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Billet de blog 13 mai 2020

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Briser le silence

Il y a des voix qui s’élèvent et d’autres qui ne le peuvent pas. Dans une société où l’on ose enfin dénoncer et libérer des paroles longtemps étouffées, il me semble qu’on en oublie une. La voix des enfants, des jeunes et des adultes qui ont vécu les violences conjugales.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a des voix qui s’élèvent et d’autres qui ne le peuvent pas. Dans une société où l’on ose enfin dénoncer et libérer des paroles longtemps étouffées, il me semble qu’on en oublie une. La voix des enfants, des jeunes et des adultes qui ont vécu les violences conjugales.

N’accorder que si peu d’importance à l’enfant rappelle le maigre statut auquel on les renvoie. Car faisons ce premier constat : l’enfant n’est pas un simple témoin, c’est une victime à part entière. Aujourd’hui ce sont des victimes invisibles.

Renier leur fragilité et leur traumatisme, c’est les condamner à se construire et à grandir. Il faut que l’on reconnaisse l’ampleur des conséquences sur les enfants, les jeunes et les adultes qu’ils deviendront. Il le faut car l’enfant est l’adulte de demain. Celui qu’on ne protège pas est celui à qui on ne donne pas la chance de se développer sereinement.

Je l’ai vécu. Je fais parti de ces millions d’enfants qui savent qu’un mari violent est un père violent. On a attendu. Beaucoup trop attendu. Attendu jusqu’à cette période extrême qu’est le confinement pour lever le voile.

Le voile se lève sur les souffrances engendrées par des années de violence.

Et toutes les victimes vous diront la même chose : ce n’est pas celles physiques mais bien celles psychologiques qui restent.

Les mots humiliants, les insultes, les menaces, la peur, l’abandon nous tourmentent et ne disparaissent pas.

Et ce n’est pas le départ du père violent qui guérit. Car les mots restent.

Cauchemars, insomnies, angoisses, difficultés sociales, difficultés dans le monde du travail, dans nos relations amoureuses sont autant de conséquences qu’on doit porter au quotidien. Autant de traumatismes que nous portons, seuls, car personne ou peu de gens les reconnaissent.

Le huis clos perdure et amplifie nos angoisses face à une société qui nous tait.

Quand nous parlons, nous existons.

La prise de parole est l’acte le plus important en tant qu’individu.
Je rappelle ces mots précieux de Primo Levi :« Même si les mots manquent et ne pourront jamais être adéquats à raconter l’indicible. Même si l’écoute vacille. Même si les autres ne veulent pas ou ne peuvent pas savoir ce qui s’est passé. Le dire, c’est retrouver la dignité et l’identité perdues : rétablir des connexions avec le monde. Le dire c’est pouvoir à nouveau  “être-au-monde” et sortir de l’impuissance dans laquelle il avait été renfermé ».

Aujourd’hui, nous sommes plus de quatre millions d’enfants concernés.

Il faut maintenant avancer. Il faut briser le silence. Car on en peut plus, on en peut plus de se taire pour satisfaire votre système patriarcal.

On en peut plus de se taire pour ne pas coûter trop cher. On en peut plus de se taire car on existe.

Arrêtez de nous laisser sur le bord des débats publiques, arrêtez de parler de nous que comme « les enfants des femmes victimes ». 

Nous sommes des êtres à part.

Nous souhaitons nous construire sereinement. Être protégé, être mise à l’abri, être compris, être entendu. Je n’accepterais plus qu’on nous taise car cela relève d’une injustice qui me semble intolérable. C’est intolérable de ne pas reconnaître nos souffrances. C’est intolérable de ne pas être protégé par la justice. C’est intolérable de ne pas être écouté par la société.

Je crois qu’aujourd’hui c’est la fin de l’omerta. Et j’en suis heureuse.

À notre tour d’élever notre voix.

Camille Schaefer

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