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Billet de blog 2 février 2012

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L'invention de la culture hétérosexuelle, Louis-Georges Tin

"A mon sens, la culture occidentale est devenue hétérosexuelle à partir du XIIe-XIIIe siècle." Cette phrase de Louis-Georges Tin résume bien les recherches qu'il a effectuées sur l'hétérosexualité et qui l'ont conduit, selon lui, à sortir cette notion "de l'ordre de la nature pour la faire entrer dans l'ordre du temps, c'est-à-dire dans l'histoire".

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"A mon sens, la culture occidentale est devenue hétérosexuelle à partir du XIIe-XIIIe siècle." Cette phrase de Louis-Georges Tin résume bien les recherches qu'il a effectuées sur l'hétérosexualité et qui l'ont conduit, selon lui, à sortir cette notion "de l'ordre de la nature pour la faire entrer dans l'ordre du temps, c'est-à-dire dans l'histoire". S'il n'y a pas de doute sur ce que l'historien appelle "la promotion homme-femme" en tant que couple à l'époque de l'amour courtois, ce fin amor des trouvères et autres goliards, je m'explique moins le pas que fait L.G Tin en y voyant la naissance d'une culture hétérosexuelle. Bien entendu, le professeur distingue bien les pratiques sexuelles (pour un bon nombre très anciennes) de la culture entourant ces pratiques, mais parler de "naissance", "d'invention" d'une chose suggère que la chose à naître n'existait pas auparavant.
C'est là où le bât blesse, il me semble. Pour plusieurs raisons.

Primo, de nombreux témoignages, bien antérieurs au XIIe siècle, nous montrent que les hommes et les femmes n'avaient pas seulement des rapports de reproduction, mais connaissaient, à des degrés divers, des passions, des attachements, des jalousies : toutes sortes de rapports complexes qui ne sont d'évidence pas du ressort de la nature mais de la culture. Secundo, il est problématique de parler de limiter une culture, c'est-à-dire un ensemble de comportements, d'aspects intellectuels, émotionnels d'une société donnée, à ce qui est rapporté par un corpus particulier d'objets culturels de référence. Celui qu'utilise L.G Tin, justement, pour faire naître la culture hétérosexuelle est limitatif. Il s'organise autour d'une culture aristocratique, élitiste, de source presque exclusivement littéraire, et les conclusions que le chercheur tire de son travail semblent être appliqué à une société tout entière, qui ne possédait pas, dans sa grande majorité, les mêmes codes.
Cette notion de code me paraît intéressante à soulever, car il m'apparaît qu'un autre problème surgit quand on veut, comme L.G Tin, se saisir de l'univers de l'amour courtois pour y voir surgir la culture hétérosexuelle. Entendons-nous bien sur les mots : hétérosexualité désigne un ensemble de comportements liés à la satisfaction de besoins érotiques, d'amour physique, entre un sexe et le sexe opposé. Cette notion est déjà culturelle par définition. Chez beaucoup d'espèces animales, si les mâles ont une manière bien à eux de susciter le désir des femelles (ou inversement), et si certains comportements sont innés et propres aux espèces (la roue du paon, par exemple), beaucoup d'autres sont influencés socialement, en particulier chez les grands singes : baisers, baisers linguaux, fellations, présentations du sexe, stimulation des organes sexuels, etc., comportements qui se sont complexifiés davantage dans l'espèce humaine.

Par ailleurs, de multiples formes de sexualité existent à la fois chez l'espèce humaine mais aussi chez les autres espèces, non seulement animales, mais végétales. C'est pourquoi encore, faire sortir la sexualité quelle qu'elle soit d'un champ naturel pour la faire entrer dans un champ culturel n'a pas grand sens. Cette incursion dans le monde animal nous permet d'évoquer le flou qui entoure la notion d'hétérosexualité de L.G Tin qui ressortirait, à un moment, de l'ordre de la Nature, et, d'un coup, opérerait une naissance dans le champ historique. Cette dernière notion ajoute encore du flou, car champ culturel et champ historique ne sont pas du tout synonymes. La chose est-elle un peu plus claire quand l'historien explique cette naissance par la promotion d'un modèle, imposé petit à petit au détriment des autres ? L'amour courtois un modèle de culture hétérosexuelle ? Pas si sûr.
Premièrement, rappelons-le, ce serait un modèle dédié à une classe infime de la population française, composée alors à plus de 90 % de paysans. Mais surtout, qu'enseigne ce modèle ? Que l'homme, aspirant chevalier, surtout, doit aimer une femme mariée pour sa beauté et ses vertus, d'un rang supérieur en général, pour qui il démontre ses prouesses chevaleresques et pour qui le désir demeure inassouvi, sans cesse porté par l'espoir, tel Lancelot du Lac, vassal de la Reine Guenièvre, qui lutte contre lui-même, les forces des ténèbres, dans la souffrance, le dépassement ininterrompu. De nombreux travaux ont montré la nature spirituelle, voire mystique, de l'amour courtois. Le savant irlandais Clive Staples Lewis est allé jusqu'à dire, en parlant des amours des troubadours : "Cette religion de l'amour se présente souvent comme parodie de la vraie religion."


