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Billet de blog 29 novembre 2010

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l'or nègre - chapitres 20, 21 et 22

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  1. Retour à la SEMOS

Gareth Taylor, directeur de l’exploitation, est immédiatement méfiant. Il est informé de ma venue par (le traître !) Roland Michelitsch, qui lui transmit nos échanges par mail…

Il m’entretient en privé, loin de la caméra, avec l’omniprésent Samaké comme interprète. « We are transparent, we have nothing to hide ». Nous sommes transparents, n’avons rien à cacher. C’est pourquoi je pourrai filmer tout ce que je souhaite, absolument tout sauf… l’or - pour des raisons de sécurité. Je ne pourrai donc filmer ni les splendides coulées aurifères, ni la levée hebdomadaire de l’or extrait à Sadiola.

« Pour protéger l’or nous faisons appel à une compagnie privée européenne… »

Defence Systems Limited ?

La question me brûle les lèvres mais je ne veux pas sembler en savoir trop.

Je me débrouille en anglais, et malgré la présence de Samaké comme interprète m’étonne directement auprès de G.Taylor du fait que Samaké ne lui aie pas transmis ma demande de tournage. « Anyway… » La question est éludée. Voilà donc un “filtre” efficace : le porte-bouche du Commandant, comme au bon vieux temps de la colonisation. Birama Samaké cumule les postes d’interprète, qui centralise et répartit l’information ; de coordinateur environnemental et social ; et quoi encore ?

  1. Le Directeur Financier

Cette fois autorisés à filmer, nous rencontrons le directeur financier : Philip Berten. Aussitôt il nous présente de volumineux documents :

« SEMOS fait office d'une grande transparence. Il n'y a pas de secrets. Les chiffres sont là, ils sont publiés, et ainsi de suite : pas de secret. [Cependant, le dossier présenté est tamponné : CONFIDENTIAL]

Une fois qu'ils ont trouvé le gisement, ils ont décidé de faire la société d'exploitation : Anglo, qui était à l'époque Anglo American ; Iamgold, qui est une société canadienne. »

François ajoute, dans Billets d’Afrique : Iamgold est dirigée par deux Canadiens un peu spéciaux. Le premier, William Pugliese a bâti sa fortune sur une activité qui confine à l’escroquerie. Elle a fait florès en France, avant d’y être interdite : une société envoie un mailing aux entreprises inscrites sur les pages jaunes de l’annuaire téléphonique (…) Sans lire le détail, nombre de destinataires règlent immédiatement un service… inexistant ou presque.

Pugliese a acquis tellement de soutiens en tous genres qu’il ne s’est jamais fait condamner par la justice canadienne.

Son associé, Mark Nathanson, a jadis vendu des équipements de sécuritéà la police secrète du dictateur nigérian Babangida, coutumière du meurtre et de la torture. (Eye, 21/10/1999)

C’est à ces deux personnages que le prédécesseur d’ATT, Alpha OumarKonaré, a confié la plus belle mine du Mali.

Précisément, Philip Berten feuilletant le dossier passe rapidement sur la signature dudit Nathanson, sur le contrat d’exploitation. Il faudra un arrêt sur image pour appréhender cette page. Une image, sur 30 heures de rushes.

P. Berten détaille l’actionnariat de la SEMOS, et poursuit :

- Et donc il y a eu des emprunts, qui ont été faits auprès de sociétés financières, et des emprunts subordonnés des actionnaires.

- Ici, le risque financier a été pris par les bailleurs de fonds au départ…

- Tout à fait.

- La Proparco ou la Caisse Française de Développement, c'est des caisses d'argent public, en fait…

- Ce sont des caisses qui ont vocations à aider, à financer ce genre de projet.

J’insistai à plusieurs reprises, rencontrant P. Berten 2 jours d’affilée.

- Mais justement, la Banque Européenne d’Investissement, la Proparco…

- D'accord, mais il ne s'agit pas de financement public. Financement public voudrait dire que ça soit l'Europe en tant que telle… Bon,c'est un banquier comme un autre - hein ? »

L’Europe : un banquier comme un autre.

Tout est dit.

Votre argent, nos impôts, sont affectés (entre autres) par la banque Europe, à financer ce genre de projets toxiques en Afrique. Au motif de l’Aide Publique au Développement. En notre nom !

