Depuis 2004 et après un séjour de 9 mois à Bobo Dioulasso (en 2005-06), nous rendons régulièrement, avec mon mari, au Burkina Faso, le pays des Hommes Intègres. Qui sont ces femmes et hommes intègres ? Il en existe dans le pays, nous en connaissons quelques un(e)s agissant à leur niveau et selon leurs moyens, pour soulager les populations, les communautés de ce pays qui s'enfonce depuis des années dans la misère. Et c'est vers eux que nous aimons retourner...
A travers ces récits, j'aimerais à la fois donner quelques couleurs au tableau burkinabè tout en y insérant quelques personnages, certaines expériences... Sans autre prétention que de raconter ce que je vois, ce que j'entends, et de rapporter les paroles et les images recueillies...
C'est toujours avec une grande émotion et un grand bonheur de revenir voir nos frères et sœurs burkinabè pour partager, échanger, s'épauler... Mais également pour refuser cette logique d'exclusion si manifeste de la part de la France et des autres pays d'Europe. Quel contraste entre l'accueil qui nous est offert, où l'étranger reçoit tous les égards, tandis que de l'autre côté de la Méditerranée, nos dirigeants font construire, à nos frais, les bâtiments de la honte : les Centres de
Rétention Administrative (CRA), prison qui n'a pas son nom où l'on enferme hommes, femmes et … enfants. Non pas qu'ils aient commis quelque crime mais parce qu'ils ont fui une situation insupportable. Qui pourrait les blâmer d'être à la recherche de conditions de vie meilleures. De fuir les menaces, la maladie, la famine et l'ignorance. Fuir un pays divisé par des conflits fratricides, un pays où la souveraineté alimentaire n'existe pas, où les hôpitaux soignent les seuls patients solvables... Où les services publics n'ont plus que le nom, alors que le système scolaire privé ne cesse de croître et de faire du profit sur le dos de familles prêtes à se saigner pour l'éducation de leurs enfants...
Arrivée à Ouagadougou, la capitale, le 8 janvier 2012. De l'avion qui atterrit quasiment dans la ville, on peut voir que celle-ci poursuit son étalement et que des lampadaires jalonnent à présent de nouveaux boulevards (double voie) goudronnés. Nous faisons une petite halte avant de rejoindre Bobo Dioulasso1.
Visite chez des amis ouagalais. Discussions à bâtons rompus bien souvent devant l'écran de télévision, principale fenêtre sur le monde. Sur TV5, nous pouvons écouter notre ministre de l'intérieur, Claude Guéant, fier d'abhorrer de très bons chiffres concernant l'expulsion de celles et ceux que l'on nomme communément « sans papiers ». Comme s'ils se résumaient à cette absence !
Il se félicite d'avoir dépassé les objectifs qui avaient été fixés pour 2011 et décide d'en fixer des plus élevés encore pour 2012, comme s'il s'agissait de la nouvelle cagnotte du loto: 35 000 expulsions pour 2012. C'est comme si on décrochait un gros lot !
La journaliste reprend l'information et oublie au passage de la compléter, de donner les autres points de vue comme se devrait tout journaliste consciencieux. Informer également sur ce que cachent, dissimulent, voilent ces chiffres : des êtres humains faits de sang, de chair et d'eau, des vies humaines brisées, des souffrances, des espoirs gâchés, le désespoir...
Et nous sommes là de l'autre côté, grâce à notre visa chèrement payé, accueillis, salués comme il se doit. « Comment allez-vous ? » Comment va la santé ? Comment va la famille ? Et les gens de là-bas ? Et nous de répéter que tout va très bien pour notre santé et notre famille.
Soulagés les gens s'empressent alors de remercier Dieu. « Dieu merci ! ».
Ouagadougou, comme toute capitale se développe... Et quels sont les indicateurs de ce développement ? Le nombre de routes, doubles voies goudronnées, coupant au passage le peu d'arbres2 qui restent dans cette ville-fournaise dès que la saison sèche débute. De nouvelles boutiques rutilantes, des constructions à étages... Ce n'est que « façade » diront des ouagalais car derrière ces investissements, la population continue de souffrir comme avant. La situation empire car il n'y a pas de travail, beaucoup de jeunes sont au chômage, les prix augmentent, les denrées alimentaires sont très chères. Il faut « grouiller » pour s'en sortir ou tout simplement survivre... Combien de jeunes et belles africaines aux bras de vieux européens repus avons nous croisés...