Certes, cet amour tend vers un accomplissement charnel, à un adultère, mais ce dernier ne se traduit pas le plus souvent, il est intériorisé, pousse au dépassement, au don de soi, qui finit par ressembler à un amour spirituel, transcendantal : plus qu'un amour humain il est plutôt de l'ordre divin, métaphysique. Ce n'est pas un hasard, sans doute, si nombre de trouvères, de chevaliers (tel Lancelot, pour plusieurs versions) ont fini dans les monastères. La sexualité n'est donc dans pas le sujet principal de ce nouveau thème culturel médiéval qui, soit dit en passant, n'est pas nouveau dans l'histoire : l'épisode hindou des amours de Krishna, avatar de Vishnou, et de Radha, la bergère gopi, est très proche, avec une femme mariée, d'un autre statut, et une symbolique spirituelle de l'amour.

Il faut donc grandement se méfier de ce qui nous est donné à entendre et à voir : L'iconographie courtoise peut facilement évoquer l'amour, parce qu'un homme et une femme se tiennent la main, se baisent, mais il parle sans doute beaucoup moins d'amour que de l'accomplissement personnel, spirituel et religieux, du mâle dominant de l'époque. Dans le même temps, cette image du couple se voit ou s'entend et ne peut pas ne pas influencer le lecteur ou l'auditeur. Bien entendu, la culture de la chanson de geste, aux amitiés viriles (sinon plus si affinités !) en prend un coup, mais ce que L.G Tin appelle un modèle de plus en plus imposant de l'hétérosexualité pourrait être une vue de l'esprit si nous évacuons bon nombre de comportements prétendument homosexuels ou hétérosexuels, comme nous venons de le voir avec l'amour courtois et comme nous allons continuer de le faire avec l'osculum.
Ainsi, quand L. G Tin illustre sa nouvelle histoire de l'hétérosexualité en évoquant les baisers de l'osculum (hommage vassalique au suzerain). L'osculum est un baiser amical et était très répandu : entre catéchumènes, entre moines et moniales, etc. Pendant une grande partie du moyen-âge, les fidèles chrétiens s'embrassaient même sur la bouche en guise de communion. L'osculum est proche du basium, un baiser tendre, mais il n'est surtout pas un suavium, le baiser érotique des amants, alors impudique et tabou.

Alors, en quoi le couple seigneur-vassal serait hétérosexuel ? Les deux hommes restent des mâles accomplissant leurs devoirs respectifs et les baisers qui sont donnés à la fois sur la tête, le cou ou la bouche sont éminemment symboliques, n'ont rien de sexuel mais sont codifiés selon un modèle très ancien, où le souffle des âmes est censé passer se transmettre par la bouche. Ce mélange de souffles est censé apporter la paix. Il établit aussi rituellement l'égalité et la fidélité entre les deux parties. Même chose pour le baiser anal des Templiers (ou plus exactement "au bas de l'épine dorsale"), très symbolique et très rituel, lui aussi, dans diverses confréries secrètes.


De la même manière, toujours au moyen-âge, on ne doit pas interpréter au pied de la lettre des manifestations apparentes d'homosexualité. Quand, par exemple, Alcuin apprend une maladie de Charlemagne (nous sommes à la fin du VIIIe siècle) il lui écrit : "Mon très adoré seigneur, mon très doux maître, le plus désiré de tous les hommes, mon David..." et, plus frappant encore, l'empereur lui répond : "La douceur de votre amour sacré calme et soulage fortement l'ardeur de mon coeur à chaque heure, chaque minute ; et la beauté de votre visage, vers lequel je tourne constamment mes pensées amoureuses, emplit tous les canaux de ma mémoire de désir et d'une joie immense et dans mon coeur la beauté de votre bonté et votre apparence m'enrichit comme le feraient les trésors les plus grands." Aucun doute n'est permis à propos des relations de deux hommes qui, pour l'un, le ministre, mettait en garde un étudiant de menacer son salut et sa position sociale en pratiquant l'homosexualité, et pour les deux, parce qu'ils travaillèrent ensemble à l'Admonitio Generalis, condamnant sévèrement la sodomie.

Un autre exemple frappant est celui de l'abbé Anselme de l'abbaye du Bec, écrivant à deux novices qu'il s'apprête à accueillir dans son monastère mais qu'il n'a encore jamais vus. Difficile de ne pas y voir, avec des yeux du XXIe siècle, une lettre d'amour d'un homme à ses deux amants qu'il semble bien connaître, même au sens biblique : " Mes yeux sont impatients de voir vos visages, bien aimés ; mes bras se tendent pour vos enlacements. Mes lèvres désirent vos baisers ; tout ce qui me reste de vie désire votre compagnie afin que la joie de mon âme soit complète dans les temps à venir... Vous êtes venus, vous m'avez embrasé ; vous avez fondu mon âme et l'avez amalgamé à la vôtre ; cette âme qui est nôtre peut dorénavant être déchirée, elle ne pourra jamais être séparée."

