Mais qu'est ce que je vais lui dire ?
Rendez vous à 14 heures... Plutôt mal barré. Si au moins j'étais croyant, je pourrai me rassurer avec une petite prière, un petit texte bien senti, un truc qui pète, qui sonne bien. Imparable. Là haut, ils seraient bien obligés d'en tenir compte, de me donner une chance, bidouiller une solution. Mais là, planqué dans mon égout. J'ai bien pigé que je suis tout seul, comme toujours finalement.
Mais aussi, qu'est ce que j'avais besoin de faire le con. La dernière ligne droite !! Incapable de tenir ma promesse. Impardonnable, rapport à Clo...
"Pas de souci ! " je m'entends encore la rassurer, lui mentir oui, mes yeux dans ses yeux. Ses yeux !!! Je ne suis vraiment qu'un pauvre nase. Ils n'ont pas toujours tort les baqueux. Pas quand ils cognent, hein, j'ai pas dit ça ! Mais c'est vrai que, nous courir après régulièrement, et constater qu'on en est encore à répéter inlassablement nos conneries, je les comprends : Un gros nase, point barre.
Et même si je ne veux pas rejeter la faute sur Michael, c'est pourtant à cause de lui, si je patauge dans ce flot de puanteur. Pour ne pas dire autre chose !! J'aurai du effacer son numéro, le zapper de ma mémoire, définitivement. J'avais décroché.
"Décroché ? Ha ha ha !!!" Voilà ce qu'elle va me répondre Clo, si je ne la prends pas dans mes bras cette après midi. Ouais, un gros rire de colère, et un casse toi définitif. Fini le sursis, l'espoir, la confiance. Notre lien va se briser net, un vent de force huit va le pulvériser instantanément. Et si je le rate ce rendez vous...
Un appel, un petit coup de fil de rien. Et j'ai démarré au quart de tour. Traversé la ville, retrouvé ces rues pourries, ces parkings mortels. Revenu dans le quartier, notre territoire, notre enfance. Ah, c'était bien la peine qu'elle se bouge le cul l'assistante sociale !
Elle s'est décarcassée pour nous extrader dans une jolie résidence, des petits ilots de calme posés sur une mer chlorophylle, entourés d'oiseaux et de bagnoles pas déglinguées.... Et aussi un écureuil, une fois !!
Michael appelle, et moi.....J'arrive, le sauveur, le frère d'honneur. Non mais qu'est ce que j'ai dans la tête ? Qu'est ce qu'on va faire de moi ?
Faut que j'arrête de trop cogiter, là, de suite. Action. Je tends l'oreille. Plus de bruit. Pas de lampes torches qui dansent. Faut que je dégage et même à bout de souffle, il faut que je me tire. Les rats ne vont pas supporter la cohabitation toute la nuit. Et réciproquement.
Je ne les connais même pas ces mecs. Une dette qu'il m'a dit Michael. Des gros enfoirés !... Ben voyons, rien de plus simple. Une batte, une cagoule, on se pointe dans leur épicerie de nuit, on cogne, on prend les thunes et on va finir la soirée peinards devant un petit Netflix. Il est où le problème ?
Il était à la sortie le couac. Il était bleu strident, il était quatre mecs en noir, bien calibrés, avec le petit écusson bleu blanc rouge, il était panique à bord. Électrique le face à face, au moins du triphasé. Et ils se sont mis à gueuler : "Rendez vous, rendez vous !!". Putain, oui, mon rendez vous. Ça m'a traversé le cerveau, rebondit dans tous les recoins du crane. Et mes jambes ont pris le relais. J'étais déjà deux rues plus loin. J'ai plongé. Séquence sous sol. J'étais dans le tuyau, dégout, noir, eau, silence...J'ai eu un petit haut le cœur en pensant à mes pompes toutes neuves, des Puma "nitro 2". Cent balles quand même ! Je suis vraiment un nullos...
Quatre heures du mat'. La fin de soirée la plus craignos depuis un bail. Logiquement, d'après mon GPS, je dois me trouver sous le boulevard Jean Jaurès, plus précisément à l'arrêt Maison Blanche. Je pense à Clo. Je me verrai bien, vivre avec elle dans une grande maison blanche, à la campagne avec des....Mais qu'est ce que je rêve là ? Pour l'instant, j'ai plus de chance de dégoter une cellule sombre, par manque de cellules grises ; et sans Clo, à jamais...
