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Billet de blog 17 déc. 2021

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CPE : C'est Pas Evident

En 1970, le glissement de la fonction de Surveillant Général vers la fonction de Conseiller Principal d'Education a eu pour volonté de faire évoluer l’aspect éducatif du métier. 50 ans plus tard, difficile pour les héritiers du surgé d'imposer leur légitimité, de faire connaître leurs missions et de faire évoluer leur statut.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

        Lorsqu’on prépare le concours de CPE, nos formateurs nous répètent souvent que « Le CPE n’est pas Zorro ». Difficile, quand on est encore purement dans un cadre « théorique », de déceler le sens de cette phrase. S’agit-il d’une mise en garde quant à l’égo que nous pourrions développer une fois en poste, d’une mise en garde quant à la façon dont nos missions seront détournées et notre fonction perçue par nos collaborateurs ou d’une mise en garde quant à la quantité des missions qui incombent à cette fonction ?

La seule formulation de cette question n’est réellement sensée – dotée de sens – et possible que lorsqu’on passe à la pratique. En effet, c’est bien l’expérience de terrain qui permet de prendre conscience de la réalité complexe de ce métier.

 CPE, c’est quoi au juste ? Trop gentil ou grave sévère pour les élèves, trop laxiste ou trop exigent pour les adultes, vieille école ou à la page, de terrain ou de bureau, côté prof, côté Direction ou côté élève, dépassé, planqué ou au taquet ; impliqué ou détaché, injoignable ou envahissant… et la liste pourrait être longue. Si la fonction de CPE reste encore largement méconnue du grand public, elle commence timidement à sortir de l’ombre. Trop timidement. D’ailleurs. Le CPE est « concepteur de son activité » (Circulaire de missions, 2015), ce qui signifie qu’il élabore et soumet au Chef d’Établissement son emploi du temps dans lequel doivent être inscrites ses 35h hebdomadaires, mais aussi qu’il organise lui-même ses journées…. Dans les textes en tout cas, voilà comment la chose est présentée. Dans les faits, il est essentiel d’ajouter certaines nuances :

 I – ÉTAT DES LIEUX

 35h, cela représente 2 100 minutes. Prenons le cas d’un établissement moyen de 500 élèves, doté d’un seul CPE. Divisons ces 2 100 minutes (auxquelles nous ne soustrayons pas les 20 minutes de pause règlementaire qui nous sont octroyées quotidiennement, et que nous ne sommes que très peu à prendre) par les 500 élèves. Le résultat obtenu est le suivant : 4,2.

Le CPE dispose donc de 4,2 minutes par élève, par semaine.

 Prenons désormais nos missions, telles qu’elles apparaissent dans notre Référentiel de Compétences, 2013) : accueil et sécurité des élèves ; assurer un suivi individuel et collectif des élèves ; contribuer au respect des rythmes de travail ; faciliter le traitement et la transmission des informations recueillies ; participer à l’élaboration du Règlement Intérieur et à son application ; promouvoir auprès des élèves et des responsables légaux les règles de vie dans un esprit éducatif ; contribuer à l’enseignement moral et civique ; identifier les conduites à risque avec les personnels de santé en vue de réfléchir ensemble à des résolutions en interne et en externe ; conseiller le chef d’établissement et l’ensemble de l’équipe éducative en matière de punition et de sanction ; contribuer à la gestion de conflits via le dialogue et la médiation ; repérer les violences et les incivilités ; élaborer et mettre en œuvre des démarches de prévention ; conseiller le gestionnaire et le chef d’établissement quant à l’aménagement des lieux de vie des élèves, et plus largement de l’établissement ; contribuer activement au développement de l’animation socio-éducative et promouvoir la formation à la responsabilisation ; organiser et animer la gestion de l’équipe des assistants d’éducation, prévoir leur grille de poste, leurs emplois du temps, animer avec eux des réunions de coordination et proposer des formations ; effectuer des entretiens d’écoute dans le cadre du suivi des élèves, de la gestion de conflits et de la médiation ; contribuer à la relation entre les responsables légaux et la collaboration avec l’ensemble des personnels de l’établissement ; contribuer au suivi de la classe (Conseils de Classe, co-animation d’Heures de Vie de Classe, réunions PP/CPE…) ; connaître les compétences des différents intervenants dans la prévention du décrochage ; s’impliquer dans les instances représentatives des élèves (CVC / CVL / FSE / MDL / CESC…) ; encourager la prise d’initiatives ; veiller à la complémentarité des dispositifs (citoyenneté participative et représentative, favoriser la participation des élèves aux instances représentatives et contribuer à leur animation) ; assurer la formation des délégués de classe ; accompagner les élèves dans la prise de responsabilités comme espace d’apprentissage et d’éducation à la citoyenneté ; impulser et favoriser la vie associative et culturelle ; contribuer, en collaboration avec les partenaires, à la mise en place de dispositifs d’accompagnements des élèves ; conseiller et accompagner les élèves dans l’élaboration de leurs projets personnels d’orientation en collaboration avec les partenaires ; contribuer à l’élaboration du volet éducatif du Projet Établissement ; faciliter la continuité des parcours des élèves ; faciliter la transition du passage d’un cycle à un autre ; conseiller le chef d’établissement en matière de mise en œuvre de partenariats avec les autres services de l’État, les collectivités territoriales…