Il n'y a pas lieu de parler ici de la forme très particulière de ce langage d'amour ritualisé au moyen-âge : il suffira de comprendre qu'à l'instar d'autres manifestations symboliques, son sens est très éloigné de son sens littéral et qu'il réclame au lecteur d'aujourd'hui, dont l'esprit peine à se frotter à des mentalités si différentes, une grande prudence d'interprétation. Pour cette raison, les nombreuses amitiés viriles des temps médiévaux ne sont pas autant d'amours homosexuelles.
Par ailleurs, "L'invention de la culture hétérosexuelle", titre de l'ouvrage de L. G Tin, aurait dû préciser la spécificité occidentale de la recherche de l'auteur, qui est encore, soit dit en passant, une autre limite qui gêne la réflexion dans sa compréhension du phénomène. Cependant, l'auteur n'a aucune peine, à ce que j'ai compris, à admettre que le titre n'est pas exactement en conformité avec le sujet de son livre : c'est un détail et, de plus, cet ouvrage est le premier volet de son travail, qui, d'après mon souvenir, en comportera trois.
Toujours est-il que l'affirmation d'un vide culturel dans la vie des deux sexes avant le XIIe siècle pose problème, me semble-t-il. Examinons quelques documents :
Les plus vieux poèmes du monde, emblématiques en Occident, que sont l'Iliade et l'Odyssée, nous parlent avec sensibilité de deux amours, celui partagé par Pâris et Hélène, mais aussi Ulysse (dont le véritable nom, en grec est Odysseus). Nous sommes aux environs du VIIIe siècle avant notre ère. Laissons parler Homère :
"Aphroditè qui aime les sourires avança un siège pour elle auprès d'Alexandros, et Hélénè, fille de Zeus tempétueux, s'y assit en détournant les yeux ; mais elle adressa ces reproches à son époux :
- Te voici revenu du combat. Que n'y restais-tu, mort et dompté par l'homme brave qui fut mon premier mari ! Ne te vantais-tu pas de l'emporter sur Ménélaos cher à Arès, par ton courage, par ta force et par ta lance ? Va ! défie encore Ménélaos cher à Arès, et combats de nouveau contre lui ; mais non, je te conseille plutôt de ne plus lutter contre le blond Ménélaos, de peur qu'il te dompte aussitôt de sa lance !
Et Pâris, lui répondant, parla ainsi :
- Femme ! ne blesse pas mon cœur par d'amères paroles. Il est vrai, Ménélaos m'a vaincu à l'aide d'Athènè, mais je le vaincrai plus tard, car nous avons aussi des dieux qui nous sont amis. Viens ! couchons-nous et aimons-nous ! Jamais le désir ne m'a brûlé ainsi, même lorsque, naviguant sur mes nefs rapides, après t'avoir enlevée de l'heureuse Lakédaimôn, je m'unis d'amour avec toi dans l'île de Kranaè, tant je t'aime maintenant et suis saisi de désirs !
Il parla ainsi et marcha vers son lit, et l'épouse le suivit, et ils se couchèrent dans le lit bien construit."


Iliade I, Chant 3,
extrait de :
http://www.inlibroveritas.net/lire/oeuvre1507-page73.html#page


Ayant ainsi parlé, elle descendit de la chambre haute, hésitant dans son coeur si elle interrogerait de loin son cher mari, ou si elle baiserait aussitôt sa tête et ses mains. Après être entrée et avoir passé le seuil de pierre, elle s'assit en face d'Odysseus, près de l'autre mur, dans la clarté du feu. Et Odysseus était assis près d'une haute colonne, et il regardait ailleurs, attendant que son illustre femme, l'ayant vu, lui parlât. Mais elle resta longtemps muette, et la stupeur saisit son coeur. Et plus elle le regardait attentivement, moins elle le reconnaissait sous ses vêtements en haillons.
Alors Tèlémakhos la réprimanda et lui dit :
- Ma mère, malheureuse mère au coeur cruel. Pourquoi restes-tu ainsi loin de mon père ? Pourquoi ne t'assieds-tu point auprès de lui afin de lui parler et de l'interroger ? Il n'est aucune autre femme qui puisse, avec un coeur inébranlable, rester ainsi loin d'un mari qui, après avoir subi tant de maux, revient dans la vingtième année sur la terre de la patrie. Ton coeur est plus dur que la pierre.
Et la prudente Pènélopéia lui répondit :
- Mon enfant, mon âme est stupéfaite dans ma poitrine, et je ne puis ni parler, ni interroger, ni regarder son visage. Mais s'il est vraiment Odysseus, revenu dans sa demeure, certes, nous nous reconnaîtrons mieux entre nous. Nous avons des signes que tous ignorent et que nous connaissons seuls.
