Je n'ai personnellement jamais rêvé d'être une prostituée. Petite, je voulais être maîtresse d'école, puis policière et enfin présidente de la république (on peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure cette dernière fonction ne serait pas assez proche de la prostitution mais je passerai outre ce possible débat).
Aucune de mes amies, à ma connaissance, ne s'est jamais prostituée. Elles voulaient elles-aussi être maîtresses d'école, policières, chanteuses et même, nonnes (ce dernier cas restant cependant une exception).
En revanche, j'ai, un certain nombre de fois, entretenu des relations dont je n'avais pas envie. Pour diverses raisons, cela pouvait aller de l'idée qu'après tout il fallait « profiter de sa jeunesse », ou de celle que j'allais passer pour une sainte nitouche ou le genre de filles coincées.
La plupart de mes amies, pas toutes, mais un certain nombre d'entre elles, elles-aussi ont parfois tenté ce genre de relations. Il arrive parfois que l'une d'entre elles vivent avec un homme qu'elle n'aime pas vraiment mais qui est « tellement gentil ». Le contraire arrive aussi.
Egalement, ma route a malheureusement rencontré celle d'un certain nombre de pervers. Des hommes aux discours et comportements "borderline". Des gens qui ont pourtant l'air très bien. J'ai même côtoyé plusieurs années un pédophile notoire très fier de s'afficher au bras de sa maîtresse de 25 ans plus jeune. Leu relation avait débuté alors qu'elle avait 14 ans, tout le monde le savait, et personne, à ma connaissance, ne s'en ai jamais réellement ému, sauf la femme de cette homme qui n'a pas hésité à traiter sa « concurrente » de... pute.
La plupart de mes copines, elles-aussi, ont, à un moment ou un autre, croisé la route d'un pervers. Ces choses, dont on ne parle pas souvent entre copines, il faut bien le dire, je les ai découvertes lorsque j'ai commencé à travailler sur les femmes et à évoquer ce genre de débats. En écoutant les expériences des unes et des autres, j'ai été frappée de voir la façon dont la sexualité féminine hétérosexuelle reste encore marquée par une logique de domination masculine qui considère le corps des femmes comme un bien en libre-service, voir même, comme un dû. Le fait que l'on se plaise souvent à évoquer la « nécessité naturelle » des hommes à régulièrement avoir des relations sexuelles, argument qui est souvent repris par les défenseurs de la légalisation de la prostitution, suffit à donner un exemple de comment notre société normalise une organisation des échanges sexuels hétérosexuels basée sur une véritable exploitation du corps des femmes.
Je ne suis pas la première à faire ce genre de constat, loin de là, et ne serait pas la dernière, j'imagine à me faire traiter de vieille-féministe-frustrée-lesbienne-intolérante et tout le tralala qui accompagne généralement cette prise de position. Néanmoins il me semble utile de replanter ce débat à l'heure où la prostitution semble tant faire problème à notre gouvernement.
Il y a encore peu, l'Etat concentrait en effet l'essentiel de son effort de criminalisation de la prostitution sur les prostituées elles-mêmes. Or, depuis le rapport rendu lundi dernier par une mission parlementaire, l'Etat envisagerait de pénaliser le recours à la prostitution, c'est-à-dire que le client pourrait avoir à payer 3 000 d'amende et purger une peine d'emprisonnement allant jusqu'à six mois. Bien entendu, une telle proposition a ravivé le débat sur la légalisation/pénalisation de la prostitution. Alors qu'il apparaît pour certains (et notamment pour les prostituées elles-mêmes, semblent-ils) comme un texte « liberticide » (voir le Libération du 14 avril), les défenseurs du projet de loi avancent l'argument qu'il s'agit ici avant tout de garantir la « dignité humaine » et « l'égalité des sexes ».
Il semble évident que les hommes ne cesseront pas d'avoir recours à des prostituées afin d'apaiser ces fameuses pulsions soi disant naturelles. Il est interdit d'acheter de la drogue, cela n'empêche personne de le faire. La sexualité masculine a été organisée et normalisé depuis si longtemps sur cette idée de « besoin », qu'il me semble difficile de croire que pénaliser le client suffise à renverser la machine. D'autre part, cette pénalisation pose aussi un problème d'inégalités sociales dans la mesure où ceux qui auront les moyens de se « payer » des prostituées « haut de gamme » n'auront très certainement aucun problème à passer entre les mailles du filet.
D'un autre côté, la prostitution renvoie à une organisation des relations sexuelles hétérosexuelles qui reflète une permanence du statut secondaire octroyé aux femmes dans notre société. Les femmes ne sont certes pas les seules à se prostituer. Néanmoins, il me semble possible que la sexualité dont il est question dans la prostitution relève généralement de pratiques sexuelles inspirées des normes hétérosexuelles. La prostitution pose donc un réel problème lorsque l'on réfléchit sur la place des femmes dans la société.
Le débat, peut-être, n'a t-il pas lieu là où cela devrait être le cas et n'amène pas les vraies questions. La prostitution, finalement, est un travail. La pénalisation de cette profession ne peut amener qu'à son informalisation, ce qui représenterait un danger réel pour les prostituées. Si l'on décide alors de traiter la prostitution comme un travail, tout aussi « spécial » qu'il soit, il me semble qu'un certain nombre de problèmes peuvent-être résolus.
Je ne sais pas en outre si suivre la voie de la criminalisation de la prostitution, dans le but de l'éradiquer, suffirait à briser l'idée que le corps des femmes est une marchandise. Le corps des femmes s'étale absolument partout et il ne cessera pas pour autant d'être à vendre. La sexualité féminine hétéro continuera d'être contrôlée, inspirée, organisée, par des rapports sociaux de sexes construits sur la base de la domination masculine. Cela n'empêchera pas des femmes d'entretenir des relations dont elles n'ont pas vraiment envie parce qu'elles se sentent « obligées », d'une façon ou d'une autre, de « rester ». Cela n'empêchera pas les femmes d'être jugées tout autant sur leurs capacités intellectuelles que sur leur physique lorsqu'elles passeront des entretiens professionnels.
En réalité je me sens moi-même une prostituée parfois. Parce que j'accepte d'adhérer à certaines règles et normes afin de gagner ma place dans la société, ou contre une certaine sécurité matérielle, affective ou encore psychologique. J'accepte ainsi parfois de jouer sur mes soi-disant « atouts féminins » dans le but d'obtenir certaines formes de reconnaissance sociale. Ce n'est pas conscient, bien sûr. Je ne me dis jamais « tiens je vais mettre un décolleté ça va aider ». Mais je sais que c'est inscrit au fond de moi, et qu'il me sera très difficile d'y échapper.
Je me sens donc assez solidaires des prostituées car on les considère souvent comme des femmes marginales, qui n'auraient pas eus « le choix ». Mais finalement, je ne suis pas sûre que les autres femmes, toutes celles qui ne seraient pas des prostituées, aient plus de choix. Et il me semble que cela devrait être le véritable débat.