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Billet de blog 22 juin 2012

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Conflits socio-environnementaux au Pérou : alors que la pression se relâche la résistance tient bon.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La région de Cajamarca, au nord-ouest du Pérou, est emblématique des multiples conflits opposant les populations locales aux nombreuses entreprises d’extraction minière présentes dans tout le pays. Depuis plusieurs mois un désaccord profond oppose le président de la région, Gregorio Santos, au gouvernement péruvien à propos du projet minier Conga dont est chargée l’entreprise américaine Newmont Mining.

Les luttes autour du projet Conga révèlent les innombrables divisions dont souffre le Pérou à l’heure actuelle, qui peine à redistribuer équitablement les fruits de l’essor économique dont il fait preuve ces dernières années, grâce notamment aux prix élevés des hydrocarbures et minéraux, présents en abondance. C’est avant tout grâce à l’exploitation de ces ressources, généralement menée par des multinationales étrangères, que la croissance économique du pays suit une courbe ascendante, et ce malgré le moral morose de l’économie mondiale. Par ailleurs, le beau fixe proclamé de l’économie péruvienne n’est pas sans provoquer d’importants coûts sociaux et environnementaux à l’origine des conflits de plus en plus nombreux opposant les populations locales aux entreprises minières.

A Conga, le mouvement social s’opposant au projet de la Newmont a pris de l’ampleur ces six derniers mois, alors que le rapport des experts chargés d’évaluer l’impact environnemental est fortement contesté, non seulement par les populations directement concernées, mais aussi par tout un ensemble d’organisations de défense de l’environnement et des droits humains. Ces derniers ont en effet exprimé leur soutien aux leaders des mouvements sociaux engagés dans la résistance grâce notamment aux réseaux sociaux.

De son côté, l’élite créole liménienne, qui domine économiquement et culturellement le pays, ne cesse de déplorer la prétendue « ignorance » de ces « paysans » ou « indiens », qui se laisseraient « manipuler » par des fauteurs de troubles qui ne feraient valoir que leurs intérêts personnels. Ce discours, hautement représentatif de la hiérarchisation raciale et culturelle dont souffre  historiquement la société péruvienne, se voit repris sans trop de subtilités pas les grands médias nationaux, laissant peu de place aux voix alternatives de s’exprimer. Encore une fois, les populations rurales sont appréhendées comme des « obstacles au développement », rendues à la merci de mercenaires politiques anti-système qui n’auraient de cesse les manipuler afin de laisser libre cours à de sombres projets…

Ce type d’argumentaire n’est pas sans rappeler les fureurs ayant marqué l’entre-deux-tours lors des élections présidentielles en 2011 qui avaient vu s’affronter le président actuel Ollanta Humala a Keiko Fujimori, fille de l’ancien président aujourd’hui condamné à vingt-cinq ans de prison pour violations de droits humains (entre autres). Alors que K. Fujimori défendait avant tous les intérêts privés des grandes entreprises et une certaine aristocratie économique extrêmement puissante au Pérou, O. Humala parlait quant à lui de « grande transformation » en promettant une politique de développement sensible à l’inclusion sociale. Il s’était ainsi imposé (de peu) face à sa rivale grâce aux votes massifs des populations rurales et marginales qu’ils prétendaient représenter. L’élection d’O. Humala avait ainsi provoqué l’émoi des groupes dominants qui voyaient en lui l’incarnation d’un nouveau Hugo Chávez et qui avaient ainsi justifié leur rejet du candidat « socialiste » au travers de l’élaboration de discours extrêmement discriminants envers les populations le soutenant.

Un an plus tard, la « grande transformation » promise par O. Humala n’a toujours pas eu lieu. Bien au contraire, alors qu’il s’était engagé à revoir les contrats liant les entreprises étrangères d’exploitation minière à l’Etat dans l’idée de générer plus de bénéfices pour les populations locales, les nombreux conflits environnementaux ayant éclaté ces derniers mois semblent prouver son échec et on peut se demander si le président ne se serait pas retourné contre ses propres électeurs, la radicalisation de la réaction des forces de l’ordre face aux manifestant (plusieurs morts sont à déplorer) en donnant la preuve. Alors que l’Etat d’urgence a été déclaré à Cajamarca, mais aussi à Espinar, autre zone de conflit, les dirigeants des protestations sociales ont été l’objet d’énormes pressions politiques et de féroces campagnes de décrédibilisation.

 Or au sommet de Rio, O. Humala annonçait hier son intention de former un « nouveau type de relation » avec l’exploitation minière, ainsi que sa volonté de ne pas répéter les « erreurs du passé » qui auraient promu un modèle de développement économique laissant de côté l’inclusion sociale. Ce brusque retour vers son refrain de campagne surgit après que plusieurs congressistes de son parti aient démissionné il y a quelques jours en démonstration de leur rejet de la politique actuelle menée par le gouvernement dans le cadre de la régulation des conflits socio-environnementaux et qu’il ait été rappelé à l’ordre par la député d’Europe Ecologie Catherine Grèze la semaine dernière alors qu’il réalisait une visite officielle à Bruxelles.  

La pression sur les principaux représentant des manifestants semble en effet s’être légèrement relâchée, tandis que l’on parle à nouveau de « dialogue » au sein du gouvernement qui, après avoir sévèrement condamné les mouvements de protestations, incite les entreprises à respecter les chartes sociales et environnementale. Les conflits socio-environnementaux ayant éclaté des derniers mois (années !) au Pérou sont cependant loin d’être résolus. Néanmoins, le va-et-vient entre répression et négociation opéré par le gouvernement, s’il reflète une grande instabilité politique, montre aussi qu’il existe des mouvements sociaux capables d’opposer une véritable résistance au pouvoir central et au secteur privé qui le contrôle.

La résistance des populations locales face à l’exploitation minière montre ainsi que « l’environnement », en tant qu’objet socialement construit, est devenu une plateforme sur laquelle s’élabore tout un ensemble de revendications sociales et politiques dont les enjeux dépassent le seul changement climatique. L’environnement comme concept, tel qu’il est interprété  aussi bien au sein des protestations à Cajamarca qu’à l’actuel sommet de Rio, est devenu un capital dont la gestion concentre les divers rapports de forces associés à son élaboration (ici pensée comme une préservation…). Or, on le voit avec le cas péruvien, ces rapports de forces sont classiques alors qu’ils font jouer les oppositions historiques marquant les différents groupes composant la société péruvienne. Ce qui a changé cependant, c’est le rôle croissant de support joué par d’autres organisations de la société civile type ONG, et la transnationalisation, non seulement de l’enjeu « environnement » en tant que tel, mais aussi des mouvements sociaux qu’il inspire. On peut se demander si ces nouvelles dynamiques seront réellement capables d’influencer les politiques d’exploitation minière au Pérou (et ailleurs) mais aussi si elles peuvent, d’une manière ou d’une autre, rééquilibrer des rapports de forces encore très inégaux. 

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