Elle parla ainsi, et le patient et divin Odysseus sourit, et il dit aussitôt à Tèlémakhos ces paroles ailées :
- Tèlémakhos, laisse ta mère m'éprouver dans nos demeures, peut-être alors me reconnaîtra-t-elle mieux. Maintenant, parce que je suis souillé et couvert de haillons, elle me méprise et me méconnaît. Mais délibérons, afin d'agir pour le mieux. Si quelqu'un, parmi le peuple, a tué même un homme qui n'a point de nombreux vengeurs, il fuit, abandonnant ses parents et sa patrie. Or, nous avons tué l'élite de la ville, les plus illustres des jeunes hommes d'Ithakè. C'est pourquoi je t'ordonne de réfléchir sur cela.
Et le prudent Tèlémakhos lui répondit :
- Décide toi-même, cher père. On dit que tu es le plus sage des hommes et qu'aucun des hommes mortels ne peut lutter en sagesse contre toi. Nous t'obéirons avec joie, et je ne pense pas manquer de courage, tant que je conserverai mes forces.
Et le patient Odysseus lui répondit :
- Je te dirai donc ce qui me semble pour le mieux. Lavez-vous d'abord et prenez des vêtements propres, et ordonnez aux servantes de prendre d'autres vêtements dans les demeures. Puis le divin Aoide, tenant sa kithare sonore, nous entraînera à la danse joyeuse, afin que chacun, écoutant du dehors ou passant par le chemin, pense qu'on célèbre ici des noces. Il ne faut pas que le bruit du meurtre des Prétendants se répande par la ville, avant que nous ayons gagné nos champs plantés d'arbres. Là, nous délibérerons ensuite sur ce que l'olympien nous inspirera d'utile.
Il parla ainsi, et tous, l'ayant entendu, obéirent. Ils se lavèrent d'abord et prirent des vêtements propres ; et les femmes se parèrent, et le divin Aoide fit vibrer sa kithare sonore et leur inspira le désir du doux chant et de la danse joyeuse, et la grande demeure résonna sous les pieds des hommes qui dansaient et des femmes aux belles ceintures. Et chacun disait, les entendant, hors des demeures :
- Certes, quelqu'un épouse la Reine recherchée par tant de prétendants. La malheureuse ! Elle n'a pu rester dans la grande demeure de son premier mari jusqu'à ce qu'il revînt.
Chacun parlait ainsi, ne sachant pas ce qui avait été fait. Et l'intendante Eurynomè lava le magnanime Odysseus dans sa demeure et le parfuma d'huile ; puis elle le couvrit d'un manteau et d'une tunique. Et Athènè répandit la beauté sur sa tête, afin qu'il parût plus grand et plus majestueux, et elle fit tomber de sa tête des cheveux semblables aux fleurs d'hyacinthe. Et, de même qu'un habile ouvrier, que Hèphaistos et Pallas Athènaiè ont instruit, mêle l'or à l'argent et accomplit avec art des travaux charmants, de même Athènè répandit la grâce sur la tête et sur les épaules d'Odysseus, et il sortit du bain, semblable par la beauté aux Immortels, et il s'assit de nouveau sur le thrône qu'il avait quitté, et, se tournant vers sa femme, il lui dit :
- Malheureuse ! Parmi toutes les autres femmes, les Dieux qui ont des demeures Olympiennes t'ont donné un coeur dur. Aucune autre femme ne resterait aussi longtemps loin d'un mari qui, après avoir tant souffert, revient, dans la vingtième année, sur la terre de la patrie. Allons, nourrice, étends mon lit, afin que je dorme, car, assurément, cette femme a un coeur de fer dans sa poitrine !
Et la prudente Pènélopéia lui répondit :
- Malheureux ! je ne te glorifie ni ne te méprise mais je ne te reconnais point encore, me souvenant trop de ce que tu étais quand tu partis d'Ithakè sur ta nef aux longs avirons. Va, Eurykléia, étends, hors de la chambre nuptiale, le lit compact qu'Odysseus a construit lui-même, et jette sur le lit dressé des tapis, des peaux et des couvertures splendides.
Elle parla ainsi, éprouvant son mari ; mais Odysseus, irrité, dit à sa femme douée de prudence :
- O femme ! quelle triste parole as-tu dite ? Qui donc a transporté mon lit ? Aucun homme vivant, même plein de jeunesse, n'a pu, à moins qu'un Dieu lui soit venu en aide, le transporter, et même le mouvoir aisément. Et le travail de ce lit est un signe certain, car je l'ai fait moi-même, sans aucun autre. Il y avait, dans l'enclos de la cour, un olivier au large feuillage, verdoyant et plus épais qu'une colonne. Tout autour, je bâtis ma chambre nuptiale avec de lourdes pierres ; je mis un toit par-dessus, et je la fermai de portes solides et compactes. Puis je coupai les rameaux feuillus et pendants de l'olivier, et je tranchai au-dessus des racines le tronc de l'olivier, et je le polis soigneusement avec l'airain, et m'aidant du cordeau. Et l'ayant troué avec une tarière, j'en fis la base du lit que je construisis au-dessus et que j'ornai d'or, d'argent et d'ivoire, et je tendis au fond la peau pourprée et splendide d'un boeuf. Je te donne ce signe certain ; mais je ne sais, ô femme, si mon lit est toujours au même endroit, ou si quelqu'un l'a transporté, après avoir tranché le tronc de l'olivier, au-dessus des racines.