 Coopérer collaborer promouvoir impulser conseiller accompagner contribuer participer connaître encourager rassurer repérer proposer faciliter recueillir mettre en œuvre... Oui, mais comment ? Comment répondre à ces multiples attentes de façon qualitative ?

 II – CONTEXTES D’EXERCICE

 Nous disions ci-dessus que dans les faits, le CPE était concepteur de son activité. Mais pas facile de parler du métier d’une seule voix, et pour cause !

 S’il est d’usage d’envoyer les élèves chez le CPE ou en vie scolaire, cela reflète déjà quelque part une forme de déshumanisation des personnels et les enferme directement dans la stricte limite de leur fonction. Madame la CPE ou Monsieur le CPE est avant tout une personne, et c’est justement là que commencent les nuances : quelles sont ses expériences professionnelles - car il est à noter que nous sommes nombreux à devenir CPE par reconversion. Et justement : de quelle(s) formation(s) sommes-nous issus ? Sur quel type de poste avons-nous été recrutés : titulaire contractuel, TZR ? Sur quel type de contrat ? Exerce-t-on de la même manière sur un poste précaire que sur un poste définitif ? Vient ensuite s’ajouter la question de la zone géographique de l’établissement d’affectation : est-il situé en ville, en campagne ou en banlieue ? De quel type d’établissement s’agit-il : un collège, un lycée, un lycée professionnel, un lycée polyvalent, une cité scolaire… ? Quelles sont les spécificités de l’établissement : y a-t-il des dispositifs particuliers ? Un internat ? Un gymnase ? Des lieux de vie (foyers, cafétéria, salles de réunion…) dédiés aux élèves ? Et d’ailleurs : combien y a-t-il d’élèves ? Pour combien de CPE ?  Dans les établissements à plusieurs CPE : ont-ils chacun un bureau ? Où se situent ces bureaux dans les bâtiments ? Quelle dotation pour l’équipe d’assistants d’éducation ? De quel matériel dispose-t-elle ? Et quid de l’équipe de Direction ? Depuis combien de temps est-elle en poste dans l’établissement ? Y a-t-il un adjoint ? Le CPE est-il considéré comme un membre de l’équipe de Direction élargie ? Est-il force de propositions ? Pantin ? Outil ? Placardisé ? Mais aussi : y-a-t-il un Projet Établissement ? Les instances sont-elles pleinement investies ? Y a-t-il un réel travail partenarial en interne comme en externe ? L’équipe médico-sociale est-elle encline à travailler dans le secret partagé ou applique-t-elle à la lettre son secret professionnel ? D’ailleurs : y-a-t-il seulement une équipe médico-sociale ? Les responsables légaux occupent-ils une place à part entière dans la communauté éducative ? Sont-ils démissionnaires, ou encore laissés à l’écart ? Le travail des agents est-il connu et reconnu ? Le cas échéant, de quelles ressources le CPE dispose-t-il pour y remédier ?

 III – LIMITES

 Si l’on considère les quelques facteurs mentionnés ci-dessus, l’on pourrait alors préciser : le CPE est concepteur de son activité, selon la relation qu’il entretient avec son Chef d’Établissement, la place qui lui est attribuée au sein des différentes équipes, les moyens humains et matériels dont il dispose pour prendre ses fonctions etc.

 La Vie Scolaire : entité assez floue pour beaucoup, le terme Vie Scolaire renvoie aujourd’hui à une triple dimension :

  • L’organisation des conditions de vie, d’accompagnement et d’accueil des élèves en établissement
  • Une équipe : CPE / AED
  • Un lieu : le bureau des AED

 Nous, CPE, avons tendance à être considérés comme « chefs » du service Vie Scolaire par nos chefs d’établissement. Cependant, aucun texte ne parle de nous en ce sens. Il est important de souligner la différence entre « animateur et organisateur » et « chef », car de chef, nous n’avons : ni la responsabilité, ni le statut, ni le salaire, ni même la formation.

