J’ai perdu ma carte Korrigo « accompagnant », qui me permet, à Rennes, d’être accompagné par une personne de mon choix dans les transports en commun, et ce gratuitement.
Ce matin, j’entre dans l’espace Korrigo de la gare, avec mes lunettes de soleil achetées à Action, parce que quand je mets plus d’un euro cinquante dans des lunettes je les perds, et ma canne de signalement, bien visible. Je décide de ne pas prendre de ticket à la borne, avec un numéro que je ne pourrai pas lire, annoncé sur un écran que je ne pourrai pas voir, et je me dirige vers les deux guichets PMR et j’attends mon tour. Quand un guichet se libère, je m’en approche timidement avec un « bonjour » d’handicapé qui s’excuse de l’être. L’agente me répond froidement en me demandant si j’avais pris un ticket à la borne, et que non monsieur il faut prendre un ticket à la borne et après vous venez au guichet. Je réponds « ah d’accord » sur un ton que je veux révolté, mais qui sort comme mon « bonjour » de soumission. L’agente du guichet voisin me fait signe qu’elle va me recevoir après la personne dont elle s'occupe.
Je suis tellement reconnaissant que j’ai envie de lui offrir un kouign amann, et puis je me dis « mais nan elle fait juste son boulot », et puis je commence à sentir monter le sentiment d’injustice et la colère envers sa collègue qui n’a pas pris en compte mon handicap, que j’ai pourtant bien visibilisé. Je réfléchis à un commentaire passif-agressif, dit suffisamment fort pour que la méchante l’entende, et puis je me dis que non, la pauvre prend les usagers à la chaîne et elle a juste pas le temps d’être inclusive.
Pendant que la gentille prend ma photo et refait une carte avec mention « accompagnant », j’entends un usager qui hausse la voix, qui s’énerve même, parce qu’une guichetière n’a pas daigné lui adresser la parole avant qu’il prenne un ticket à la borne. Je l’entends dire « je suis pas un chien » et « c’est du racisme », jusqu’à ce que l’agente responsable (ou peut-être une collègue) lui dise qu’elle va le recevoir tout de suite après.
Alors que je reçois ma nouvelle carte, plein d’émotions se mélangent : de la reconnaissance, de la colère, de l’injustice, de l’impuissance et une envie d’aller voir le gars et de lui dire « vous avez bien raison de gueuler, sinon ils ne nous calculeraient même pas ». Je dis juste merci à ma bienfaitrice avec la voix brisée et je m’en vais.
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La dernière fois que j’ai pleuré dans cette gare, c’était il y a deux semaines. J’avais quinze minutes pour prendre mon train, et j’ai remarqué un petit attroupement à l’entrée de la gare, à distance raisonnable de quatre policiers qui « maîtrisaient » un mec au sol, qui hurlait « à l’aide » et « je viens de me faire opérer », en français et en espagnol. Je me suis arrêté, j’ai vu son plâtre à la jambe, et je suis resté là, cinq secondes, avec tout le dédain dont je pouvais charger mon regard dirigé vers le seul policier debout, qui tenait un chien en laisse. Il m’a dit quelque chose qui ressemblait à « circulez, y’a rien à voir », alors j’ai circulé et j’ai déchargé une fois assis dans mon train, les mêmes émotions que devant la situation de ce matin, la reconnaissance en moins.
J’avais honte de n’avoir rien fait, rien dit, cédé à la peur de rater mon train au mieux, et au pire de me retrouver menotté et violenté.
Le validisme, le racisme, le sexisme, ils s’expriment partout, tout le temps, alors la prochaine fois, je veux ouvrir ma gueule aussi.