Il parla ainsi, et le cher coeur et les genoux de Pènélopéia défaillirent tandis qu'elle reconnaissait les signes certains que lui révélait Odysseus. Et elle pleura quand il eut décrit les choses comme elles étaient ; et jetant ses bras au cou d'Odysseus, elle baisa sa tête et lui dit :
- Ne t'irrite point contre moi, Odysseus, toi, le plus prudent des hommes ! Les Dieux nous ont accablés de maux ; ils nous ont envié la joie de jouir ensemble de notre jeunesse et de parvenir ensemble au seuil de la vieillesse. Mais ne t'irrite point contre moi et ne me blâme point de ce que, dès que je t'ai vu, je ne t'ai point embrassé. Mon âme, dans ma chère poitrine, tremblait qu'un homme, venu ici, me trompât par ses paroles ; car beaucoup méditent des ruses mauvaises. L'Argienne Hélénè, fille de Zeus, ne se fût point unie d'amour à un Etranger, si elle eût su que les braves fils des Akhaiens dussent un jour la ramener en sa demeure, dans la chère terre de la patrie. Mais un Dieu la poussa à cette action honteuse, et elle ne chassa point de son coeur cette pensée funeste et terrible qui a été la première cause de son malheur et du nôtre. Maintenant tu m'as révélé les signes certains de notre lit, qu'aucun homme n'a jamais vu. Nous seuls l'avons vu, toi, moi et ma servante Aktoris que me donna mon père quand je vins ici et qui gardait les portes de notre chambre nuptiale. Enfin, tu as persuadé mon coeur, bien qu'il fût plein de méfiance.
Elle parla ainsi, et le désir de pleurer saisit Odysseus, et il pleurait en serrant dans ses bras sa chère femme si prudente.
De même que la terre apparaît heureusement aux nageurs dont Poseidaôn a perdu dans la mer la nef bien construite, tandis qu'elle était battue par le vent et par l'eau noire ; et peu ont échappé à la mer écumeuse, et le corps souillé d'écume, ils montent joyeux sur la côte, ayant évité la mort ; de même la vue de son mari était douce à Pènélopéia qui ne pouvait détacher ses bras blancs du cou d'Odysseus. Et Eôs aux doigts rosés eût reparu, tandis qu'ils pleuraient, si la déesse Athènè aux yeux clairs n'avait eu une autre pensée.
Elle retint la longue Nuit sur l'horizon et elle garda dans l'Okéanos Eôs au thrône d'or, et elle ne lui permit pas de mettre sous le joug ses chevaux rapides qui portent la lumière aux hommes, Lampos et Phaéthôn qui amènent Eôs.
Homère - L'Odyssée XXIII - traduction de Leconte de Lisle (1867)
extrait de :
http://www.mediterranees.net/mythes/ulysse/odyssee/chant23.html
Déjà, nous sommes loin de l'image traditionnelle du pater familias ou de la domna que nous renvoie la législation ou la littérature romaines, très proche de la culture grecque sur ce point. Ce n'est pas parce que la majorité des sociétés humaines ont accordé pendant des millénaires un statut inférieur, misérable, à la femme, ce n'est pas parce que toutes sortes de pratiques sexuelles étaient permises aux hommes mâles (et parfois aux femmes) que la culture hétérosexuelle n'existait pas, autour de la tendresse, de l'affection, de l'attention, mais aussi de l'amour physique déconnecté de son traditionnel but reproductif. Pâris, loin de gifler sa femme pour ce qui était à cette époque un manque de devoir pour une femme envers son maître, ne lui demande pas de se taire du haut de ses prérogatives. Il dit "ne blesse pas mon coeur" : ce qui sous-entend clairement que les paroles de sa femme peuvent l'atteindre émotionnellement. Puis, il ne prend pas son corps d'autorité, mais il l'invite à l'amour : "Viens..." S'il lui demande de laisser là leur querelle, c'est pour que tous deux se couchent et s'aiment : "Couchons-nous et aimons-nous", car, dit-il, il brûle de désir, et il précise que ce désir ne l'a jamais brûlé à ce point, qu'il l'aime.
