Camille de Vitry

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Billet de blog 20 novembre 2010

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l'or nègre - chapitres 2 et 3

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Mam

J’avais quel âge ?

11 ans ? 12 ans ? quand marchant avec ma grand-mère dans une rue du 16earrondissement de Paris, sur le même trottoir un Noir pressé me dépasse. Ma grand-mère s’offusqua : « Enfin, Camille, tu te laisses dépasser par un Noir ? »

Je ne compris pas.

Mam (c’est ainsi que nous la nommions affectueusement), cette sainte femme, profondément chrétienne, participant de nombreuses associations caritatives, elle était raciste ?

Je vivais à l’époque au Brésil ; mes amis étaient Noirs, café au lait, Nègre aux reflets violacés, Métis aux yeux verts, jusqu’au blond crépu… Étonnant Brésil de tous les métissages ! J’ignorais absolument le racisme.

Je ne dis rien.

Mais n’oubliai pas cette scène sidérante.

Les années passèrent, mes grands-parents décédèrent, mes parents rentrèrent vivre en France avec leurs enfants – et, sans m’en apercevoir, je vivais en milieu “blanc”.

Après de piteuses études à l’École Louis Lumière, j’entrepris la communication du Groupe d’Ingénierie où travaillait mon père –vidéos d’entreprise, logos, photos, plaquettes… Rémunération confortable. Univers feutré d’un grand groupe multinational.

J’habitais Paris, vers les Batignolles, dans un minuscule studio.

Paris séduisante à chaque instant ; Paris révoltée à chaque coin de rue !

  1. St Bernard

Un jour, curieuse, je poussai la porte de l’église St Bernard.

C’était l’été 1996. Paris bruissait paisiblement au rythme ralenti desvacances. Et l’église, chose incroyable, arborait des drapeaux rouges !

Je poussai la porte.

Ahurie, je franchis l’envers du décor de notre univers ouaté,confortable…

L’église était occupée par un collectif d’Africains - avec l’accord du curé, le père Henri Coindé.

Des Musulmans, des Noirs.

10 d’entre eux allongés sur des matelas, commençaient une grève de la faim.

Pour obtenir un bout de papier. Un titre de séjour, un permis quelconque de vivre en France… Ils étaient victimes des Xèmes lois sur l’immigration, les rendant brusquement expulsables -contraints de raser les murs et travailler au noir.

Trois semaines plus tard le gouvernement acculé n’apportait d’autre solution que d’empêcher ces grévistes de mourir de faim, en les hospitalisant de force, en les perfusant sous menottes. En colère - colère énorme ! -, très tôt le matin je sautai sur mon vélo pour rejoindre l’église.

Un mort de grève de la faim, ça fait sale au pays dit “des droits de l’Homme”.

Je pédalai furieusement entre le 12e et le 18earrondissement.

À 5h les boulangeries exhalent leurs cuissons… Paris bleuté sentait le croissant chaud.

J’avais déjà faim.

Depuis la veille j’avais cessé de m’alimenter, et demandai simplement aux Africains l’autorisation d’entamer un jeûne de solidarité avec eux. Un jeûne, et non une grève de la faim - car je ne souhaitais pas mettre ma vie en jeu.

Le matin j’étais seule, puis dix, puis cent… L’écho de ce jeûne de solidarité d’une “simple citoyenne française” fut énorme.

Le Groupe multinational - qui m’embauchait sous CDD successifs - ne fit plus jamais appel à mes services.

J’ignore alors quel sera mon destin.

Dieu le sait !

L’église fut évacuée le 23 août 1996.

Les coups de hache dans la porte résonnent encore le long de ma colonnevertébrale. De dos, debout derrière cette porte, regroupée avec les familles africaines sans-papiers dans le fracas j’écoute de toutes mes forces le sermon du père Henri Coindé – « je fais le rêve que les Hommes un jour se lèveront et comprendront qu’ils sont faits pour vivre ensemble comme des frères » ; le grand Martin Luther King ponctué à coups de hache et jets de gaz lacrymogènes. Le bébé près de moi gonfle et suffoque. Il a 6 jours ! Les Gardes Mobiles fracassent la porte ; donnent l’assaut ; arrachent le micro du prêtre ; trient les Blancs des Noirs.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.