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Billet de blog 2 novembre 2013

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Manifeste d'une connasse en colère

Il y a deux ans et demi je publiais sur ce même blog quelques réflexions personnelles sur le projet de loi (et oui, déjà, à l’époque) de pénalisation des personnes ayant recours à la prostitution. Je me souviens alors que mon intention était avant tout de souligner le fait que le problème posé par la commercialisation des rapports sexuels était bien plus vaste, bien plus ample, et bien plus complexe que celui posé par la prostitution.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a deux ans et demi je publiais sur ce même blog quelques réflexions personnelles sur le projet de loi (et oui, déjà, à l’époque) de pénalisation des personnes ayant recours à la prostitution. Je me souviens alors que mon intention était avant tout de souligner le fait que le problème posé par la commercialisation des rapports sexuels était bien plus vaste, bien plus ample, et bien plus complexe que celui posé par la prostitution. A mon sens, ce qui est en jeu ici en effet ce sont avant tout les modes de commercialisation des corps et les rapports de domination qui en découlent.

Ne pas confondre exploitation sexuelle et travail du sexe

 Arrêtons de parler de prostitué(e)s. La prostitution n’est qu’une parmi un grand nombre de pratiques pouvant être considérées comme relevant du travail du sexe. Or le travail sexe finalement, est un service. Et il existe des mouvements, associations et syndicats des travailleur(se)s sexuels. Bizarrement d’ailleurs, on ne leur demande pas beaucoup leur avis sur la question. Ont-ils été consultés au moment de l’élaboration du projet de loi ? Quelqu’un, parmi ces parlementaires a t-il pris le temps de suivre, parler, dialoguer, avec des travailleur(se)s sexuel(le)s ? (Cela me rappelle étrangement les débats sur le voile où on voyait alors de tout s’exprimer, sauf des femmes voilées.)

Peut-être ne faudrait-il pas confondre travail du sexe et exploitation sexuelle, et ce bien que, je le reconnais, la frontière entre les deux soit extrêmement floue. Tout comme pour n’importe quel travail d’ailleurs, et nul besoin d’aller jusqu’en Chine pour brandir l’exemple des mineurs embauchés au montage à la chaîne, nous fourmillons d’exemples dans la patrie de « Droits de l’Homme ».

 Je ne peux pas croire une seule seconde que les partisan(e)s de la pénalisation aient réellement foi dans le fait qu’une telle mesure permette de lutter contre l’exploitation sexuelle. Pensent-ils réellement que les hommes (et les femmes d’ailleurs, bien que cela soit généralement d’une autre manière) arrêteront de recourir aux rapports sexuels tarifés sous prétexte que cela est interdit ? Je vous éviterai la liste des interdictions les plus « efficaces » de l’histoire (sentez l’ironie), je pense que vous voyez où je veux en venir. Dans ce cas, deux solutions: ou nous sommes gouvernés par des imbéciles, ou par des hypocrites qui nous prennent, nous, pour des imbéciles.

Quelle que soit la bonne réponse, l’heure est grave. 

Tu me touches donc je suis ?

Le corps des femmes, ou le corps féminisé, je vous ferai grâce à tous d’un débat de sociologie sémantique (bien qu’il ait son importance), est avant tout un corps. C’est-à-dire qu’il agit comme un filtre incontournable dans le rapport qu’entretiendra la personne prisonnière de ce corps avec tout autre congénère de l’espèce humaine. Les hommes (quand je me réfère aux hommes, je pense avant tout à ceux entrant dans « la norme ») passent-ils également par cette expérience ? Je ne le crois pas.

Quelles preuves ai-je pour balancer une telle information ? La vérité aucune. Des hommes haïssant leur corps, ayant été moqués au cours de leur scolarité en raison d’une particularité physique, il y a en a la pelle bien sûr. Il y en aura même pour me dire, les pauvres, qu’ils subissent de leur côté la pression constante de la performance sexuelle, de la (trop ou pas assez) grosse bite, et qu’être un homme ce n’est pas facile.

 Oui être un homme, cela ne doit pas être facile, j'en conviens.