Et Ulysse et Pénélope ? Sur quoi repose l'épreuve réclamée par l'épouse pour s'assurer définitivement de l'identité d'Ulysse. Sur les secrets partagés seulement par des êtres très proches : "Nous avons des signes que tous ignorent et que nous connaissons seuls." Là encore,
un homme, Ulysse, qui a non seulement le pouvoir sur sa maisonnée mais sur un petit royaume, n'use pas de ce pouvoir pour rabaisser sa femme ou l'empêcher d'exprimer son point de vue. Au jeune Télémaque, qui incarne la norme et rappelle à sa mère ses devoirs, le vieux père répond : "Laisse ta mère m'éprouver dans nos demeures". Apprécier aussi ce pluriel, qui est encore un refus de parler du haut d'un piédestal, et qui place Ulysse non au-dessus de sa famille mais en son sein. Ensuite, et malgré le refus persistant de son épouse de l'accepter sans garanties certaines de son identité, Ulysse, comme Pâris, n'utilise pas son droit absolu de propriété sur sa femme mais réclame simplement de dormir : "Allons, nourrice, étends mon lit, afin que je dorme, car, assurément, cette femme a un coeur de fer dans sa poitrine ! ". Quand le secret de l'alcôve est résolu, Pénélope laisse libre cours à son sentiment : Elle pleure, met ses bras autour du cou de son mari, l'embrasse sur la tête. Ulysse se met aussi à pleurer, et, tout en pleurant, l'étreint dans ses bras. Bien entendu, il ne s'agit pas de dire qu'Ulysse et Pénélope donnent là l'image fidèle d'un couple antique, ni que ce couple vit leurs retrouvailles comme le vivrait un couple aujourd'hui. Il s'agit de dire seulement que beaucoup d'éléments culturels entourent ces retrouvailles, où se mêlent désir sexuel, doutes, tendresse, angoisse, amour, joie, pleurs, liens secrets, etc. Il s'agit aussi de montrer que, malgré le poids écrasant des interdits, des normes sociales, la tendresse, l'affection, le désir physique, des liens privilégiés pouvaient exister entre les hommes et les femmes bien avant le moyen-âge, et tout cela formait une culture sexuelle variant selon les lieux et les époques, avec ses héros, ses héroïnes, des modèles présents dans les poésies et les récits épiques. Une culture sommaire, peut-être, parasitée, étouffée, écrasée par les normes sociales et les inégalités des sexes, mais un ensemble de relations, d'échanges et de partages indéniablement culturels.
Ce qui m'amène à reparler du modèle du couple homme-femme, qui se serait progressivement imposé en Occident, selon L. G Tin, au détriment des autres, en particulier par la promotion du mariage. Quels autres ? Principalement l'homosexualité, qui existait mais qui n'était pas plus promu que d'autres formes. L'abondance de documents sur la sexualité entre hommes pour la Grèce et la Rome antiques ne doit pas nous faire oublier que les hommes couchant avec d'autres hommes ne sont pas nécessairement homosexuels : ils sont censés être actifs et pour affirmer leur virilité, ils ont eu le choix de "sabrer" (terme souvent utilisé) des esclaves masculins, féminins, adultes ou enfants, des femmes et des hommes libres, jusqu'à une certaine époque, des adolescents libres. L'homme passif (impudicus) n'est pas considéré comme un homme véritable. Il y aura pourtant des hommes passifs, les empereurs romains Octave ou Commode ne s'en cachèrent pas. Les légionnaires de César parlaient de ses aventures amoureuses en disant : "Voici César l'homme de toutes les femmes, et la femme de tous les hommes". Il y a des hommes actifs, il y a des hommes à la sexualité effrénée, d'autres plutôt sobres. Dira-t-on alors qu'un modèle l'emportait sur un autre ?
Toutes sortes d'influences construisent depuis longtemps et de manière complexe le vécu de la sexualité par les hommes et les femmes. En la matière, le modèle des philosophes, stoïciens en particulier, est la tempérance, la maîtrise des passions, en particulier. Les hommes à femmes ne sont pas pour eux des Don Juan mais des efféminés pitoyables, ne sachant pas maîtriser leur passion. La femme est officiellement un bien meuble, et depuis Aristote, sa satisfaction sexuelle n'a aucun intérêt. Mais à Rome, au temps de l'Empire, les femmes pouvaient divorcer, signifier qu'elles ne donnaient plus le consentement à leur union par le repudium. Le consentement mutuel était, par ailleurs, réclamé de la part des futurs époux. Comment se confrontait ce droit avec celui, plénipotentiaire, du père sur ses enfants ? Toutes ces raisons morales et sociales permettent d'imaginer, malgré de sérieuses entraves, une culture de la sexualité, hétérosexuelle ou pas, très complexe, très riche, et très difficile d'approcher de nos jours. Qu'en pensait Sophocle ?
"[ Céphale à Socrate ] Un jour j'étais à ses côtés et on lui posa la question : "Comment te sens-tu, Sophocle, par rapport aux plaisirs de l'amour ? Es-tu encore capable d'avoir une relation avec une femme?" Et celui-ci de répondre : "Tais-toi, bonhomme, je suis enchanté de m'en être sorti, comme si je m'étais échappé d'un maître enragé et sauvage !" Il m'impressionna alors par cette belle réponse, et encore aujourd'hui elle ne me fait pas moins impression. À tous égards en effet, pour ce genre de choses, il se produit dans la vieillesse une grande paix et une libération. Quand les désirs perdent leur intensité et s'apaisent, alors se réalise absolument la parole de Sophocle : on se trouve libéré de tyrans nombreux et maniaques."