La délégation quasi-totale de ce service par nos chefs d’établissement représente à elle seule une somme astronomique de travail : entretiens d’embauche, réalisation d’un livret d’accueil, des emplois du temps, de la grille de poste, formations, réunions, entretiens de suivis, gestion des absences, des retards (en grande partie liés à un manque d’investissement, lui-même souvent lié à la précarité de l’emploi et au manque de reconnaissance), rédactions de notes de service, de comptes-rendus, accompagnement dans l’implication de la vie des élèves, de la classe, et plus largement de l’établissement…

Peut-on seulement envisager que la quantité de travail que cela représente puisse être assurée de façon qualitative, noyée dans l’ensemble de nos missions ? N’existe-t-il pas, dans la quasi-totalité des autres structures, des RH formés et embauchés pour ce travail ?

 La relation CPE / chef d’établissement : un lien étroit mais parfois invivable. Combien de CPE déplorent-ils la relation dégradante que leurs chefs entretiennent avec eux ? Entre humiliation, placardisation, exploitation… le travail collaboratif est parfois bien compliqué. Bien souvent considérés comme membres de l’équipe de Direction élargie, nous n’avons pourtant que bien peu de libertés. Notons également que nous - CPE et chefs d’établissement - avons la particularité d’avoir les mêmes inspecteurs. Difficile donc, en cas de besoin, de faire appel au service de notre IA-IPR qui abondera toujours (ou presque ?) – par loyauté – dans le sens du chef d’établissement.

 Le devoir de loyauté : justement, parlons-en. Nous sommes vivement invités à ne jamais montrer notre désaccord avec nos chefs d’établissement, par exemple en matière de punition ou de sanction. Cependant, nous sommes paradoxalement conseillers techniques des chefs d’établissement et de l’ensemble des personnels dans ce domaine. Quelle crédibilité nous est-elle alors attribuée ?

 Le manque de considération : souvent relégués à un rôle purement « disciplinaire », nos journées sont ponctuées d’allers et venues dans le bureau, parfois alors que nous sommes déjà en entretien, ou au téléphone, ou en train de rédiger un mail, un rapport, d’effectuer un bilan, de préparer une instance, de faire une réunion d’équipe Vie Scolaire... Nous sommes soumis à des sollicitations diverses sur tous les canaux possibles et imaginables : mails, portable personnel, téléphone de travail, talkie-walkie, bouts de papiers, informations données à la va-vite dans la cour, devant les toilettes, sur le parking, entre deux couloirs, en salle des professeurs, papillons / discussions / sondages sur les logiciels professionnels…

Difficile, donc : de tout mémoriser, de tout traiter et surtout de tenir le programme que nous nous étions fixé la veille, ou le matin-même. Nous faisons aussi office de bouche-trou : si un assistant d’éducation manque à l’appel, nous prenons le relais. Si l’équipe médico-sociale n’est pas au complet, la bobologie et les problématiques sociales nous reviennent. Si un professeur est en retard, nous allons surveiller les élèves. S’il n’y a pas d’adjoint, nous sommes sollicités pour des tâches qui ne relèvent pas de nos compétences. Nous sommes aussi parfois appelés parce que la machine à café de la salle des prof’ est en panne, parce qu’il n’y a plus de papier dans les toilettes, parce que le chauffage en B12 ne fonctionne pas ou que la fenêtre de la 15 menace de tomber, parce qu’un élève a renversé sa bouteille d’eau dans les escaliers… Ces différents types de sollicitations donnent parfois l’impression que nous sommes le service après-vente de l’établissement et soulignent justement la méconnaissance de nos missions.

 Les origines de cette méconnaissance sont multiples : désintérêt des uns, maque de temps des autres, mais surtout, à la source du problème se trouve le contenu des formations qui sont très (trop) éloignées entre les enseignants et les CPE. Là où les textes prônent le lien inébranlable, indispensable et évident entre le pédagogique et l’éducatif, et mentionnent donc un ensemble de missions communes et partagées, les contextes et les conditions d’exercice mènent au clivage, voire dans certains cas à la rupture. Un exemple : là où nous apprenons à tendre vers des mesures réparatrices de responsabilisation – mesures qui demandent temps, connaissance de la situation, connaissance de l’élève, de ses besoins et de ses capacités afin de fixer des objectifs clairs et réalisables, les enseignants demandent souvent une réponse immédiate et à chaud en matière de punition. Nos pratiques sont alors parfois considérées comme trop laxistes et donnent l’impression que l’on ne soutient pas le collègue qui a été en difficulté. Difficile de trouver un juste milieu, d’appréhender avec lui les questions relatives à la gestion de classe, à ses pratiques… Les incompréhensions et le manque de considération blessent, découragent et nuisent parfois à une coopération pourtant essentielle dans nos métiers.