 Mais cette expérience de ne vivre qu’au travers un corps rendu totalement objet, de sentir que ce corps est un péage obligatoire et involontaire pour toute personne avec qui l’on se trouve en interaction, je suis intimement et instinctivement convaincue que cela est bien ce qui module notre socialisation « en tant que femmes », rejoignant ainsi en quelque sorte le fameux mantra de Simone de Beauvoir – on ne naît pas femme etc.         

 Je me souviens, alors que j’étais encore à l’école primaire, des garçons cherchant à attraper les filles dans le dos par leur soutien-gorge. A dix ou onze ans me direz-vous, il n’y a pas beaucoup de gamines portant le soutif. Pas de bol, j’en étais. En plus d’avoir été précoce, ma poitrine est généreuse. Je ne compte pas les fois, notamment dans une gentille petite école privée en banlieue parisienne chic, où les garçons de ma classe, je devais alors être en cinquième, m’ont coincée dans un couloir pour me pincer les tétons au travers de ma chemise d’écolière. J’ai d’ailleurs été, plus d’une fois en de telles occasions, réprimandée pour être un élément « dissipateur ». Je n’ose même pas imaginer ce qui me serait arrivée si, de mon côté, je les avais coincés pour leur tripoter les couilles (chose qui à moi, personnellement, ne me serait jamais venue à l’idée).

 Je ne compte pas les fois où un pervers s’est branlé devant moi dans le métro, s’est frotté contre moi dans une foule comptacte, je ne compte pas les remarques et regards libidineux avec lesquels, depuis toujours, et comme toutes les femmes, je dois composer au risque de passer pour une hystérique-féministe-frustrée-allumeuse-causeuse de troubles. Après dix ans au Pérou, je ne compte pas les fois où, comme toute les femmes ici ou presque, l’on m’a sifflée, claquée de la lange comme si j’étais un poney, dit des horreurs ou regardée comme si j’étais un bout de viande.

Alors oui je suis révoltée

            Par le manifeste de ces 343 connards. (Oui, si seulement il n’y avait que ça...)

 Je suis révoltée à l’idée qu’ils aient pu moquer la cause féministe afin d’étaler publiquement leur petit caprice. Je suis effarée par le fait que parmi ces hommes, dont certains auto-proclamés « intellectuels »,  aucun d’entre eux ne se soit rendu compte de ce qu’ils représentaient : des mecs plus tout jeunes pour beaucoup, blancs pour plupart, et intégrés pour l’ensemble d’entre d’une certaine élite. En bref, les symboles parfaits, non seulement du patriarcat mais de toutes les autres formes de domination que nous passons pour certains d’entre nous tant de temps à dénoncer : colonialiste, économique, culturelle et j’en passe. Merci messieurs pour ce beau florilège.

 Je suis révoltée par l’importance que l’on donne à leur minable petite cause. Les 343 salopes (rappelons à toute fin utile que ce ne sont pas elles qui ont choisi ce titre), elles au moins, avaient signé avant la dépénalisation de l’avortement, en réalisant un véritable acte de désobéissance civile. Les 343 salopes, elles, au moins, avaient toutes affirmé avoir avorté, que cela soit vrai ou non, il n’était pas question de se contenter de soutenir la cause, et exposèrent ainsi leur corps à l’opprobre public. Enfin, les 343 salopes, contrairement à notre belle bande de connards, ont permis, en le rendant politique, de remettre en question le système perpétuant la domestication du corps des femmes. Quels sont les véritables débats soulevés par la grotesque parodie de nos 343 pénis vengeurs ?

 Parmi ces 343 salopes, l’une d’entre elles m’a fait naître. Elle a été le premier être humain à poser les mains sur moi. Je ne sais pas si ma révolte d’aujourd’hui porte ces empreintes, et si finalement ce n’est ce premier contact imprimé sur mon corps qui m’amène a ressentir autant de révolte. Ce que je sais c’est que je me sens personnellement blessée par ce manifeste ridicule. D’abord parce qu’il moque tout l’apprentissage intellectuel que j’ai moi même entrepris ces dernières années. Mais aussi, parce qu’il m’atteint dans mes chairs et que c’est comme si j’avais reçu 343 baffes.

« Touche pas à ma pute » ? Mais ce sont vous les putes messieurs. 

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