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Billet de blog 4 février 2012

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Avec Ben, quelques réflexions sur l'art

 Il se demande sans cesse         Il      alors a priori Ben m'intéresse.  

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 Il se demande sans cesse 

 

Illustration 1

 Il

 

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 alors a priori Ben m'intéresse.

Et puis, l'homme ne récite pas un catéchisme . Il dit que les musées ne servent à rien. Il adore la phrase de Bourdieu qui dit que "les musées ne servent qu'à impressionner les pauvres", mais aussi celle de Picabia : "Là où l'art apparaît la vie disparaît." La vérité en soi ne veut pas dire grand chose, les musées ne servent pas qu'à impressionner les pauvres et la vie ne disparaît pas toujours quand l'art fait sont apparition : ces assertions ont valeur de conviction, pas de connaissance exacte, mais le savoir les sous-tend. Toutes ont le mérite de parler d'un sujet dont il est rarement question : l'art, les musées où il est exposé, n'existent pas d'évidence. Malgré toutes ces belles phrases, Ben est dans les musées. Il l'est mais il dit qu'il aimerait en sortir. Pétri de contradictions, Ben ne cache pas qu'il est simplement humain. Il peint avec les mots, dit-il. Pas comme les dadaïstes ou les lettristes, ajoute-t-il, dont les mots ont un caractère décoratif ou surréaliste. Lui amène des mots contenant de la vérité dans la peinture :

Illustration 3

Je lis, je relis les mots de Ben. Il y a des sentiments que je partage : je n'ai nul besoin ni de plaisir à les regarder peints par l'artiste. Il y a le langage de l'ego. L'ego est un sujet de prédilection pour Ben : "Le jour où je m'arrêterai de mentir, je ne ferai plus d'art. L'art est un mensonge. Il nous dit : "Regardez-moi !" C'est l'ego qui parle. Donc l'art est un prétexte. Je dessine des fleurs mais en vérité, je voudrais que vous me regardiez et que l'on dise que ce sont les fleurs de Ben et qu'on glose sur ce que j'apporte de nouveau." De la même manière qu'un beau roman de Céline ne me fait pas aimer Céline, je n'admire pas une oeuvre d'art dans le but ni de regarder l'artiste, ni d'imaginer qu'il m'apporte forcément une vérité nouvelle. De nouveaux vertiges, oui. Des passages secrets vers les mondes du créateur, oui aussi.

Notre civilisation est très bavarde. Les mots, les livres sont légions et dissèquent la réalité dans tous les sens, l'étudient sous toutes les coutures, la nomme, la dévore, la digère. Que nous apporte de plus un art aussi bavard que celui de Ben ? Prenons par exemple cette oeuvre mixte, acrylique et objets sur bois de 1995, Il n'y a pas de centre du monde :

"L'avant garde d'un peuple ne survit que si sa langue survit et sa langue survit que si il est maître de son destin"

"L'histoire de l'art dans 1000 ans : tout dépend de qui l'écrira"

" J'en ai ras le bol de tous ces discours sur l'art, vous connaîtriez pas une bonne boîte pour aller danser ?"

"sur Daniel Rops. au nom de la chrétienté, soi-disant pour nous apporter le beau vous avez massacré plus de 2 millions d'individus (d'indiens)."

"C'est le pouvoir qui décide du beau les papes ont voulu qu'on peigne des Saintes Vierges, les rois leurs portraits coca cola sa bouteille"

"Ce tableau plaira à la concierge qui aime les bibelots qu'on met sur sa cheminée."

Quelles vérités nouvelles ? Du nouveau, certainement : la belle écriture de Ben, Ben lui-même, ses contradictions et ses doutes. Son orgueil et son humilité. Le travail de Ben me plaît parfois comme celui d'un adulte qui réfléchit avec, en permanence devant les yeux des orgies enfantines de papiers et de couleurs. J'ai pris exprès l'exemple de Il n'y a pas de centre du monde, pour illustrer la face révoltée, militante de Ben. Les mots sont ici accompagnés de dessins, d'objets, j'aime les couleurs, l'équilibre de l'oeuvre, mais ce militantisme me dérange en tant qu'art quand il ne représente que de simples propositions, comme dans moult affichettes (voir plus haut) et plus encore quand il devient discours sur le monde, dans un certain nombre de tableaux :

