Camille de Vitry

Abonné·e de Mediapart

43 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 décembre 2010

Camille de Vitry

Abonné·e de Mediapart

l'or nègre - chapitres 37, 38 et 39

Camille de Vitry

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Siby

À Bamako ce vendredi-là, notre duo rejoint le siège du Jubilé2000. Plusieurs centaines de personnes venues de toute l’Afrique s’y regroupent peu à peu. Tous ensemble entassés en cars ou autres véhicules, nous rejoignons Siby.

Y commence le lendemain un “Forum des Peuples” contestataire du G8 d’Évian. Face à la Suisse des fortunes et capitaux douteux, Jacques Chirac va accueillir de propos convenus les “grands de ce monde”. Les Africains réunis à Siby n’ont pas été conviés à ces mondanités : ils sont moins militarisés mais plus militants. Or la militance a recommencé de se faire entendre, depuis Seattle et Porto Alegre. Le Forum de Siby offre une audience et une tribune publique.

Les peuples africains ont la parole.

Sambala et moi nous en emparons autant que possible : conséquences sanitaires calamiteuses de l’exploitation minière, musellement de la presse, affectations des aides publiques au développement… Je brandis le montage financier de la SEMOS. Pour le transmettre à chacun la photocopieuse se démène ! Forte mobilisation. La BBC viendra à Sadiola. Le grand journaliste Mohamed Tabouré me remercie de mes interventions. Lui-même écrivit “un bagne de terreur pour les ouvriers de Moolman”, relatant les conditions de travail des ouvriers du sous-traitant de SEMOS pour l’extraction du minerai.

Sambala s’exprime fortement sur les maladies chroniques qui affectent les populations locales ; et surtout, les fausses couches de Yatela.

In fine, le Forum décide d’une “motion de la Commune de Sadiola”, que lit publiquement Sambala (et dont je ne restitue ici que la conclusion) :

« L'eau, l'air et la terre de Sadiola sont menacés. La survie de notre population est menacée.

Aujourd'hui se profile la calamité écologique sur notre région.

Demain, qu'en sera-t-il de Sadiola ?

Enfin, les exploitations minières se multiplient sur le Mali. A Syama, aujourd'hui désaffectée, les populations meurent tout doucement de maladies non diagnostiquées. Les eaux souterraines et les eaux de ruissellement sont polluées. Les mines de Morila, Loulo sont entrées à leur tour en production. Les explorations se poursuivent intensivement sur tout le territoire malien.

Nous exigeons la mise en place d'un contrôle fiable des normes environnementales sur ces exploitations, afin de protéger la santé des populations locales.

Le maire de Sadiola, Siby le 3 juin 2003 »

Cette déclaration est diffusée au journal télévisé de l’ORTM - la seule chaîne nationale malienne. (Le rédac chef n’eut probablement pas le temps de censurer.) Les paroles de Sambala sont entendues du peuple malien.

Elles ont l’effet d’une bombe. La façade idyllique, soigneusement entretenue, de l’exploitation aurifère se fissure. Le lendemain un journal titre : “L’or qui tue.”

La motion de Siby est transmise au Président de la République Malienne, ATT ; lequel répercute sur les ministres concernés. La SEMOS est contrainte d’organiser en hâte, enfin, le fameux atelier de concertation avec les populations locales.

Il me faut pour ma part, rapidement, obtenir l’accréditation depresse “du pays d’origine” exigée par Samaké pour couvrir l’atelier…

  1. Paris

Paris du 6 au 16 juin : une dizaine de jours pour obtenir cette accréditation. Et bientôt me voilà “envoyée spéciale deTélébocal”. Fichtre !

Birama Samaké nous informe que la date de l’atelier est fixée du 21 au 23 juin – fermement cette fois.

  1. L’atelier

De retour au Mali le 16 juin, à Bamako je retrouve le secrétaire de l’Association des Ressortissants de Sadiola en France, ainsi que Samkoumba Dembele le vieux chef de village de Sadiola, Samba Tembely du Jubilé2000…

L’atelier se tient dans 3 jours. Cette fois je filmerai seule.

