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Billet de blog 31 mars 2011

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La question du siècle. Faire, ou ne pas faire de doctorat ?

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Grande question posée par Le Monde ce matin, dans un article publié sur sa page web (http://www.lemonde.fr/orientation-scolaire/article/2011/03/30/faut-il-faire-un-doctorat_1500263_1473696.html).

Fièrement partagé par un membre de la liste de diffusion administrée par l'Association Nationale des Candidats aux Métiers de la Science Politique (des jeunes ou futurs jeunes docteurs, donc), l'article, censé remonter le moral de tous ceux qui ont eu largement le temps de se dégriser des toast euphoriques suivant leur soutenance de thèse, a suscité un débat parmi les abonnés.

Le Monde en effet, semble nous inciter à croire que le doctorat serait de plus en plus apprécié, ou tout du moins appréciable, et ce dans le secteur privé. D'après la directrice de l'Intelli'agence (anciennement association Bernard Grégory, qui cherche à promouvoir l'insertion professionnelle des jeunes docteurs), les capacités d'expertises et d'innovations acquises pendant le doctorat représenteraient un véritable plus pour les entreprises. « Même » les sciences humaines et sociales, ce « même » étant assez révélateur du caractère de pis-aller donné à des disciplines qui sont pourtant celles qui le plus facilement se transmettent à un large public.

Par ailleurs, le doctorat tel qu'il est évoqué dans cet article, est présenté comme le diplôme le mieux reconnu au niveau international. Bien sûr il s'agit d'étudier trois (mais plutôt 4 ou 5) ans de plus, mais qu'à cela ne tienne, on a des financements pour cela, et de citer avec insistance les contrats Cifre qui permettent à un doctorant d'être employé par une entreprise dont l'activité, à priori, correspond à son objet de recherche. A première vue, les contrats Cifre semblent être la panacée de l'insertion professionnelle des jeunes docteurs. Dans les faits, une minorité de doctorats font l'objet d'un tel contrat, tandis que, selon la « rumeur », un doctorat « Cifre » serait moins bien reconnu en cas de tentative d'insertion dans le secteur public (CNRS - Universités).

Le doctorat, oui, mais encore faut-il qu'il rapporte. C'est l'idée en gros de l'article. Or, dans les faits, il ne rapporte rien, en tout cas pas dans l'immédiat. A l'heure actuelle, il n'est en effet pas rare qu'un jeune docteur doivent enchaîner des contrats à durée à déterminée (dont la misère se cache sous le nom sexy de « postdocs »), avant de réussir à « se caser » quelque part. Les postes laissés vacants par des chercheurs partant à la retraite sont, pour beaucoup d'entre eux, remplacés par des postes « précaires ». Les salaires, comparé proportionnellement à d'autres emplois que ceux de la recherche, à même niveau, sont franchement ridicules : moins de 2000 euros nets/mois pour un chargé de recherche fraîchement recruté aux CNRS, même chose en ce qui concerne les postes de Maître de Conférence. Bien sûr me direz-vous, ces emplois s'accompagnent d'avantages sociaux et tout le tra la la. Sauf qu'en général on ne devient pas chargé de recherche ou Maître de Conférence du jour au lendemain, Dieu nous en garde. En comptant le doctorat (huit ans d'études minimum, mais ce sont plutôt dix), le (les) post-doctorats et autres, « gagner » un poste (après tout ils s'obtiennent par concours) représente un certain accomplissement mesurable dans le temps. A ce moment-là le jeune docteur reste jeune, mais il a très largement passé la barre des trente ans. De ce point de vue, gagner 2000 euros nets, à, disons, 35 ans, n'apparaît pas forcément comme la panacée, surtout si l'on vit à Paris et que l'on ne vit pas seul(e) (avoir des enfants étant une chose qui peut arriver à tout le monde, même aux meilleurs). Ajoutons à cela l'image qui est donnée aux chercheurs (des personnes asociales, opportunistes, fainéantes, autosatisfaites et, oui, oui incompétentes) par un gouvernement qui les méprise et les déteste (le fameux discours « ils ont vu de la lumière, c'est chauffé» de Sarko en janvier 2009), et on peut se faire une idée de la popularité réelle de la formation doctorale en France.