Platon, La République, I, 329 b-d. Traduction par Georges Leroux, GF Flammarion, 2004.
Extrait de :
http://gmanonymes.wordpress.com/2009/01/07/liberte-absolue-etes-vous-certains%c2%a0/
La parole de Sophocle ici, se limite aux désirs et ne permet pas de sonder le coeur de ses amantes, mais au moins, il admet avoir été violemment agité, tourmenté par ses passions. Plus intéressant est le témoignage de saint Augustin, avant sa conversion au christianisme. Période instructive que ce début de l'expansion de la religion chrétienne (fin du IVe siècle) qui pouvait, au coeur d'un individu, opposer violemment une culture ancienne, païenne, plus tolérante à certains égards, à une culture nouvelle, qui allait très vite chercher à imposer aux esprits toutes sortes de carcans. Dans le troisième livre de ses Confessions, Augustin d'Hippone parle de ses expériences amoureuses :
AMOURS IMPURS.
1. Je vins à Carthage, où bientôt j'entendis bouillir autour de moi la chaudière des sales amours. Je n'aimais pas encore, et j'aimais à aimer ; et par une indigence secrète, je m'en voulais de n'être pas encore assez indigent. Je cherchais un objet à mon amour, aimant à aimer; Et je haïssais ma sécurité, ma voie exempte de pièges. Mon coeur défaillait, vide de la nourriture intérieure, de vous-même, mon Dieu; et ce n'était pas de cette faim-là que je me sentais affamé ; je n'avais pas l'appétit des aliments incorruptibles: non que j'en fusse rassasié; je n'étais dégoûté que par inanition. Et mon âme était mal portante et couverte de plaies, et se jetant misérablement hors d'elle-même, elle mendiait ces vifs attouchements qui devaient envenimer son ulcère. C'est la vie que l'on aime dans les créatures aimer, être aimé m'était encore plus doux, quand la personne aimante se donnait toute à moi.
Je souillais donc la source de l'amitié des ordures de la concupiscence; je couvrais sa sérénité du nuage infernal de la débauche. Hideux et infâme, dans la plénitude de ma vanité, je prétendais encore à l'urbanité élégante. Et je tombai dans l'amour où je désirais être pris, O mon Dieu, ô ma miséricorde, de quelle amertume votre, bonté a assaisonné ce miel! Je fus aimé, j'en vins aux liens secrets de la jouissance, et, joyeux, je m'enlaçais dans un réseau d'angoisses, pour être bientôt livré aux verges de fer brûlantes de la jalousie, des soupçons, des craintes, des colères et des querelles.
extrait de :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/confessions/livre3.htm
Nul doute qu'il s'agit ici d'amours hétérosexuels. Augustin a connu très jeune la femme avec qui il vivra quatorze ans et avec qui il eut un fils, Adéodat. Jalousie, joie, jouissance, joie d'aimer, colère, crainte : difficile de ne pas imaginer que les amours d'Augustin possédaient autant de piquant qu'un amour d'aujourd'hui, non ?
Au VIIe siècle, encore, Isidore de Séville avoue lui-même dans ses Sentences (2, 40, 13) que certains hommes "chérissent l'honnêteté du mariage, non pour engendrer des enfants, mais aussi pour connaître les troubles et les passions de la chair."
Alors certes, la représentation du couple dans l'iconographie ou les textes courtois ont influencé d'une manière nouvelle les représentations, mais, on ne le répétera pas assez, elles se sont répandues dans un milieu très restreint de la société et elles n'occupent pas soudain un vide de culture érotique ou amoureuse : il suffit de penser au poème du Cantique des Cantiques, dont la majorité des textes auraient été rédigés autour du IVe siècle avant notre ère. Ecoutons la voix du poète :
"Mon amant est pour moi un sachet de myrrhe; il nuite entre mes seins.
Mon amant est pour moi une grappe de cypre, aux vignobles de 'Éïn Guèdi.
Te voici belle, ma compagne, te voici belle aux yeux palombes.
Te voici beau, mon amant, suave aussi; aussi notre berceau est luxuriant.
Les cèdres sont les poutres de nos maisons; nos lambris, des genévriers.
(...)
Sur ma couche, dans les nuits, j'ai cherché celui qu'aime mon être.
Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé.
Je me lèverai donc, je tournerai dans la ville, dans les marchés, sur les places.
Je chercherai celui qu'aime mon être. Je l'ai cherché mais ne l'ai pas trouvé.
(...)
Je l'ai saisi et ne le lâcherai pas avant de l'avoir fait venir à la maison de ma mère, dans l'intérieur de ma génitrice.
(...)
Tes lèvres, tel un fil d'écarlate, ton parler harmonieux; telle une tranche de grenade, ta tempe à travers ton litham ;
et telle la tour de David, ton cou, bâti pour les trophées: mille pavois y sont suspendus, tous les carquois des héros.