Le week-end se déroulera en réunions entre les protagonistes de ceux de mai 2003. Ce simulacre nous épuisa physiquement, et…financièrement pour ceux qui viennent de France ! Cependant,Chefs de village, représentants, associations diverses – et notamment les femmes… nous sommes tous là.

Deux Députés de la région de Kayes, dont Moussa Cissé, se joignent à nous :

« Tous les députés de la région de Kayes s'inquiètent de ce qui se passe à Sadiola. Nous sommes venus à cause de ces problèmes.

Ceux qui ont organisé la réunion, SEMOS ne nous a pas invités... par crainte des conséquences. Mais ce sont les gens de Sadiola qui nous ont invités. Le problème de Sadiola est le nôtre. »

Moussa Cissé a connaissance du “rapport de synthèse”…

Et le Vieux du village de conclure la réunion, amer :

« Autrefois nos Anciens préféraient la mort à la honte. Aujourd'hui, on en reste à de simples palabres... »

Tant mieux !

Nous nous répartissons stratégiquement les questions soulevées dans la “synthèse” (revue et complétée) : d’abord, lancer les témoignages ; puis, proposer les mesures correctives. Beaucoup de villageois sont intimidés, complexés ; analphabètes, ils n’osent pas parler devant des personnes écrasantes de culture…

De toute mon influence je les engage à témoigner directement. Ce sont eux que la SEMOS veut entendre – et non Camille de Vitry ! Les Députés m’appuient de tout leur poids.

Nous y parvenons.

L’atelier commence à couteaux tirés.

Dès la descente du bus qui emmène les villageois au “Sahel Recreation Club” – MEMBERS ONLY - où ils n’avaient pour la plupart jamais pénétré -, on m’informe que ma présence est tolérée, sur la forte insistance des villageois. Mais que je n’aurai pas le droit de filmer. Je m’insurge : la presse nationale malienne, les radios locales, Radio Kayira, la BBC sont présents ; et je n’aurais pas le droit de filmer alors que je suis munie d’une accréditation d’envoyée spéciale ? Birama Samaké, GarethTaylor, Graham Johnson – ingénieur environnemental récemment promu sur le site - se concertent ; se décident. Je ne pourrai pas filmer à l’intérieur du Sahel Club. Et n’aurai pas le droit deposer de question. Soit.

Didier Fohlen de la Banque Mondiale - encore lui – inaugure l’atelier,en accusant violemment les rumeurs diffamatoires qui souillent la SEMOS. Didier souligne que l’entente avec les populations locales, la stabilité politique sont nécessaires à l’expansion du projet minier…

Ce premier jour est programmée une visite du site. Dans le bus qui transporte la presse, je suggère au journaliste de l’ORTM de s’enquérir de l’étanchéité du bassin de boues ; et à celui de Radio Sahel, des mesures de protection contre le drainage acide minier dans la carrière…

Au bord du bassin de boues, un employé de la SEMOS nous fait une brillante démonstration sur le dépôt des boues fines ou grossières. Le député Moussa Cissé pose clairement la question du revêtement. L’employé se trouble : « Je ne peux pas vous répondre, je ne suis pas technicien. » Moussa reste calme : « Nous aurons cette réponse avant la fin de l’atelier. »

La visite de la carrière est annulée, officiellement “pour desraisons de sécurité”. Pourquoi, en réalité ? Depuis plusieurs mois la nappe phréatique est atteinte ; le puits minier se remplit d’eau. Cette eau est pompée et injectée dans le processus de traitement (ce qui permet à la SEMOS de déclarer qu’elle fait des économies sur l’eau du fleuve Sénégal !). Il y a donc risque d’épuisement de la nappe phréatique locale. Il y a surtout le contact de l’air et de l’eau sur le minerai sulfuré. Les éléments chimiques présents, dont l’arsenic, se trouvent en conditions oxydantes ; libérés, solubilisés, ils peuvent s’infiltrer jusqu’aux nappes… Certes, je ne dois pas poser de questions - mais de simples images peuvent témoigner. Je ne dois pas filmer.

La visite est annulée, donc.