Et pourtant. Cette année, comme beaucoup d'autres je passe pour la première fois, comme des centaines d'autres, le concours du CNRS. Nous ne sommes pas loin de deux-cent cinquante pour sept postes vacants dans ma section. En ce qui concerne les postes de Maître de Conférence, je suis moins bien renseignée, car j'ai lâché l'affaire pour cette année, mais là aussi, ce sont des dizaines, voir centaines de dossiers, pour un seul poste à chaque fois. Il est intéressant de voir que le secteur public, et plus précisément celui de la recherche, qui a priori et avec raison semble ne plus être très attractif, n'est-ce pas, continue tout de même de représenter une cible privilégiée pour l'insertion professionnelle des jeunes docteurs.

Un pis-aller me direz-vous ? Surtout pour nous, les ratés des sciences humaines et sociales. Il n'y a pas d'autres débouchés, donc nous nous jetterions tous sur les quelques postes disponibles, prêts à lutter les uns contre les autres jusqu'à ce que mort s'ensuive, rivalisant de roublardise afin d'être les « mieux » ou les « plus connus » dans nos domaines de spécialités respectifs.

Oui j'avoue, l'ambiance n'est pas toujours sympathique. Elle l'est difficilement quand il s'agit de passer près de la moitié de son temps à monter des dossiers de candidatures pour tel ou tel financement en même temps que pour les postes d'université, CNRS et compagnie. Car tout un chacun vous le dira : si vous cherchez un poste, soyez patient, cela prend quelques années (lorsque cela arrive). Cela ne peut QUE prendre quelques années, puisque vos chances d'être recrutés dépendront étroitement de vos capacités de rayonnement. En attendant donc, vive, les postdocs, qui n'en sont pas moins sélectifs. Postuler à tout, en même temps, partout, prend du temps. Du temps que vous n'aurez pas pour votre recherche (c'est à dire votre métier, car un docteur sans emploi n'en a pas moins un métier). On vous reprochera alors de ne pas avoir été très productif et votre dossier sera mis en bas de la pile. Si vous avez le malheur d'être une femme et de tomber enceinte, mal vous en prenne.

En d'autres termes, le jeune docteur passe un temps de malade à monter des dossiers de candidature qui risquent de passer tout à fait inaperçu et se voit ainsi plongé dans un anonymat abyssal. Il devient parano. Il pense que tout le monde fait mieux que lui. Qu'en réalité son directeur de recherche le hait et qu'il agit dans l'ombre pour favoriser son favori. Qu'untel a des « contacts », qu'unetelle « a couché », que tel autre ne choisit ses sujets que parce qu'ils sont à la mode. En plus, il n'est même pas possible de haïr les personnes censées vous recruter. Elles mêmes sont débordées, frustrées de voir passer des bon dossiers qui ne trouveront pourtant pas leur place. Même moi, je n'arrive pas à leur en vouloir. J'en viens presque à avoir à avoir de la pine pour ceux qui sont censés faire leurs choix sur la « relève ». Et je suis sincère. Si ce n'est pas tout à fait le syndrome de Stockholm, cette miséricorde soudaine n'est pas loin de révéler une certaine forme de masochisme dérangeante. Plutôt que de se sentir fier de son parcours universitaire et personnel, je connais beaucoup, beaucoup de gens qui pourraient l'être, et que j'admire beaucoup, le jeune docteur pense parfois, dans les moments de crise, qu'il est une merde, qu'il lui manquera toujours quelque chose, et il pense, en plus, que c'est normal de se sentir ainsi, que ce sont les règles du jeux.

Un doctorat, donc, l'angoisse. A ne pas faire ? Ou à ne faire qu'en épousant cette vision bon enfant voulant recycler une formation tournée autour de la capacité d'exercer un questionnement critique systématique en un nouveau passage obligé vers l'insertion professionnelle de l'élite (les écoles d'ingénieurs seraient-elle devenues un peu trop populaires et il faudrait trouver d'autres filières permettant la préservation des élites ?). Un doctorat ça a de la classe lorsque l'on gagne du fric et qu'on met un beau costume, si c'est pour enseigner dans une classe amiantée en dessinant la carte de l'Etat du Wyoming à la main parce que vous n'avez pas le matériel pédagogique adéquat, ce n'est pas la peine.

