Il n’est pas exclu que nous puissions connaître quelques retours en arrière, en cas de reprise de l’épidémie, de l’advenue d’autres épidémies, ou d’autres catastrophes…, mais même si c’était le cas, ce serait une raison de plus de s’arrêter au moment du passage d’une période de près de deux ans, où la plus grande partie de la population a dû évoluer masquée dans ses activités publiques ( et même parfois privées ), à une situation où le visage de chacun était à nouveau visible.
Cette transition a été particulièrement sensible dans les établissements scolaires, où professeurs et élèves ont pu, pour la première fois depuis de longs mois, se rencontrer, se regarder, sans masque. Je n’ai jamais vu, l’an dernier, mes élèves, à visage découvert. Nous avons craint de passer toute l’année 21/22 dans les mêmes conditions. Aussi, quand je suis successivement entrée dans mes classes, ce lundi 14 mars 2022, les plus de 30 visages, qui composent chacune d’entre elles, m’ont littéralement sauté aux yeux !
Alors que je soulignais l’importance de ces retrouvailles démasquées, une élève a murmuré : « Oh là là, ça fait bizarre ! ». Pendant plus d’une heure, délaissant programmes et leçons en cours, nous avons échangé sur cette « bizarrerie » et essayé de comprendre ce qui nous arrivait…
J’ai voulu partager ce moment avec vous.
Ce partage paraîtra dérisoire à ceux aux yeux desquels la violence internationale doit occuper à elle seule toute notre attention. Mais l’objection a à peu près la même légitimité que celle qui aurait reproché à Marcel Proust de s’être attardé au contact d’une madeleine sur son palais, quand se préparait la première guerre mondiale. Je vois au contraire dans l’intérêt de Proust pour les « détails » de la vie et pour ses infinies nuances, un acte de résistance résolue, contre l’accaparement de toute l’attention par la barbarie qui constituait déjà la toile de fond de l’époque. Certes, l’argument vaut principalement si l’on n’est pas directement exposé aux ravages de la violence. Mais, quand on peut encore s’y soustraire, c’est, là aussi, une raison supplémentaire, pour considérer avec le plus grand intérêt toute la richesse de ce que cette barbarie conduit à ne pas voir. Ici, la vulnérabilité des visages. Et dans le contexte, ce n’est pas rien !
Parlons donc du surgissement des visages qui nous ont été rendus le 14 mars dernier !
Danielle Moyse