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Billet de blog 4 août 2024

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Lutter contre le RN : la bataille des ancêtres aura bien lieu

La « trêve politique » estivale n'a jamais attendu les JO pour nous engourdir. Les dernières législatives nous ont sonnés de commentaires. De ce tohu-bohu caniculaire, extraire un mot : Ancêtre. Dérouler son fil pour envisager les frontières politiques à passer, avec dans nos besaces, des mémoires élargies.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques années, si je veux me rendre sur  la tombe de mes grands-parents, pieds-noirs espagnols, au Cimetière du Haut Vernet (Perpignan), mon œil doit endurer deux crachats sous la forme de deux stèles mémorielles :

La première dédiée aux soldats harkis rend hommage à leurs « sacrifices consentis ». Là où tout atteste qu’une part non négligeable d’entre eux, a été enrôlée soit par la nécessité matérielle de la solde, soit de force par l’armée française.

La seconde rend hommage « aux fusillés, aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française », mais parmi eux, l’ADIMAD [1] à l’initiative du monument, a glissé les noms de membres reconnus et condamnés de l’OAS.

Cette dernière stèle fait courageusement l’objet d’une contestation annuelle par un collectif d’associations « Pour une histoire franco-algérienne non falsifiée » sous le regard impavide du maire RN Louis Aliot, trop heureux d’hériter électoralement de la politique clientéliste de ses prédécesseurs de la droite républicaine.

Penser avec tendresse à mes ancêtres ici, c’est faire face à deux mensonges historiques, deux mensonges politiques. En soit, rien de bien original… Tout Français dont tel aïeul est mort au front de la guerre 14-18,  se fade le fameux « mort pour la patrie », là où matériellement  tout n’a été que chair à canon pour l’intérêt des grandes puissances impérialistes.

Dès lors, pourquoi à l’heure de cette séquence politique caniculaire, moi femme blanche étiquetée à gauche, que tout dispose selon la formule consacrée à s’inquiéter du « bien des générations futures », je me retrouve avec le mot « ancêtre » collé au ruban à mouches de ma cervelle ?

C’est que ce mot s’invite timidement dans les joutes médiatiques  qui entourent la menace d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement National, pendant  et après la courte campagne électorale des dernières législatives.

 Ainsi, lors du débat du 25 juin 2024, diffusé sur TF1 entre Jordan Bardella, Gabriel Attal et Manuel Bompard, nous entendons :

Manuel Bompard : « Vous savez il y a 19 millions de Français qui ont un ancêtre étranger. C’est un Français sur 4.

Jordan Bardella : «  oui, j’en ai moi-même beaucoup par ailleurs. »

Manuel Bompard : « Vous en avez-vous-même d’ailleurs. Et je dois vous dire Monsieur Bardella, que quand vos ancêtres personnels sont arrivés en France, je crois que vos ancêtres politiques disaient précisément la même chose que ce que vous dites aujourd’hui. Et je trouve ça dramatique qu’aujourd’hui, vous soyez dans la peau de vos ancêtres politiques de l’époque.(…)

Jordan Bardella : « en revanche, vos ancêtres politiques étaient contre l’immigration. Monsieur Marchais le patron du Parti Communiste, il était très opposé à l’immigration parce que cela faisait de la concurrence aux travailleurs français. »

Elle est marrante cette séquence tant elle témoigne de la relative naïveté d’une gauche - ici par la voix de Bompard - mue par son désir de considérer l’écume des raisons produisant massivement  un vote RN.

Le coordinateur LFI tente de pointer ici l’incohérence « dramatique »  - et par là même le conflit de loyauté - qui existerait entre des ancêtres personnels et des ancêtres politiques chez toute personne électeur du RN  d’origine étrangère : en ce sens, cet électeur trahirait l’existence de cet aïeul au profit d’un ancêtre politique qu’il se serait indûment choisi.