Et bien je me permettrai de conclure en partageant mon opinion très personnelle là-dessus. Lorsque j'ai commencé mon doctorat, c'était un peu par hasard. Ce que je voulais vraiment à la base, c'était surtout me casser le plus loin possible et avoir un projet, n'importe quoi une idée, quelque chose à faire avec d'autres gens, dans un autre pays. Et je n'ai pas la fibre humanitaire. Le DEA (remplacé depuis par le Master II) était donc une excellente occasion de monter un projet de recherche sur un phénomène observable dans un pays à onze mille kilomètres de la France, ou il me fallait interviewer des gens dans une langue que je maîtrisais à peine à l'époque pour m'interroger par sur le sens de leurs paroles et en tirer une centaine de pages. Je trouvais cela terriblement excitant. Le DEA a été une belle occasion de « me faire les dents » et j'ai remplié par la suite sur le doctorat, faisant partie des chanceux au niveau du financement, je suis restée ainsi presque jusqu'au bout dans le même état d'esprit. J'ai soutenu ma thèse fin 2009, et je m'apprête à suivre le circuit « classique » : post-doctorat, candidatures aux concours, et bla et bla et bla. Mon expérience n'a absolument rien de particulier et ne diffère pas de cette des autres (en tout cas en sciences sociales). Je me confonds parfaitement dans la masse de jeunes docteurs anonymes en recherche de poste et je ne pense pas être destinée à devenir un génie. D'autre part, je comprends que tout le monde ne soit pas fasciné par le doctorat, et je n'adhère pas à l'ensemble des valeurs et pratiques qui se reproduisent au sein du milieu universitaire et de la recherche. Je ne travaillerai en outre peut-être jamais ce domaine, je vais peut-être devoir un jour complètement me réorienter, peut-être que je ferai partie de ces gens qui ont lâché l'affaire, dont ceux (qui eux ne l'ont pas lâchée) parlent avec un mélange d'autosatisfaction et d'angoisse « oh oui, tu sais, il en avait trop marre, alors pour le moment il bosse dans le marketing, non ce n'est pas comme faire de La Recherche, mais il s'amuse. Oh la la, moi je ne pourrais pas ! ». Mais même avec tout ça, je ne regretterai jamais d'avoir fait un doctorat. Comme je l'écrivais à quelqu'un aujourd'hui, le doctorat, tout simplement, a fait de moi une meilleure personne. Quand je vois qui j'étais il y a dix ans je remercie le destin d'avoir eu cette opportunité. Mon univers était alors plus petit que celui d'un mulot, et j'aurais peut-être passé ma vie entière comme ça. Au lieu de ça j'ai fait des études qui selon certains ne servent à rien, mais au moins je peux briller aux dîners, c'est parfois tout ce qu'on demande à une femme, j'ai rencontré des gens improbables, vécu des situations loufoques, j'ai appris à me démerder aussi, la démerdise étant une qualité forcément acquise après un doctorat qui n'est à mon sens pas assez mise en valeur. J'ai surtout compris qu'il était plus important de savoir comment avancer que d'atteindre son but. Je ne dis pas que je suis devenue quelqu'un de formidable. Le doctorat par exemple, est très mauvais pour l'égo qui passe par de up and down sans jamais retrouver sa ligne de stabilité normale. Je n'ai rien « découvert » de fondamental, je n'ai pas changé la vie des gens. Mais je sais qu'un changement définitif et fondamental a eu lieu. Un peu comme ceux découvre la spiritualité orientale, moi c'est la recherche. Et franchement, ce n'était pas dans mes plans de départ.

Le doctorat comporte des valeurs implicites qui devraient être mieux reconnues. L'exigence de rigueur envers soi-même, l'esprit de solidarité (mais bien sûr que non nous ne nous battons pas à mains nues les uns contre les autres), et surtout la curiosité qui mène à l'esprit critique. Des individus capables d'esprit critique, même s'ils se trompent, peuvent être bénéfiques pour une société. Bien -sûr l'esprit critique peut s'acquérir sans doctorat. Le doctorat n'est pas la voie unique de la libération intellectuelle des individus, loin de là. Mais cela reste un bon défi.

Je pense que je ne suis pas la seule à aimer ces aspects de la recherche, et qu'un certain nombre de jeunes chercheurs pourraient se retrouver dans ces paroles. Je les invite donc à ne pas déprimer et, même si l'angoisse matérielle est bien réelle, bien que précaires, nous ne sommes pas que des esclaves de la conjoncture actuelle défavorable, d'un gouvernement ignare et d'un système un peu rouillé, et on ne peut pas toujours attendre qu'on nous donne quelque chose, alors allons le chercher ! (Le comment fera l'objet d'un prochain post, un jour quand je saurai). Bon, oui, je sais je suis idéaliste en ce moment. On entame la période pas très drôle donc j'ai pensé qu'un petit regain d'optimisme, même désuet et naïf ne ferait de mal à personne.

Mais comme disait Vian, « je ne gagne pas ma vie, je l'ai »

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