Tes deux seins, tels deux faons, jumeaux de la gazelle, pâturent dans les lotus.
(...)
Tes lèvres, tel un fil d'écarlate, ton parler harmonieux; telle une tranche de grenade, ta tempe à travers ton litham ;
et telle la tour de David, ton cou, bâti pour les trophées: mille pavois y sont suspendus, tous les carquois des héros.
Tes deux seins, tels deux faons, jumeaux de la gazelle, pâturent dans les lotus.
(...)
Mon amant lance sa main par le trou; mes boyaux se bouleversent pour lui.
Je me lève moi-même pour ouvrir à mon amant.
Mes mains dégoulinent de myrrhe, mes doigts de myrrhe ruisselante, sur les paumes du loquet.
J'ouvre moi-même, à mon amant, mais mon amant s'était esquivé, il était passé.
Mon être s'extasiait à sa parole.
Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé.
J'ai crié vers lui, mais il ne m'a pas répondu.
Ils m'ont trouvée, les gardes qui tournent dans la ville.
Ils m'ont frappée, ils m'ont blessée. Ils ont emporté mon châle sur moi, les gardes des remparts.
Je vous adjure, filles de Ieroushalaîm, si vous trouvez mon amant, que lui rapporterez-vous ?
Que je suis malade d'amour... "
Le christianisme a accepté avec beaucoup de réticences ce poème érotique en le faisant passer pour une allégorie d'amour spirituel entre Dieu et son Église. Il n'en reste pas moins que beaucoup de clercs, beaucoup d'hommes instruits ont eu accès à ce texte éminemment hétérosexuel. Nous voyons donc bien que, depuis l'antiquité, il existe de nombreux témoignages de la culture hétérosexuelle. Si L.G Tin a bien fait de nous rapporter le développement accéléré de cette culture depuis le XIIIe siècle, s'il fait bien aussi de montrer qu'à partir de ce moment, elle est dominante dans les représentations de la sexualité, il est moins convaincant, nous avons essayé de le montrer, quand il prétend que l'hétérosexualité prend alors pied dans l'histoire. L. G Tin fait, par ailleurs, arriver sur la scène de l'histoire une culture hétérosexuelle en opposition à une culture homosociale, par ailleurs très présente, nous en avons dit quelques mots, pendant l'antiquité et une grande partie du moyen-âge.
Au lieu de voir la culture hétérosexuelle comme un outil de domination, ne pourrait-on pas suggérer le développement progressif de la visibilité de cette culture, de l'affranchissement pas à pas de ses tabous, de l'éclosion de la parole des femmes elles-mêmes ? L'auteur parle à juste titre de la mise sous le boisseau pendant des siècles par l'Eglise des plaisirs de la chair, prônant l'abstinence, la virginité. Pourquoi ne parle-t-il pas de l'amour courtois comme une poussée érotico-sociale venue semble-t-il de Perse, de la culture soufie en particulier, et dont la fièvre gagne d'abord la culture occitane avant d'envahir la culture aristocratique d'une respiration bienfaisante ? Que les éléments de cette culture soient mis en avant et que l'homosexualité soit de nouveau brimée, c'est un fait. Mais c'est un phénomène récurrent. Sous Théodose, en 390, elle est une « infamie qui condamne le corps viril, transformé en corps féminin, à subir les pratiques réservées à l'autre sexe » et passible de bûcher. De même sous Justinien, au VIe siècle. Idem pour le mariage, que saint Paul déclarait déjà être une bonne chose pour les pasteurs, même si elle n'était pas la meilleure, qui était la virginité et l'abstinence. Alors quand L.G Tin introduit le protestantisme comme acteur supplémentaire de cette promotion, il a tort, je pense, d'en faire un artisan d'une nouvelle culture qui se construit en opposition à d'autres depuis le XIIIe siècle. De ce temps jusqu'à aujourd'hui, on pourrait y lire un enrichissement progressif de la culture amoureuse entre hommes et femmes, jusqu'à ce qu'enfin, la culture hétérosexuelle puisse atteindre, très tardivement, une grande liberté sexuelle, qui peut enfin s'exprimer en s'étant débarrassée de nombreuses et très anciennes entraves. Que cette liberté ait été obtenue en laissant dans l'ombre et en stigmatisant d'autres cultures sexuelles, c'est indéniable et injuste. Mais les sociétés contemporaines acceptent, progressivement, que la sexualité humaine peut se manifester sous différentes formes, que ces formes ne sont pas figées, qu'elles peuvent se combiner entre elles (homosexualité masculine, féminine, bisexualité, transexualité surtout). Il faut quand même rappeler que l'on parle ici de pratiques extrêmement minoritaires, puisqu'elles représenteraient environ 5% des pratiques sexuelles. De là à établir la promotion de l'homosexualité dans les écoles, comme L. G Tin semble le réclamer, c'est un tout autre débat !
Image extraite du Roman de la Rose, Jardin d'Amour, de Guillaume de Lorris (vers 1230), manuscrit avec enluminures du XVe s. et conservé au British Museum.

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