Le soir avec les partenaires, nous travaillons jusqu’à 1h du matin pour arrêter notre stratégie au cours des débats qui vont suivre.Lesquels sont désormais interdits d’accès aux journalistes.

GarethTaylor me bloque dès mon arrivée au Sahel Club. Il râle, « you follow no rules. » : je ne respecte aucune règle. Mais sans micro ni caméra, non plus journaliste mais forte de mon statut de partenaire de la Commune, je propose d’appeler le maire.

Accablé,Taylor me laisse.

Pendant près de 3 jours, répartis en 4 groupes de travail nous posons les problèmes, proposons des mesures concrètes. Nous avançons très vite pour obtenir le maximum de résultats. L’atelier est si dense qu’il est prolongé d’un jour. Dans le groupe de travail “environnement”, je me tais autant que possible - ce n’est plus à moi de parler. J’écoute.

Sadjo Danioko, représentant le chef de village de Yatela, est présent dans notre groupe. Il n’ose toujours pas s’exprimer. Je suis près de lui. Par des signes, par des regards, je l’y engage. Il parle enfin en dialecte.

Ses déclarations sont terribles : les maladies respiratoires chroniques ; les fausses couches ; les décès d’enfants en bas âge ; le calvaire du village…

Une étude d’impact sanitaire est décidée sans hésitations. Je ne demande pas de traduction, connaissant déjà l’essence de son discours ; et l’assistance comprend majoritairement le dialecte - sauf Graham Jonhson, toujours dans mes parages. Que fait là cet ingénieur environnemental, s’il n’a pas entendu ça ? Son seul rôle est-il de me guetter ?

Profondément heurtée par cette situation, je sors fumer une cigarette. Graham me suit. Triste, infiniment triste, je lui lâche : « I wouldn’t like to be a Yatela’s pregnant woman » (je n’aimerais pas être une femme enceinte de Yatela). Il tressaille. Je l’ai touché. Il me questionne, et peine à me croire. Pire : il souligne que ces gens ignares croient ce que leur racontent des Blancs cultivés… En d’autres termes, il me soupçonne de manipuler les villageois. J’explique posément comment nous avons mené cette enquête avec la Commune. Les villageois de Yatela sont venus témoigner ici même. Graham est formel : le bassin de décantation de Yatela, isolé du sol par une épaisse bâche de plastique, ne peut s’infiltrer ni déborder. (Notons que Graham a pris place depuis un mois seulement, et n’a jamais passé la saison des pluies sur le site.)

Ici je feins l’étonnement : pourquoi ce bassin est-il pourvu d’un revêtement ? Graham tombe dans le piège : « This is cyanide ! This is dangerous ! » - c’est du cyanure,c’est dangereux ! Il y a des normes à respecter… Je rétorque : « What about Sadiola ? » Graham se tait et baisse la tête. Une fois de plus il tourne les talons.

Et Sadiola ?

Lors de pauses je dialogue fugacement avec Gareth Taylor. Il m’apprend ainsi que la Banque Mondiale a envisagé de se retirer financièrement de Sadiola - les co-actionnaires refusèrent ce départ. L’atelier prendra unanimement la même décision : la Banque Mondiale doit assumer les frais de dépollution du site !

Lui-même doit quitter le site prochainement ; or il est en poste depuis à peine plus de deux ans… Je m’étonne de ce roulement de directeurs. C’est la politique d’Anglogold, m’explique-t-il.

Dans ce cas comment peut-il être informé d’incidents ayant eu lieu avant son arrivée - si ce n’est par son tout-puissant interprète, Samaké ? Lequel est éternellement rassurant…

Déresponsabilisation globale ?

Gareth me déteste cordialement, refuse de répondre à une interview tant que SEMOS n’aura pas démasqué « le journaliste qui répand de fausses allégations »… Mais sa bonne volonté est manifeste au cours de l’atelier - c’est lui qui instaure le rythme soutenu du comité de suivi des recommandations de l’atelier ; il restera en poste jusqu’à ce que ce comité soit pleinement opérationnel.

Et l’atelier se tiendra désormais annuellement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.