Nous travaillons à l'INRAE depuis quelques mois, ou nous y avons fait toute notre carrière professionnelle. Nous représentons une diversité de savoir-faire, d’expériences, d’histoires de vie et de recherche. Nous adressons aujourd’hui notre candidature collective à la présidence de l’INRAE pour porter une programmation de recherche au service d’une agriculture rémunératrice, d’une alimentation saine pour toutes et tous dans le respect des écosystèmes et des territoires.
Nous toutes et tous connaissons l’histoire de l’INRA. Fondé il y a près de 80 ans avec pour objectif de “nourrir la France” en période de pénurie alimentaire post-guerre, l’institut a favorisé un productivisme agricole mécanisé, basé sur l’amélioration génétique des animaux d’élevage et des cultures végétales, et sur l’utilisation massive d’engrais et de pesticides, et enfin dans certaines régions sur une irrigation surconsommatrice d’eau. De même le CEMAGREF, créé quelques années plus tard et devenu IRSTEA en 2012, a permis l’essor de technologies et machines qui ont accéléré la modernisation (remembrement et destruction des cours d'eau) et réduit la pénibilité de nombreuses tâches. Technologies qui augmentent également l’empreinte carbone et l’endettement des agricultrices et agriculteurs.
En dépit de certains apports passés du modèle agro-industriel, nous faisons le constat de l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui : surconsommation de ressources énergétiques et aquifères, nappes phréatiques polluées, sols tout ou partiellement abîmés, biodiversité des champs en fort déclin, maladies professionnelles des agriculteurs·rices, atteintes graves à la santé des populations et diminution de l’espérance de vie dues à une mauvaise alimentation et aux polluants, incapacité de ce modèle à rémunérer correctement une large partie du monde agricole tandis que certains exploitants et acteurs du système agro-industriel au contraire s’enrichissent démesurément.
Nous constatons l’incompatibilité de la politique du « en même temps » portée par notre institut. En même temps nous continuons des travaux de recherche pourvoyeurs de développements technologiques énergivores, fondés sur un extractivisme insoucieux des milieux (robotique, intelligence artificielle, agrivoltaïsme, ...), ou manipulant le vivant sans précaution et sans considération des conséquences sociales de la privatisation des ressources génétiques. Très souvent, des recherches au service d'une agriculture d’exportation, non pas de souveraineté alimentaire. Et en même temps nous menons des recherches pour favoriser l’agriculture biologique, l’agro-écologie, une alimentation plus saine et la restauration des écosystèmes. Nous savons que cet “en même temps” est biologiquement impossible : les polluants ne s’arrêtent pas aux frontières des zones naturelles protégées. Il est également une imposture politique : tant que l’essentiel des surfaces et des subventions, ainsi que la gouvernance du modèle agricole serviront le développement d’une agriculture intensive en intrants chimiques qui profite beaucoup à quelques-uns mais très peu au plus grand nombre, les alternatives vertueuses resteront minoritaires et ne seront qu’un alibi pour flatter la bonne conscience des plus aisé·es qui peuvent accéder à ces produits. Fort·es de ce constat, nous posons que le programme de recherche de l’Institut doit retrouver du sens.
L’INRAE étant un institut de recherche public, nous souhaitons que les questions de fond soient posées en son sein indépendamment des structures privées : quelle nourriture produire? par qui? pour qui? selon quelles pratiques? selon quelles règles de marché? Il est essentiel que le projet politique de production agricole au service duquel les travaux de recherche d’INRAE sont menés soit explicité en toute transparence. De plus, nous souhaitons que le projet de l’institut, actuellement imposé de manière verticale par les décideur·ses politiques, soit construit dans le cadre d’une relation science-société féconde et ouverte, à différentes échelles de territoire pour définir une souveraineté alimentaire basée sur un choix partagé des productions agricoles, de leur rémunération et de leur distribution.
Parce que ces enjeux qui structurent nos modèles de production agricole déterminent nos conditions de vie de demain, notre contribution au bouleversement climatique, la qualité de nos écosystèmes, l’autonomie et la résilience alimentaire de nos territoires face aux crises à venir et à l’épuisement des ressources, l’INRAE porte une responsabilité envers l’ensemble de la société.
Notre candidature affirme donc qu’il est du devoir de notre institut, comme des autres EPSTs également au service de l’intérêt général, de se positionner comme un contre-pouvoir aux intérêts privés et aux outils de « fabrique du doute » qu’ils déploient. L’INRAE se doit d’assumer et d’affirmer les résultats de ses propres travaux et des consensus scientifiques lorsqu’ils sont méprisés ou détournés à des fins politiques et d’influence de l’opinion, et de défendre activement ses scientifiques qui font l’objet d’attaques publiques de plus en plus fréquentes. C’est en portant haut et fort la voix des savoirs construits sur la base de données scientifiques robustes, fiables et indépendantes de l’influence de groupes d’intérêts, que les institutions scientifiques peuvent donner aux citoyen·nes et aux décideur·ses politiques et économiques les moyens de comprendre le monde et de construire des politiques publiques d’intérêt général.
Une institution de recherche forte et indépendante repose sur le respect de la liberté académique de ses agents et de leur capacité à orienter eux·elles-mêmes leurs recherches. Pour mener nos missions, nous défendons au sein même de l’institut un renouveau de confiance envers les personnels, de tous corps et grades, les plus à même d’insuffler sens, vitalité et créativité à nos productions scientifiques. Autour d’un sens partagé, les trajectoires professionnelles et les collectifs pourront prendre leur essor. Nous donnerons moins de poids aux pilotages centralisés et concrétiserons la simplification administrative souhaitée par toutes et tous.
Les sciences étant des sports d’équipe, notre candidature est collégiale. Plutôt que d’investir une personne seule pour présider l’INRAE, une équipe de personnes, issues du cœur des laboratoires, est la plus à même de porter l’engagement de l’INRAE aux côtés de la société et des citoyens. La présente liste est le reflet d’une première construction collective mais la gouvernance finale souhaitée reste ouverte à toutes celles et ceux qui se retrouvent dans ces valeurs et souhaitent contribuer au débat et à la construction du sens à donner à la vie de l’Institut.
Texte initié par Fabienne Barataud (SILVA, Nancy), Simon Fellous (CBGP, Montpellier), Stéphanie Mariette (BIOGECO, Bordeaux), Elodie Vercken (ISA, Sophia-Antipolis).
Si vous êtes agent·e de l'INRAE, vous pouvez vous associer à la candidature via ce formulaire avant mercredi 19/06 14h: https://framaforms.org/candidature-collective-a-la-presidence-de-linrae-1718123157
… où vous trouverez également la liste des candidat·es à jour.
Pour les personnes qui ne sont pas agent·es de l'INRAE, il est également possible de soutenir la candidature via ce même formulaire.
Contact : candidaturecollectivePDGinrae@proton.me