1 – Rêve
Cette nuit j’atterrissais à Bamako. C’était en rêve.
La noire capitale crépitante de néons se rapproche.
Les passagers descendent de l’avion, traversent la
piste. Brouhaha. Chaleur. Torpeur. L’envie d’une cigarette.
Je l’allume sur la piste, tire avidement quelques goulées
– vite réprimandée par un agent de l’aéroport.
Comme d’habitude.
À l’intérieur les passagers sont déjà en file pour
accomplir les formalités douanières. Quelques Blancs
parmi les Noirs – j’en suis. Je n’aperçois pas mon ami
Youssouf.
Pancartes de bienvenue de Randgold et autres multinationales
minières. Prédateurs ! Criminels ! Pillards ! qui
pillent ce Mali – jusqu’au génocide. Vers quelles sphères
opaques sont détournées les énormes quantités d’or qui
s’exhalent des mines –mercenariat, trafic d’armes. Les
exploitations se multiplient à un rythme effréné sur
l’Afrique de l’Ouest, laissant des terres dévastées infestées
de cyanure et des populations à bout.
Comme les autres, j’attends.
Je suis là pour terminer cette enquête ; et revoir tant
d’amis ! Mali, Mali que j’aime à me fendre le coeur.
J’attends, dans l’agitation et la confusion de mon
rêve. Un Noir se retourne – je ne vois même pas l’arme
– j’entends la détonation – je meurs.
Et me voyant mourir dans mon rêve je proteste :
« Comment raconter, maintenant ? C’est trop tard : je suis
morte ! »
Au réveil je vis.
Je vis un génocide silencieux dans la tête.
Mon bébé grassouillet se blottit contre moi.
Le jour éclate sur Marseille.
Je retourne bientôt à Bamako.
Il me faut témoigner.
Dont acte.
 
                 
             
            