Des milliers de Turcs protestent partout dans les rues de Turquie, après la mort de la 8ème victime des événements de Gezi, le jeune Berkin Elvan. L'adolescent s'est éteint ce matin. Il était resté dans le coma pendant 269 jours après avoir reçu une capsule de gaz en pleine tête alors qu'il sortait chercher du pain dans son quartier. Ce matin, il ne pesait plus que 16 kilos. Cet après-midi, son petit cercueil a fendu la foule rassemblée pour soutenir la famille Elvan, pendant que des partisans du gouvernement continuaient de poster des menaces et des insultes à l'encontre des manifestants sur le net.
Depuis le début de la journée des milliers de personnes manifestent en silence ou en scandant des slogans contre le gouvernement. Certains ont choisi de s'asseoir sur une place, d'autres marchent et protestent, d'autres témoignent leur douleur sur les réseaux sociaux. Des dessins sont publiés par dizaines. Tantôt le jeune Berkin est dessiné avec des ailes dans le dos, tantôt il dort sereinement sur une flûte de pain. Tous portent un seul message : "c'est notre Premier Ministre qui est responsable" et Berkin, devenu symbole de la répression gouvernementale aveugle, est "éternel".
Le Premier Ministre qui avait pleuré en direct sur une chaine de télévision turque à la lecture de la lettre du père d'une jeune Egyptienne, tuée lors des manifestations de l'été dernier, n'a pas dénié transmettre ses condoléances à la famille du jeune homme. La police réprime férocement les manifestations et ce soir, l'arrogance de Recep Tayyıp Erdoğan est encore plus difficile à supporter pour de nombreux Turcs. Pour d'autres, la répression systématique des rassemblements antigouvernementaux n'est pas assez violente. Les partisans du Premier Ministre n'ont pas de mots assez forts contre cette frange de la population qu'ils considèrent comme des marginaux et des traitres à la solde des Empires occidentaux. Pour eux, la parole de Recep Tayyıp Erdoğan fait foi.
La République de Turquie est divisée depuis toujours, jamais le vouloir-vivre ensemble n'a été vraiment consenti. Mais aujourd'hui, le problème est politique plus qu'éthnique, sociétal plus qu'idéologique.
La Turquie est rentrée dans une année d'élections; d'abord les élections locales du 30 mars prochain, puis les élections présidentielles en aout, qui se tiendront pour la première fois au suffrage universel direct. La Turquie pourra-t-elle gérer cette situation dans les urnes? Beaucoup des contestataires en doutent. Beaucoup craignent que les élections soient truquées. Beaucoup ont peur qu'une victoire du parti du Premier Ministre lui donnent plus d'assurance encore qu'il n'a déjà. D'autres se réjouissent à l'idée que leur leader puissent écraser les vagues répétées de contestations. D'autres encore espèrent qu'enfin cessent les accusations de corruption qui pèsent sur Recep Tayyıp Erdoğan et ses proches et qu'ils pensent être l'oeuvre de forces étrangères et internes, jalouses et malveillantes. Les mois à venir vont être déterminants pour les Turcs, leurs modes de vie, leurs acquis démocratiques et leurs valeurs républicaines.