quelques jours passés à ne rien faire, en vérité, à ne faire que des choses qui ne servent à rien suivant les diktats tronqués du monde, les enfants étaient passés nous voir quelques heures, de temps en temps. Prétextant de nouveaux sentiers à explorer, préférant nous laisser tranquilles, tous les deux, ils réintégraient leur campement de base, le soir venu. Bah ! Ils nous rejoindraient plus tard, ils nous rattraperaient facilement, qu'ils profitent..
Ce matin, nos sacs nous semblaient nettement plus lourds qu'à l'arrivée sur le plateau. Nos jambes également. Les bras. Le dos... Et la tête, et la tête !!! La tête pleine de questions, la tête qui tourne, déjà pleine de nostalgie. Allez, go ! On ne va pas mollir maintenant. Allez, prends moi la main, vas y, serre, serre la fort! Nous avons marché (plané ?) un bon moment, nos visages comme des girouettes d'est en ouest, au nord, au sud, histoire d'enregistrer à tout jamais les couleurs, les odeurs, les chants d'oiseaux, l'endroit dans toute sa sérénité. Les randonneurs se firent de plus en plus présents, de plus en plus nombreux. Ça commençait à ralentir. Le couloir de sortie. Sens unique. Somme toute, vite franchi. Puis...Le choc...Un sentier minuscule, une pente raide, caillouteuse, de plus en plus raide. Un brouillard de panique flottant au dessus des têtes, des cris, des injonctions:" Attention de ne pas tomber ! Doucement ! Attention ! Ce n'est pas stable !" On pouvait à peine se déplacer de front. Quelques marcheurs se retrouvèrent en panique totale. La pente de plus en plus raide, surplombant des ravins immenses, sans fonds. NON !! Une femme vit son mari tomber, soudainement avalé par la faille, sans un cri. Bousculade. D'autres suivirent. L'horreur. Et personne de l'organisation, personne !! Une arnaque, cette randonnée était une arnaque. Un scandale !! Mais pas le choix, il nous fallait continuer, progresser, se sortir de cette impasse. Je me sentis fatigué, comme si j'avais subitement pris vingt ans, le coup de vieux. Tout le monde avançait de moins en moins vite, à petits pas, claudiquant, courbés, cassés. Je me suis retourné vers le plateau. Nos amours étaient là haut, minuscules, agitant leurs bras, nous faisant coucou. Des moulins à vent de bonheur. Nous avons laissé couler les gouttes salées sur nos joues, en silence. Arrivé à un détour de cette sente morbide, j'ai compris. J'ai vu. Le terrain de plus en plus escarpé, de plus en plus resserré, de moins en moins rassurant. Le sentier dans sa globalité, se faufilant entre les parois grises et lisses, terminant son horrible cheminement au bord d'un précipice, un grand trou noir. Sans issue....