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Billet de blog 11 septembre 2025

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Quand je noyais mes Sims dans la piscine

La mort du streameur Jean Pormanove a indigné le PAF, qui se demande comment c’est possible de payer pour voir de la torture, les mêmes qui font leur beurre rance, jaunâtre et sensationnaliste depuis des décennies sur l'inhumanité et la violence. À quatre ans, j’ai vu la guerre du Golfe à la télé, alors venez pas me dire que « c’est la faute aux réseaux sociaux » !

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A treize ans, j’ai eu Les Sims, un jeu vidéo révolutionnaire, un « life simulator » ; mais qui dit « life » dit « death » aussi. Je leur faisais une piscine, les mettais dedans, retirais l’échelle et les regardais s’épuiser jusqu’à la noyade. Je les regardais se chier dessus dans une pièce dont j’avais enlevé les portes. Une copine m’a avoué qu’elle prenait des maris pour sa Sim et les tuait pour récupérer leur fortune. Ces expériences morbides n’ont pas fait de moi un sociopathe (pas plus qu’un autre mec cis blanc en tout cas), je n’ai pas fait d’études à l’ENA ou HEC pour transposer mon sadisme dans un monde physique que j’aurais considéré tout aussi virtuel.

Un épisode de la dernière saison de la série Black Mirror invente un jeu vidéo dans lequel les petits personnages qu’on nourrit et voit se multiplier sont en fait des créatures numériques sensibles, qui développent un langage. Lorsque le personnage principal, qui apprend à communiquer avec eux et à connaître leurs besoins, commence à se lier d’affection mystique pour ces créatures, il pète un câble en voyant un autre joueur s’amuser à les tuer, avec les outils du jeu. Alors, la frontière entre réel et virtuel s’effondre comme un château de cartes mère. J’ai réalisé que j’avais commis, dans ma vie de gamer, un génocide numérique. Pour autant, je fais bien la différence entre monde réel et monde virtuel, et je ne ressens pas le besoin pressant d’avoir du pouvoir sur d’autres.

Les ados qui regardent Naruto et Safine – et tant d’autres streameurs- humilier et agresser des personnes dominées ne sont pas des sociopathes en puissance, juste des gamins qui se construisent avec les outils que la société leur donne. Les mains arrachées, les yeux crevés, les génocides et les famines organisées sont tellement banalisés que regarder des gens en martyriser d’autres s’est gravé dans nos cerveaux comme un comportement « normal ». S’indigner ? Oui. Mais refuser de voir que nos institutions jouent au même jeu depuis trop longtemps, et avec des conséquences bien plus graves, certainement pas.

La France et sa « mission civilisatrice » ont toujours œuvré dans la violence, et on voudrait nous faire croire que les auteurs de violence individuelles sont entièrement responsables ? Je ne défends pas les agresseurs, d’autant que les rapports de domination sont systématiquement en lien avec les violences (dans le cas de Jean Pormanove, un validisme dans toute sa splendeur mortifère), mais je veux qu’on remette l’église au centre du carnage. Ça fait trop longtemps qu’on regarde des Sims souffrir à travers nos écrans, qu’on voit les dominants enlever l’échelle de la piscine ou vendre les portes qui nous permettraient de faire le pas vers un monde plus juste. C’est qui les sociopathes ?

Mon formatage scolaire m’urge de finir avec une citation, donc je cite Marat (et Pacôme Thiellement, dans sa relecture de la Révolution) :

« Ce ne sont pas les hommes égarés contre lesquels il faut sévir, ce sont les chefs »

Jean Pormanove n’était pas un Sim, les Gazaouis non plus.

Illustration 1
Un Sim qui se noie - Les Sims (1999) © Maxis

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