La prochaine encyclopédie historique des médias contiendra à n'en pas douter un tome consacré au microblogging et à sa première figure de proue, Twitter, quelques épaisseurs de feuillets à droite du tome consacré au Web, d'un autre à Marshall McLuhan, et à gauche de ceux portant sur les neuralinks et autres chapeaux Gibis.
En 1922, Paul Klee compose Die Zwitscher-Maschine – en anglais Twittering Machine –, un tableau « mêlant biologie et mécanique » comme souligné sur la page Wikipédia dédiée à l'œuvre, qui met en scène des drôles d'oiseaux qui ne sont pas sans faire penser aux futurs Shadoks de Jacques Rouxel. Le philosophe et critique d'art Arthur Danto commente : « Klee nous fait comprendre la futilité des machines, les humanisant presque comme des choses dont on ne peut rien espérer ni craindre, et dont la futilité est soulignée par le projet stupide de produire par des moyens mécaniques ce que la nature offre déjà en abondance » (Encounters & Reflections: Art in the Historical Present, Arthur Danto, 1997), faisant écho à la charge comique de « la mécanique plaquée sur du vivant » chère à Bergson.
Le wiktionnaire nous apprend que « twitter » viendrait du proto-germanique « twitwizōną », lui-même possiblement d'origine onomatopoétique.
La ciboule
En soi le Web est bien entendu déjà un début de cerveau planétaire à l'image du chapeau des Gibis, ces personnages facétieux qui défient les Shadoks :
« Les Gibis sont les inventeurs de nombre de machines utilisant les dernières technologies, quand les Shadoks se contentent de « rassembler des trucs et des machins ». Le secret de leur intelligence réside dans leur chapeau, qui leur permet de réfléchir tous ensemble à un problème. Lorsqu’un Gibi perd son chapeau, il perd son intelligence et devient fou. » Et voilà les Shadoks, saison 1 – Archives INA
Néanmoins aux débuts des années 2000, le Web est encore une « lamentable serpillière » pas encore « un réseau fluide comme l'air, rapide comme la lumière, dense comme un feutrage » (Jean-Michel Truong, Totalement inhumaine). L'arrivée du microblogging et le succès mondial de Twitter marquent une étape notable. Structurellement en effet, Twitter est l'analogue d'un cerveau à maints égards : un tweet est un influx d'intensité limitée (longueur de tweet limitée à 280 caractères) pouvant se propager par le mécanisme des retweet et être ainsi considérablement amplifié jusqu'à atteindre finalement des zones très larges du réseau. Le mécanisme des « followers » est quant à lui à rapprocher des dendrites et des synapses ; les likes, mentions et commentaires peuvent eux être comparés à des neurotransmetteurs qui continuellement nivellent, nuancent, affinent l'influx primordial.
Nano-anthologie
La twittosphère regorge de pépites à l'échelle du caractère (nombreuses trouvailles typographiques), du tweet, du fil de tweets, ou du compte tout entier. Nano-anthologie.
Dans la catégorie des bots, comment ne pas citer le célèbre Bot du cul imaginé par Louphole et récemment arrivé à son terme. Autre bot humoristique : Le mur des cons, qui « épingle sur le mur les tweets mentionnant certaines personnalités » que la décence nous interdit de nommer ici.
Dans la catégorie des curiosités : @itstwowords se contente de repérer les mésusages de mots qui en sont deux : on écrit par exemple « to shut down » et non « to shutdown » . Ou @AuxFautes également entièrement dédié à l'orthographe, discrètement et de façon bienveillante.
L'humour se glisse partout où il peut sur Twitter y compris dans le champ « emplacement géographique » des profils où l'on trouve par exemple un « stalking you on Twitter ».
Un tweet disparu, à l'époque de la limitation à 140 caractères :
« #Sign in Follow Tweet Search Mention Retweet Unfollow Expand View details Tag Reply Delete Flag Collapse Favorite List Unretweet Block Die. »
Au chapitre XIV de Sur le jadis, Pascal Quignard écrivait ceci :
« Les poissons sont de l'eau à l'état solide. Les oiseaux sont du vent à l'état solide. Les livres sont du silence à l'état solide. »
Twitter est de l'intelligence à l'état hypertextuel.
Trucs et astuces
À l'intérieur de cette gigantesque intelligence collective, des intelligences individuelles : le cerveau planétaire est fractal, ayant une structure à l'œuvre à l'échelle des neurones comme à celle des galaxies, cf. L'étrange similirarité entre les réseaux de neurones et les galaxies. Pour tirer partie de ce réseau complexe, quelques trucs et astuces afin d'entretenir et de développer ses synapses et si possible aussi d'éviter l'accident sémiologique.
Pour trouver des profils intéressants, rien de tel que de parcourir la listes des follows d'une personne donnée, à condition que ce nombre soit raisonnable (de l'ordre de 500 maximum, car au-delà il est probable qu'il s'agisse de comptes suivis par flagornerie). Ou encore, pour des tweets particulièrement percutants, d'identifier les personnes les ayant retweetés, soit quand ils sont peu nombreux, soit parce que le tweet est lu suffisamment tôt avant l'explosion éventuelle.
Le tome d'après
Le tome d'après s'écrit déjà avec Mastodon et d'autres approches plus ouvertes et plus décentralisées. Twitter contient en effet en lui-même de nombreux obstacles à la fluidité de l'information et de la pensée – censure opaque, publicité, code source clos, etc. Va-t-il perdre la ciboule ?
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