Savez-vous que le Burkina Faso a eu chaud ? Avril 2011, une mutinerie de militaires a embrasé les villes principales du pays. Les soldats sont sortis la kalachnikov à la main et sont allés corriger certaines personnalités ayant des biens mal (?) acquis. Le maire de Ouagadougou a eu chaud paraît-il. On dit qu'ils ont trouvé beaucoup d'argent à son domicile. Quant au Président du Faso, Blaise Compaoré, il s'est replié dans son village de naissance Ziniaré... Certains reprochent aux militaires d 'avoir tiré « au hasard » dans la population, de s'en être pris aux boutiquiers sur les bords des routes... On parle de viols, de balles perdues qui ont fait des morts. D'autres parlent d'attaques bien ciblées. Les soldats s'en seraient pris surtout aux commerces derrière lesquels se cachent des grands du pays. Commerces alibis qui servent à blanchir l'argent détourné que les banques refusent de prendre...
Tout le monde s'accorde enfin pour dire que la situation était grave, -d'ailleurs quid dans nos médias « eurocentrés »?-, et que ça peut de nouveau exploser. Surtout si le Président modifie l'article 37 de la constitution qui lui permettrait de se représenter une 3ème fois3. Et de jeunes actifs burkinabè de dire. « Nous sommes nés avec ce président, nous avons fait notre scolarité avec lui, notre bac, notre entrée dans la vie active. Et quoi encore ? Ça va durer jusqu'à notre mariage ? Et pour nos enfants aussi ? On est fatigué. La situation du pays empire ». Chacun rêve d'un printemps africain. La Tunisie a redonné beaucoup d'espoir à la jeunesse burkinabè. Les ainés sont moins catégoriques et dénoncent plutôt le sérail qui entoure le Président et souhaitent que ces groupes d'influence dégagent... Néanmoins, les burkinabè sont nombreux à penser que le Président du Faso va tout faire pour rester au pouvoir. Le risque est grand en effet, s'il n'était pas réélu, de se voir ratrapper par la justice et de devoir répondre pour des crimes commis au sein du pays et dans les pays voisins. « Son ami Charles Taylor l'attend » comme nous l'a confié un ouagalais...
La saison des pluies a été très courte, les récoltes très mauvaises dans le centre et le nord du pays. Les épis ne sont pas arrivés à maturation. On dit que les paysans n'ont même pas de semences pour les prochaines cultures. L'Etat a du négocié avec les commerçants, c'est-à-dire moyennant finances, pour bloquer la hausse des prix... Beaucoup parlent de famine qui se profile...
A côté de ça, l'affaire Guirot est dans toutes les bouches. Lors de la mutinerie en avril 2011, le directeur des douanes, Mr Guirot, a pris peur et a caché des cantines dans la cour d'un parent proche. Un des fils du parent a découvert de l'argent dans ces cantines. Argent qu'il a commencé à dépenser et à distribuer autour de lui. Cette distribution d'argent, ainsi que des achats complètement démesurés sont devenus suspects et c'est comme cela qu'il s'est fait attraper. Les burkinabè ont pu ainsi découvrir que le directeur des douanes du Burkina Faso détenait 2 milliards de francs CFA4 dans des cantines... Le directeur a été jeté en prison. Certains estiment que c'est de l'hypocrisie : « Tu es considéré voleur uniquement si tu es pris ». Néanmoins, cette affaire est devenue un grand sujet de discussion alors que la corruption est devenue le pain quotidien de ce pays. Mais en ces temps de grande insécurité alimentaire, d'inquiétude quotidienne, cette affaire ne passe pas...Comment des jeunes ont pu dépenser sans compter, pour des futilités ? Comment une personne peut détourner et garder 2 milliards dans des cantines ? Alors qu'une grande partie de la population s'affaire chaque jour pour trouver de quoi manger, se soigner... Parce que ces gens-là font partie d'une « caste » au Burkina Faso, qui est complètement coupée des réalités du pays et qui ne s'intéresse absolument pas à ses habitants. Ils sont depuis bien longtemps dans la démesure que Patrick Viveret, philosophe décrit si bien...
C'est avec toutes ces informations, ces premiers échanges, et à peine débarqués, que nous reprenons la route. Cette fois-ci en bus, pour rejoindre Bobo Dioulasso, à 350 km environ de là...
A très bientôt pour la suite
Sophie
1Qui signifie « la maison des Bobos et des Dioulas », 2ème ville du pays et ancienne capitale
2La FAO a rappelé le 3 octobre 2011 l'importance des arbres dans les villes des pays en voie de développement
3Actuellement la durée du mandat présidentiel est de 5 ans. Il est renouvelable une fois.
41 euro = 655 francs CFA