Coucou Président,
(Eh c’est une blague! je ne lui ai pas envoyé!)
Je te glisse un petit mot du front!
Nos lignes hospitalières ont pris position il y a 3 semaines maintenant, face à l’ennemi invisible. On entend partout dire qu’on a pu apprendre du chantier sur les lignes de front italiennes... et qu’à ce titre, on a 10j d’avance. Pertinent. Infirmière diplômée depuis 2012, ayant à coeur d’agir dans cette « guerre », (ce sont vos mots...) et comme je suis un peu comme St Thomas, que je ne crois que ce que je vois, j’ai voulu faire un saut sur la ligne de front en EHPAD. Comme ça, simple curiosité... Via une vacation de nuit en HAD, je me suis donc rendue en EHPAD la nuit du 28 au 29 mars. Pour mettre un fond d’oxygène ici, reposer une perfusion là, et en aider une autre à partir, aussi. Bon, somme toute, faire le job! Toutes 3 sont suspectées ou déclarées COVID.
Au front, je rencontre deux belles personnes, 2 ASH à la carrière longue comme le bras, une expérience infaillible, et de l’émoi... aussi. La nuit précédente elles ont couru auprès des 10 déclarés COVID du jour sur les 67 résidents. Elles ont appelé à l’aide l’HAD. L’infirmier HAD a supervisé les 10 patients… et pour certains à appliquer un protocole de sédation. En gros, un protocole de guerre. Au passage, 10COVID/67, belle entrée en matière… Cette nuit là, ces 2 ASH ont perdu 2 résidents. 2 morts. Je rencontre 2 belles personnes et je (re)découvre une organisation. Je n’avais pas mis un pied en EHPAD depuis ma 1ere année d’école d’infirmière, il y a 10 ans déjà.
J’étais donc là, au front, soldat trentenaire, 10 ans de rangs tenus fièrement, à découvrir avec stupéfaction la justement « non-organisation » dans cet EHPAD. Le « non-investissement », la « non-préparation », la morbide négligence que l’on inflige à nos anciens.
Comment est-il possible que ces 2 belles personnes déambulent dans les étages avec une seule surblouse pour 12h? Comment se fait-il, Président, que ce binôme soigne en même temps patients COVID et non-COVID? Comment, Messieurs/Mesdames, nos tutelles, Les ARS et les Hautes Autorités de Santé, n’a-t-on pas eu le temps en 3 semaines d’obliger et d’aider les EHPAD à avoir un personnel dédié-COVID (personnel qui ne voit en poste que des COVID)? Comment se fait-il qu’on entende partout qu’on a une « réserve sanitaire » qui dégueule de bonnes âmes, et qu’il n’y ait pas cette nuit là, à minima, un infirmier pour gérer les protocoles de guerre/de sédation (protocoles validés par l’ARS, les bougres!… ils étaient donc dans les bureaux!), et gérer les « à-cotés », les choses que l’on ne cote pas à la sécu… Président, nous tenons normalement la main de nos morts. Entendez cela. Sachez-le. Et pensez-y. Aujourd’hui, dans ces conditions, nos anciens vont mourir seuls. Sans nous, et sans leurs proches. Les proches à qui on tait tout cela. On tait l’insoutenable.
Il vient de s’écouler 3 longues semaines pendant lesquelles les politiques ont parlé de « la vague », l’ont décrite longuement, et sont restés planqués dans les bureaux à rédiger ou valider des protocoles de sédation au lieu de cogiter à comment limiter la propagation de l’ennemi... Résultat; on prend l’eau alors que la tempête n’a même pas commencé. Je ne comprends pas cette logique.
Vous avez prononcé le mot « guerre » 6 fois exactement. A partir de la 3e fois j’ai saisi le comique de répétition, j’ai donc ri… Aujourd’hui, je ne ris plus du tout.
La vague était-elle censée s’arrêter aux portes des EHPAD? Je suis sceptique. Décider d’investir dans les lits de réa à destination des plus jeunes? Bien sûr! Mais laisser nos anciens à l’abandon et déployer de l’énergie à rédiger des protocoles de sédation? Je ne comprends toujours pas cette logique.
Cette médecine est un monstre.
En réanimation, en soins intensifs, en maladies infectieuses, dans les hôpitaux de campagne, des aides-soignants, des infirmiers, des médecins vont mourir au contact du virus virulent.
En EHPAD, Président, vos soignants tuent. Ils tuent parce qu’ils n’ont pas de matériel pour protéger les non-Covid, ainsi ils contaminent l’établissement entier. Ils tuent parce qu’aucune de nos tutelles ne s’est vraisemblablement bougée ces 3 dernières semaines. Il était urgent d’aller visiter ces EHPAD avec des idées! Avec des moyens! Quand on n’a pas de surblouses pour faire face à l’épidémie Messieurs/mesdames « les gens très intelligents », eh bien on met tous les malades Covid dans une pièce avec une personne. Et elle y reste avec une surblouse 12h s’il faut!! Après le fiasco sur les masques, les surblouses... C’est le ponpon.
Mon dieu…….. Quand j’y pense… nous la France, le pays des Lumières, le pays des droits de l’Homme. Ah ça.... c’était jadis.
Et aujourd’hui, personne là-haut pour avoir des idées et pour les imposer. Chaque directeur est responsable de ce qu’il se passe dans son établissement, me direz-vous... mais dites-donc! L’établissement en question est public... Il grouille de fonctionnaires.
J’ai mal et j’ai honte. J’ai honte de mon pays.
Pour la première fois de ma vie, j’ai rêvé d’être née ailleurs.
C’est grave, Président. Ça va être un massacre, un génocide, un crime de guerre. Comme vous voudrez.
Et attention, nous sommes le 31 mars, et aucun des décès en EHPAD n’a été comptabilisé... N’envisagez pas de mal les compter. Nous avions prévenu: « le gouvernement compte ses sous, nous compterons les morts ».
(Et soyez tranquille, on sait compter!)