 Notons également que le sentiment d’inégalité de traitement ne facilite pas l’apaisement du climat : tout d’abord, nos collègues enseignants bénéficient de primes, d’heures supplémentaires ou de tutorat qui leur assurent dès la première année de titularisation un salaire plus confortable. Pourquoi ne pouvons-nous pas prétendre à bénéficier, nous aussi, d’heures supplémentaires rémunérées ? Les éléments cités jusqu’à présent ne suffisent-ils pas à prouver que nous ne pouvons effectuer pleinement nos missions dans nos heures de travail ? Ensuite, la relation qu’ils entretiennent avec les chefs d’établissement est souvent moins tendue que la nôtre, car ils ont des inspecteurs différents de ceux des chefs d’établissement, ainsi que l’avantage de la supériorité numérique que nous n’avons pas. Ils sont plus aptes que nous à se serrer les coudes et à se montrer solidaires en cas d’injustice ou de ras-le-bol (et aucun chef n’aime voir planer au-dessus de son établissement une menace de grève). Enfin, les enseignants ont, par exemple, la possibilité de passer l’agrégation. Pourquoi n’existe-il pas d’équivalent dans notre fonction ? Nous couvrons pourtant un large champ de thématiques et nous pourrions tout à fait envisager de nous perfectionner dans l’une d’elle. Cela nous permettrait peut-être de légitimer nos actions et d’accéder plus facilement à des postes à profil, ou d’être appelés à travailler dans tel établissement avec tel chef d’établissement sur telle durée pour répondre à des problèmes spécifiques selon notre expertise et le partage de nos compétences.

 IV – CONSTAT

 Nous entamons la 12e semaine de cours, et force est de constater que nombre d’entre nous sont déjà épuisés, démoralisés, frustrés, découragés, dépassés, dépités, déçus. Entre le manque de temps de formations, le manque d’outils et le manque de ressources, les difficultés à faire adhérer nos collègues à nos protocoles, certains chefs tyranniques, les heures à gogo, le contexte sanitaire, les sous-effectifs dans les différentes équipes, les sur-sollicitations des uns et des autres, le sentiment de ne travailler que dans la précipitation, dans l’urgence, d’être isolés, contraints, précipités, bousculés… Notre travail, en plus de n’être que peu reconnu, semble presque déconsidéré.

Entre le travail du CPE comme acteur principal, secondaire ou en marge ; à échelle de l’élève, de la classe et de l’établissement ; qui ancre ses pratiques dans des projets à court, moyen et long terme avec des partenaires internes mais aussi externes à l’établissement, dans une grande partie des différentes instances et les 35h (+ 4 laissés à notre organisation personnelle), nous ne pouvons pas assurer pleinement nos missions car nous ne pouvons tout simplement pas apporter un travail de qualité dans un tel contexte tout en préservant notre santé.

Le métier de CPE serait-il donc délaissé ? Sommes-nous simplement affectés en établissement pour recevoir tout ce qui n’est pas géré ou traité par les autres services ? Ceci expliquerait effectivement que nos missions soient aussi diverses et variées, que nos salaires soient si faibles et que nous ne fassions ni partie intégrante de la Direction, ni partie des autres équipes, et que nous nous retrouvions isolés au milieu du carrefour vers lequel convergent les membres de la Communauté Éducative.

 Tout cela est bien dommage car, en dépit de tous ces éléments, notre métier est passionnant. La relation que nous entretenons avec les élèves est très riche, variée, touchante – parfois même bouleversante. Les jours ne se ressemblent jamais, les échecs perturbent et amènent à la réflexion, au croisement des regards, à la remise en question, au doute, à l’impatience, à la peur d’avoir cassé quelque chose, ou de tourner en rond, ou d’avoir fait pire que mieux, ou d’être allé trop loin, ou pas assez. Les petites ou les grandes victoires, elles, n’ont pas de prix. C’est notre raison d’être au travail, et c’est vers cet objectif que nous concentrons chacune de nos actions, qu’elles soient isolées ou partagées. La grande majorité d’entre nous fait ce métier par vocation et c’est justement cela qu’il faut préserver car c’est de la vocation que naît tout ce qui nous permettra de mettre en œuvre de façon pérenne les missions qui nous sont confiées. Pour ce faire, il serait grand temps que notre profession se voie évoluer et revaloriser.

Ségolène Baert

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