A priori, plus qu'une heure pour sortir dignement de ce trou. Y'a pas qu'à Paris que la ville s'éveille à cinq heures. Les prolos qui vont trimer de bonne heure, c'est sur tout le territoire. Et si je m'en sors, du trou et du reste, promis, je veux bien me lever tôt pour aller bosser, faire un bisou sur le front de Clo, encore endormie, et me fondre dans l'obscurité et le froid de la nuit...Et ne plus jamais répondre à ce loser de Michael.
Je reprends la marche, floc, floc ( toujours mieux que flic flic). Je vais tenter de trouver la rue des "droits de l'homme". Une impasse tellement étroite, pratiquement invisible quand on passe devant. Un gag ce nom, ou alors du cynisme. Nous on la connait bien. Idéale pour les planques. Cinq portes d'entrée, dont un squat. Ça me laisse une bonne chance de rejoindre le monde des vivants sans me faire remarquer. Je commence à sérieusement grelotter. Ma mère disait toujours que c'est pas bon de rester les pieds mouillés. Je confirme.
Dernier échelon. Petite poussée du bras. La grille aussi légère qu'une plume sous l'effet de l'adrénaline. La tête qui sort. Pouah !! Une odeur semblable à dessous. Le rendez vous des chats et des chiens qui viennent pisser là, tranquilles. Sûrement quelques poivrots aussi. La bonne nouvelle par contre, pas d'éclairage publique. Je repousse la grille et frotte mon pantalon d'un geste machinal, comme si je sortais d'une séance de bricolage. Ça pue toujours.
Bien. Première étape plutôt encourageante. L'air libre, à défaut d'air pur. Je me demande où est Michael. Pas question d'essayer de le joindre, si jamais il s'est fait serrer. J'ai envie de dire, bien fait pour sa gueule, mais je n'arrive pas à vraiment lui en vouloir. On en a tellement fait, tellement vécu de trucs de ouf. Clo, elle l'aime pas....J'comprends. Et si jamais je rate le rendez vous à cause de lui, elle le maudira, et moi avec, c'est clair. Ce rendez vous, c'est un nouveau départ, une chance que tout le monde n'a pas. Ce qui est certain, c'est que Michael ne parlera pas. Il l'a déjà prouvé.
Il faut que je décolle maintenant, l'heure tourne. Les condés également. Prudence...A droite, à gauche. Personne. Ah si, un chat. Noir. Pas grave, je ne suis pas superstitieux. Je sors de la ruelle, droit et souple à la fois, mains dans les poches, tête haute. Et la conscience au ras du pavé. Clo doit dormir à poings fermés, confiante, amoureuse.
Amoureuse d'un mec qui n'est pas à la hauteur, complètement immature, une espèce de sale gosse qui joue avec le feu. Conserver mon sang froid. J'arrive à l'arrêt République. L'odeur moisie s'est plus ou moins évaporée. Quelques taches douteuses sur le jean témoignent de mon passage par les sous sols du quartier. Assis innocemment sur le petit rond de plastique, j'accueille avec un sourire, mes futurs voisins de bus ; beaucoup font la gueule. Du coup je me souris à moi même, détendu. Les flics ont du aller se coucher. Il est six heures.
Clo part travailler à huit heures. J'ai le temps de m'arrêter prendre un café dans le centre. Je m'installe en terrasse, à cause des relents de caniveau encore présents ; un petit peu quand même !! J'envoie un message à Clo : "Tout s'est bien passé avec Loïc pour son déménagement, je rentre dans la matinée, je t'aime". Dernier mensonge. Juré !! Je vais y être au rendez vous, je vais repartir du bon pied. Dernière chance...Clo m'a prévenu.
Tout mis dans la machine. Même mes pompes. Douche froide, pour le coup de fouet....Me punir aussi, peut être. Réglage du réveil et top départ pour le grand sommeil, les draps chauds, l'odeur de Clo. Sauvé, in extremis... Est ce que je le mérite ?
13h50. J'allume une clope. Je suis en avance. Dernières minutes, derniers relents de honte, de peur, de culpabilité. C'était hier, c'est loin, c'est fini. Je suis là. Ciao les conneries.
13h55. Je m'engouffre dans le bâtiment. A l'heure pour le rendez vous.
15h30. Je sors, le dossier sous le bras. Un autre homme. Une nouvelle vie. Ça va le faire...
La journée est merveilleuse, Clo resplendissante. Ou l'inverse. Nous descendons les marches, bras dessus bras dessous. Je suis ébloui par le soleil. A moins que ce ne soit par cette image genre photo satellite. Le petit haricot au milieu, et ce rythme, chaud et rapide : Boum boum...boum boum...boum boum.........
Je vais être papa !!