"On dit qu'elles sont belles, charmantes, délicieuses... parfois dures, manipulatrices ou méchantes, mais on dit encore trop rarement des femmes qu'elles sont puissantes", "Le moment est venu pour les femmes d'assumer leur puissance", voilà comment est lancée l'interview de la série "Femmes puissantes". Le ton est lancé, les hommes ont longtemps eu la puissance, ça suffit, place aux femmes ! C'est une série d'interviews qui a un air de féminisme, mais dont la chanson entonne un refrain bien suranné : Nous ne sommes pas seulement belles, charmantes...mais aussi bien d'autres choses encore. "On dit...", ON a surement raison, puisque "...on dit encore trop rarement..." On ne peut pas reproduire ici le verbe de l'intervieweuse, mais il est comme à son habitude acéré, percutant, on reconnaît aisément la marque des vedettes de radio qui y font long feu pour leurs talents de mise en scène. Léa Salamé a ce talent, c'est indéniable, elle a un goût sûr pour l'emballage. D'un côté du spectre radiophonique de la Maison de la Radio, vous avec quelqu'un comme Sonia Kronlund, dont vous ne connaîtrez le nom que si vous arrivez en avance pour son émission, dont les sujets sont de simples êtres humains, de l'autre, vous avez Léa Salamé. Vous pouvez arriver à l'heure que vous voulez, elle vous rappellera sans cesse qui, de ses invitées ou elle, mène la danse. Et toutes sont des femmes plus ou moins célèbres.
Les vedettes des médias sont fabriquées dans le même moule, avec la même pâte utilisée pour produire les traders, les publicitaires, etc. Pas mal de politiciens, aussi. Elles vont vite, vous donnent à aimer un monde où on ne trébuche pas, où on est en position de contrôler un maximum des paramètres d'existence. Les vedettes parlent à l'oreille de millions de personnes chaque semaine, et la main qui tient leur laisse ne peut pas prendre le risque qu'elles se confondent avec elles, qu'elles nourrissent, partagent leurs interrogations, leurs doutes, leurs colères.
Dès le début, Salamé assène la puissance de Laguiller, qui écarte gentiment cet attribut pour elle-même, et de manière très polie, accepte que si puissance il y a, elle est plutôt du côté des travailleurs en lutte. "Mais tout de même...vous allez faire plier la direction..vous vous sentez puissante ?" revient l'intervieweuse à la charge. Mais l'invitée n'en démord pas, ce n'est "pas du tout" la puissance, qu'elle ressentait, mais "c'est la responsabilité" de femmes et d'hommes qui ont des bouches à nourrir. Qu'à cela ne tienne, Salamé est une sorte de pitbull médiatique (je fais tout pour éviter l'étiquette noble de journaliste, vous avez remarqué ?), elle invite des femmes PUISSANTES, bordel, alors il faut que la puissance se voie, s'entende à chaque mesure : "Mais quand même...vous êtes la première femme à vous présenter à l'élection présidentielle, en France, c'est puissant, quand même, c'est symbolique, à ce moment-là, vous êtes puissante..." Tout d'un coup, une petite loupiote s'allume dans ma tête. J'ai trouvé ! Elle a fait un pari avec quelqu'un. Elle lui a dit "Cent balles que j'arrive à prononcer 100 fois le mot puissant ou puissance au cours de l'interview", " ce qui donnera un aspect super-puissant à ta série" avait sûrement répondu une autre crème des médias. Plus sérieusement, il y a encore plus grave.
Salamé se fout pas mal de ce que lui raconte son invitée. Au leitmotiv pathologique de puissance, Laguiller oppose ses préoccupations d'humanité, de combat pour la justice sociale dont Salamé, comme toutes les vedettes médiatiques, n'évoque jamais la légitimité. Jamais. C'est ça, l'objectivité prétendument neutre des grands médias. On pourra rétorquer que le sujet de l'émission c'est l'émancipation des femmes, pas la politique, mais cette réponse elle-même renvoie à nouveau l'intervieweuse dans un carcan idéologique. Ce n'est pas ce qu'a fait Laguiller en tant que personne, qui est important aux yeux de Salamé, mais ce qu'elle a produit comme image de femme. Ah ça, les images, les vedettes adoooooorent. Elles les collectionnent avec amour, et vous les balancent sans cesse devant les yeux, vous les enfoncent dans les oreilles. C'est tellement plus réconfortant, tellement plus gai, aussi ! On entend Laguiller se souvenir avec émotion du combat politique, des grèves auprès des femmes et des hommes maltraités par le capitalisme, mais que tout cela est barbaaaaant, triiiiiste, ça montre trop le monde comme il est, alors vite, on saute chaque fois du coq à l'âne, pour entretenir la gloriole d'une femme qui n'en a jamais voulue.
Ce n'est pas la militante que Salamé a invité, c'est la "vedette". Ce n'est pas les idées politiques qu'a notées Salamé dans ses papiers, mais les très humbles scores obtenus dans les différentes élections. Les chiffres, la gagne, ça aussi ça parle aux vedettes, comme à leurs maîtres. Il faut donc que ce soit ça qui soit important pour les oreilles qui l'écoutent. Arlette parle de "renverser la société capitaliste pour en contruire une autre", elle la laisse un peu parler, c'est déjà généreux de sa part, mais pas question d'entrer en relation, pas question de relever quoi que ce soit de politique et confirmer qu'elle a objectivement raison, sinon de remettre en cause le capitalisme, tout au moins, de le questionner. Dès que possible, elle réveille le pitbull qui est en elle : "A chaque femme puissante, je demande un objet qui incarne la puissance des femmes...". Et vous savez ce qu'a choisi la vieille dame ? Une photo d'une femme travaillant dans le textile à Petrograd, en 1917 ! Impayable Arlette, c'est puissance contre puissance. Puissance des paillettes, en toc, copiée sur le modèle patriarcal, contre force, combat des impuissants pour la dignité humaine. Elle voudrait qu'Arlette lui dise sa manière féminine d'exercer le pouvoir. Là encore ce n'est pas le combat pour le bonheur commun que Salamé veut voir, c'est le pouvoir exercé par une femme... à sa façon de femme. Mais là encore Arlette est décevante, elle ne voit aucune différence de militer pour le bien en tant qu'homme ou femme : militer pour le bien des gens, c'est militer pour le bien des gens. C'est tout bête, non ? L'intervieweuse, cela a été dit, est une bonne professionnelle, elle a paré le coup, alors elle sort Souchon de son chapeau. Souchon sorti, une voix mâle nous rappelle (elle le fera régulièrement) : "Femmes puissantes, Léa Salamé, sur France Inter", pour le nom de l'invitée, vous n'avez qu"à suivre ! Alors, ça lui a plu cet hommage de Souchon ? "euh...mmh, moi j'ai trouvé ça un peu paternaliste..." Et paf ! Mais qu'est-ce qu'elle peut être soupe au lait, alors, cette mamie révolutionnaire ! Ferrat chante la femme est l'avenir de l'homme, Souchon chante "le goût mentholé" et "les bêtises" proférées par Arlette, et elle n'applaudit pas des deux mains ? Bon, il faut l'admettre tout de même pour finir, qu'Arlette a pu parler de ses combats, de sa vie, sans être en permanence interrompue. Les pitbulls médiatiques sont souvent plus bêtes que méchants, et certains ont droit à un peu de mou, au bout de leur laisse.