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Billet de blog 20 décembre 2012

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Paroles buissonnières, d'Ahmed Kalouaz

Paroles buissonnières est le titre d'un recueil de quarante-sept textes d'Ahmed Kalouaz représentant «plusieurs mois d'écrits migrateurs, de paroles buissonnières» qui s'apparentent plus à des vagabondages poétiques qu'à des récits.

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Paroles buissonnières est le titre d'un recueil de quarante-sept textes d'Ahmed Kalouaz représentant «plusieurs mois d'écrits migrateurs, de paroles buissonnières» qui s'apparentent plus à des vagabondages poétiques qu'à des récits.

Ces poèmes en prose sont le fruit d'une initiative originale de ce «passeur» de mots qui a l'habitude de parcourir la France de villes en villages pour aller à la rencontre des autres. Il eut en effet l'idée d'écrire un petit texte à l'issue de chacune de ces rencontres durant toute une saison et de le faire parvenir dès le lendemain au lieu d'accueil de la veille.

Ahmed Kalouaz n'est pas seulement un conteur, c'est aussi un authentique poète dont la poésie relève moins du travail méticuleux de l'artisan que du jaillissement de l'instant, du «souffle» vivifiant de l'inspiration qui vient ranimer les mots des autres : les mots dits, entendus ici ou ailleurs, mais aussi les mots inscrits dans les lieux divers et chuchotés par le vent et la pluie, les courants et les marées. Et cette contrainte d'écriture a sans doute encore stimulé son inspiration dans cet ouvrage où rayonne la beauté simple d'une écriture poétique effleurant le mystère, à la fois grave et souriante, mélancolique et sereine, emplie d'une profonde humanité.

Paroles buissonnières s'inscrit sous le signe de l'ouverture, dans une sorte de dynamique entre l'extérieur et l'intérieur, le proche et le lointain, mais aussi entre les vivants et les morts, entre tous ces inconnus croisés. Des poèmes qui relient, qui tressent des «guirlandes» de mots «à l'encre noire». "Le chant  du train est toujours le même" qu'il vous emmène "ici ou là"* et l'on écoute avec émotion la musique de ces mots «qui veulent nous porter un peu plus loin, un peu plus beaux, en mouvement dans l'espace» et dans le temps.

(* cf  la citation de  Claude Semal en exergue du livre,  tirée de La ballade du passant)

Ahmed Kalouaz a, le plus souvent sans doute, composé ses textes en marchant par les rues et les chemins, le long des fleuves et des canaux qui l'emportent au loin ou des ports dont les navires à quai décuplent l'horizon. A l'intérieur aussi mais  en s'échappant, en s'évadant par la fenêtre d'une chambre, par la vitre des trains de l'aube et de la nuit ou dans l'ombre d'une route éclairée par des phares. Et c'est la vie qu'il saisit «au-delà», cette vie qui «devant nous file» ou «qui se dévide à l'envers». Poète des «lisières», il «dérobe la frontière», il «raconte les paysages du bout des routes»,  de «la route des souvenirs», partageant «un bout de voyage, au fil des virgules» et «l'instant fragile des phrases qui emplissent les vides», donnant parfois «une touche de joie de vivre à qui l'avait perdue».

La poésie d'Ahmed Kalouaz semble naître ainsi d'une dynamique de l'échange et du rebond, de la réminiscence. Aux «bribes de poèmes», ces «vers célestes» qui «l'enveloppent de mots», s'ajoutent «quelques phrases courtes à bouts rimés  dérobées au passage dans un ciel de printemps», et, surtout, des «valises de mots nouveaux» nées du «souffle des rencontres» qui le font s'éloigner «avec, au creux des yeux, un regard, une autre ligne pour poser ces mots qui appartiennent au message du vent», pour «écrire quelques phrases avant d'aller le soir les offrir à des gens qu' [il] ne connaît pas». 

Paroles buissonnières est un beau recueil rendant hommage à la poésie telle que ce "poète ambulant" la vit et la partage,  à «l'or des mots sans prétention et pour des lendemains meilleurs». A ces mots qui «seuls savent redonner un peu d'élan», à ce «verbe qui a le pouvoir de donner des ailes, de faire palpiter les coeurs au bois dormant».

Paroles buissonnières, Ahmed Kalouaz, Le bruit des autres, mai 2012, 116 p.

EXTRAIT :

A l'aube, p.104

(écrit à Toulouse, ce jour sanglant du 19 mars 2012) 

   (...)

   Du vent flottant sur la rivière, je fais une écharpe pour garder en ma gorge le secret des mots naissant de l'épouvante, les conduire un peu, par les vers et les rimes, les plaines d'hiver et les vignes.
   En quelques couplets, retrouver la Garonne rouge à l'estuaire, et remonter sur la vague du mascaret, comme pour remettre le temps à l'endroit, rendre la vie à ceux qui sont tombés dans le livre des morts, endormis pour des lustres et des nuits de chagrin.
   Aux derniers sillons de l'hiver, marcher encore, effacer le combat inégal entre le papier et le feu, emporter cette peine accrochée aux parois du coeur, faire de ces lignes un souvenir, un devoir de mémoire. Et la danse des prénoms.

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