Les mots de Ben sont-ils de l'art ? J'entends bien sa révolte, son amour et sa peur des mots, mais je n'ai pas besoin de Ben pour les connaître et ils ne se transforment pas miraculeusement en art sous mes yeux. Je parle à la première personne parce qu'il n'y a aucune raison que quelqu'un d'autre n'ait pas une autre opinion sur ces oeuvres. Cette simple assertion devrait interdire quiconque de faire de grands discours sur l'art et permettre de remettre sans cesse en question nos manières de voir et de faire : pour rejoindre Ben, pourquoi des musées, avec quelle légitimité les pouvoirs politiques ou culturels déclarent à leur façon que tel ou tel artiste, et pas un autre, a droit à la reconnaissance, à l'exposition publique de ses oeuvres. Comme Ben, demandons-nous souvent : quest-ce que l'art ? Et de là découlent bien des questions.

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La définition du beau, du génie n'a rien d'universel. Quand les premiers jésuites arrivent en Chine et font écouter à l'empereur et sa cour la musique de Mozart, ils ne s'attendent pas à ce que des hommes si nobles et si lettrés n'y trouvent aucun attrait. La musique, la peinture, toute forme d'art n'existe pas sans un substrat culturel qui permet de l'accueillir comme un objet digne d'attention et d'admiration. L'humilité devrait donc être un des moteurs essentiels de ceux dont la vie se nourrit de l'art (et vice-versa) et qui ont pour responsabilité de le découvrir, de le diffuser.

  Si le fait de conférer à une production humaine la qualité d'oeuvre artistique a une valeur tout à fait relative, on ne peut que s'étonner de voir l'objet d'art traité comme une marchandise, propre à la spéculation, à la thésaurisation, de plus en plus souvent aux mains d'hommes d'affaires plutôt quà ceux qui les admirent pour ce qu'elles sont. Ceux qui jouent de cet étalon, l'argent, imposent une vision hiérarchique de l'art au reste de la société : Ils affirment par exemple que Hommage à Matisse de Rothko vaut un peu plus de vingt-deux millions de dollars (Christie's, 2005).

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Tous les objets exposés au Louvre ou au Musée d'Orsay de manière permanente valent chacun des sommes très généreuses, souvent colossales. Une grande oeuvre d'art semble donc être, pour ceux qui ont le pouvoir de le montrer à un large public, une oeuvre qui a nécessairement un poids monétaire d'une telle importance qu'elle ne peut être acquise, qu'elle ne peut circuler que chez les riches. Entre parenthèses, on ne peut pas ici ne pas penser  à l'oeuvre de

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De la même manière que je trouve injuste, indécent qu'un homme gagne cent fois ce que gagne un autre, je trouve injuste que les oeuvres de Pollock valent des fortunes, que l'artiste fasse partie désormais des Vulgates de la peinture, quand Dominique Erhard demeure un parfait inconnu pour la plupart d'entre nous. Voici une oeuvre de lui que j'ai de la chance de pouvoir admirer chaque jour sous mon toit. Elle possède pour moi la terrible beauté de certaines pages de Dante. J'aime cette oeuvre beaucoup plus que bien des tableaux de "maîtres".


Je n'aimerais pas que cette oeuvre soit accrochée un jour dans un musée. Je peux imaginer, par exemple, qu'elle fasse partie d'un ensemble qui serait montré pour une somme modique jusque dans des village. Je voudrais qu'un amateur véritable, un aimant de l'art, en parle avec les invités. Je ne sais pas si les musées doivent disparaître, mais je voudrais qu'ils soient autre chose que des temples sacrés où les visiteurs se croient obligés de baisser la voix comme à l'église. Je voudrais que les artistes puissent apporter la beauté un peu partout beaucoup plus souvent, dans la rue, dans le moindre foyer, dans les écoles, dans les hôpitaux... Je voudrais que les enfants aillent s'extasier plus souvent devant une sculpture ou une peinture. Je m'étais éloigné de Ben mais je m'en rapproche à nouveau : Je voudrais que le monde change.

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