F.H. (chef de la section Laboratoire) nous guide à l’intérieur du centre de traitement du mirerai. Casqués, portant des lunettes de protection, nous croisons des ouvriers craintifs à notre approche.L’un d’eux enfile rapidement ses lunettes. Ceux que nous voyons portent les équipements de sécurité.

Nous visitons également le centre de contrôle de l’usine, tapisséd’écrans – dont nous ne pourrons filmer que deux ou trois.

Qu'y a-t-il sur les autres ?

Adama Coulibaly, chef de production de la section métallurgie, nous encadre strictement. Il nous présente les équipements et dispositifs de sécurité, mis en place depuis février 2002 : mesure permanente affichée sur l’écran des taux d’éléments chimiques à l’intérieur de l’usine ; masque à gaz pour chaque ouvrier, etc.

Février 2002. C’est exactement à ce moment que je pénétrai la 1e fois à Sadiola.

Et avant cette date ? De nombreux ouvriers témoigneront de l’absence totale de protection ; de leur ignorance du danger couru. Nombreux restèrent invalides. Nombreux décédèrent.

  1. L’incident des oiseaux

Adama poursuit : « On essaye de suivre le code international du cyanure depuis l’incident des oiseaux ». Pudique euphémisme !

L’incident, c’est le passage au traitement de minerai sulfuré début 2002 ; lequel requiert de très fortes doses de cyanure (jusqu’à 12 000 tonnes par an). Les animaux qui s’abreuvaient dans le bassin de boues, véritable lac artificiel toxique, périrent massivement. En le survolant les oiseaux tombaient comme des pierres, racontent les villageois.

Depuis cet “incident” le cyanure est neutralisé avant d’être rejeté dans le bassin de boues, nous affirme Adama Coulibaly. Et il nous faut le croire.

Plus grave – complétera Émilie – nous sommes désormais dans les conditions idéales pour générer le phénomène du drainage acide minier ; l’infiltration lentes des éléments chimiques et métaux lourds du minerai sulfuré vers les nappes phréatiques locales.

Or, en toute ignorance ce fut la première question que je posai à Birama Samaké en 2002 : « J‘ai vu sur le web que vous exploriez le terrain avec des sulphides ? (je ne comprenais pas moi-même le sens de cette phrase !)

- Ça, c’est un nouveau projet qu’on est en train de faire ; parce que, cette usine a été établie d’abord sur la base de traiter uniquement le minerai oxydé. Et actuellement c’est un nouveau type de minerai : le minerai sulfuré tendre, qu’on est en train d’exploiter. »

Il fallut le mail de Gregg Olfoese, l’ingénieur environnemental démissionnaire de Sadiola, et les patientes explications d’Émilie, pour que plus tard je comprenne le poids terrifiant de cet échange.

Une damnation pour les générations futures ; pour la région entière.

La visite guidée se poursuit. Samaké nous emmène au bassin de boues.

Un bassin… un immense lac artificiel de plusieurs kilomètres de diamètre ; une gigantesque flaque fétide qui s’étend chaque jour.

Là, tout crève. Quelques spectres d’arbres grisâtres émergent par endroits sur la vaste mare cyanurée ; car, affirme sereinement Samaké : « ces arbres ne poussent pas dans l’eau ».

En effet ça ne leur semble pas leur réussir.

Chaque année environ 5 millions de tonnes de boues toxiques sont déversées dans ce lac.

Les villages les plus proches sont à quelques centaines de mètres ; et ces mètres rétrécissent chaque jour.

Samaké poursuit son discours volubile :

« Tant que le cyanure ne peut pas vous tuer, il ne vous tuera pas. S'il y a une dose suffisante pour vous tuer vous, vous allez être morte surplace. Foudroyée [Ah ?]. Sinon, ça veut dire que votre corps peut consommer cette quantité de cyanure. »

Ben voyons.

« Les puits de contrôle des nappes phréatiques le confirment : même de près, il n’y a jamais eu d’incidents… »

Je demande (peureusement j’avoue) à voir par moi-même les résultats de mesure de la qualité de l’eau. C’est la question qui fâche.

« Il n’y a pas de problème. Plus tard, on vous les montrera. »

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