Le calme....Silence total....Juste le bourdonnement dans mes oreilles. Le souffle des roquettes tirées une minute plus tôt. Je sais que ça ne va pas durer. Ces salopards préparent quelque chose. je les devine, de l'autre côté de la place.
Surtout ne pas bouger, rester figé, juste contrôler sa respiration, limiter ses battements de cœur. Je chuchote dans mon micro. Tout va bien, les autres ne sont pas loin. On ne se voit pas, on se géolocalise. OK, tout le monde répond. Pas de pertes....Oh la vache!!!!
Ça repart!! Une rafale de mitrailleuse vient de déchirer l'espace enfumé. Et ils remettent ça. Des confettis de parpaings désintégrés me tombent sur la tête. L'angle du bâtiment vient d'être pulvérisé. Il va falloir que je bouge. Je vais devoir courir, et vite. Et bien profiter de ma petite dose d'adrénaline. Après tout, je suis là pour ça, aussi. La peur, la gnaque, l'action....Je ne pense plus à rien. Je suis simplement là pour faire le taf, réussir la mission....Et rester vivant.
J'ai repéré un petit mur encore debout, à coté du puits. Cinquante, soixante mètres. Faisable. Juste courir au bon moment. Deux trois mortiers viennent d'exploser derrière les bâtiments. Je me mets en contact avec un des gars qui se trouve dans ce coin. Pas de dégâts. Ils vont envoyer la sauce. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les cylindres métalliques s'extirpent, traversent la place et embrasent les immeubles de l'autre côté, du côté de ces enfoirés. Et tiens, dans vos gueules!! C'est l'instant. Je m'élance, courbé, fusil à la hanche, le doigt sur la gâchette, enfoncée. J'ai vidé le chargeur.
Le mur!! Bingo!...Je m’accroupis. Pause... J'allume une clope. Je me retrouve en plein brouillard. Une roquette vient de finir sa trajectoire à deux mètres du puits. Allez, encore trois petites sœurs, un immeuble entier s'écroule. Ça crachote dans mon oreillette. Et merde! Deux gars sont out. Quel bordel! Et pas de nouvelles de l'autre groupe. Mais qu'est ce qu'ils foutent! Si ça continue, on va se faire niquer, on va se retrouver comme des cons, encore une fois. Mais qu'est ce que je fous là? Qu'est ce que je m'emmerde avec ces nazes? Par moments, je me demande comment je me débrouille pour me retrouver dans un tel merdier. Ouais, je pourrais rester bouquiner sur un canapé, aller boire un coup avec des potes, me mater des conneries à la téloche, même aller balader en forêt; à la pêche aussi, pourquoi pas. Mais ça me déprime. Je m'ennuie. Alors, j'y retourne, inlassablement. Je suis accro, aux tirs, à la traque, à la guerre.
Le reste n'existe plus quand je combats...Deux ans que je me suis motivé, deux ans de terrains divers, de différents pays, différents conflits. Jamais la même chose, pas de routine. Et puis les potes, les compagnons, le partage, l'entraide. Certains qu'on ne revoie jamais, des nouveaux qui viennent se greffer à l'équipe. Toujours unis, déterminés à aller jusqu'au bout, ensemble...Et gagner! Une famille que je choisis. Pas comme la mienne dont je me détache de plus en plus. Ils ne comprennent rien à ce que je vis, alors, on s'éloigne, petit à petit. On se voit de moins en moins. Juste le nécessaire...Ils disent que je m'isole, que je gâche ma vie, qu'il y a danger. Que je vais mal finir...
Mal finir, certainement pas. Seulement il va falloir se la jouer fine. Vu tout ce qui tombe autour de moi, j'ai du me faire loger. Il faut absolument dégager de ce puits, et fissa...Toujours rien dans l'oreillette. Plus de son. Plus de vision non plus. Un écran de poussière. Je suis seul avec mon fusil mitrailleur. Je retente le contact audio. Yes, ça repasse. Une voix, hachée. Il faut me diriger vers le stade. Ils sont là. Ils vont me couvrir. Deux cent mètres, à dix heures de mon point. Chaud chaud, mais, ça va le faire. Go!!
Je fonce. A droite, à gauche, zigzag, courbé, souffle court. Les rafales me frôlent les oreilles, comme des petits acouphènes stridents. D'un coup d’œil, je situe les éclairs crachés par les fentes béantes des bâtiments d'en face. Je cours, je slalome entre les petits nuages de terres soulevés par les tirs nourris. Plus que cinquante mètres et je retrouve le groupe...Ma jambe!! Je m'écroule une main sur la cuisse. J'essaie de me trainer, coute que coute. Ne pas rester immobile. Le choc à l'épaule me fait tourner d'un quart de tour, stopper net. Je suis foutu. A genoux, tel le condamné, le dos droit, fixe. La cible idéale. Les trois impacts me propulsent en avant, la poussière a un gout de moisi.....
Ils m'ont cloué net. C'est fini. J'ai perdu. J'entends les autres dans l'oreillette, puis la voix de ma mère, au loin................
"Kevin!... Kevin!! Arrête moi ton jeu idiot!! Éteins ton ordi et descends manger...Ça fait trois fois que je t'appelle!!....."