Or ce que ne comprend pas l’ensemble de la gauche lorsqu’elle convoque cette rhétorique de l’ancêtre, c’est que les électeurs.rices RN d’origine étrangère, n’ont pas tant à cœur d’honorer la condition odieuse faite à leur aïeul, que d’être les garants du désir de l’aïeul de s’assurer une « vie sûre, bonne et honnête ».  Cette vie-là sous régime capitaliste,  dont l’Occident est le rouage historique, se nomme « blanchité ».  « Blanchité » non comme couleur de peau, mais  comme actualisation d’un horizon politique suprémaciste désirable, comme espoir  d’un kit de survie qui garantirait  une vie à l’abri des agressions capitalistes et racistes parce que  celles et ceux qui y souscrivent, peuvent espérer être les chevilles ouvrières du système capitaliste et raciste à la manoeuvre.  De fait, une personne non-blanche peut tout-à-fait matériellement désirer la « blanchité » pour lui et ses descendants  en tant qu’elle  protègerait du déclassement racial, associé à la régression sociale dont lui et ses ancêtres peuvent ou ont pu être victimes par ailleurs. Ainsi qu’importe que le RN se batte pour l’augmentation du SMIC ou la retraite, tant qu’il garantit le sentiment que le « Français » se trouve en haut de son régime de valeurs.

Lors du débat, le jeune poulain RN ne s’y est pas trompé quand, plus tôt dans la soirée, répondant à la question d’un télespectateur , fils de harki algérien, il répète le fameux mensonge du « choix de la France » auquel le RN ne cesse de rendre hommage, et  de saluer  tous les immigrés  ( dont ceux de sa famille) qui ont fait « un choix exigeant de devenir des Français de cœur et d’esprit, bossent, paient des impôts, parfaitement respectueux des institutions ». Bardella endosse la fable intégrationniste et méritocratique. Or personne,  même à gauche  pour rétorquer que  lors d’un contrôle policier, ce ne sont pas  le « cœur » et «  l’esprit » d’un ancêtre qui sont interpelés, mais bel et bien la couleur de la peau et/ou la religion supposée de son descendant.

Bardella sait qu’il ne peut flatter ad libitum ce mirage sans que le réel ne le  prenne les doigts dans le  pot de confiture d’une identité française reposant uniquement sur la haine de ce qui n’est pas caucaso-chrétien. Il préfère alors renvoyer Bompard lui-même à un autre conflit de loyauté entre  celui qu’il considère être son  ancêtre politique communiste - Georges Marchais - et ses aspirations politiques antiracistes défendues lors cette campagne. On ne peut que saluer la pertinence  de cette saillie  qui s’adresse moins à Bompard  (formé par le Parti de Gauche, lui-même né du départ fracassant de Jean Luc Mélenchon du PS), qu’à tous les anciens électeurs « dégoutés de la gauche », qui en venant grossir les rangs du RN resteraient ainsi fidèles à leur « ancêtre politique » Georges Marchais, du temps où la « gauche n’avait pas encore trahi ». En somme, il dit à ses électeurs : « regardez, nous sommes les héritiers politiques conséquents du PC, pas eux ». Il ne faudrait pas que ces votants retournent au bercail de leurs premières amours électorales.

Bompard ne répond pas… et revient à ce qu’il  maîtrise : l’économie. « l’immigration rapporte de l’argent, elle n’en coûte pas » et vas-y que je te cite les sources scientifiques. Vieille et pénible  antienne. Inefficace tant chaque adversaire politique vient brandir le chiffrage qui servira son propos.

 Il y aurait tant à répondre, tant à revisiter  dans cette histoire peureuse de la gauche avec les travailleurs immigrés.  

C’est Houria Bouteldja qui s’y est collée dans son dernier ouvrage [2] afin d’illustrer ce qu’elle nomme le pacte national racial, concluant précisément  son opus par un dernier chapitre intitulé  le « choix des ancêtres ».  Le 19 juillet  dernier, sur Hors –Série,  dans  un  entretien  avec Tarik Bouafia , elle revient en ces termes sur ce motif.

« Les Français doivent apprendre à accepter d’autres ancêtres. (…) Oui les luttes anti-esclavagistes, oui les luttes anti-coloniales, oui les luttes anti-racistes vous libèrent. Elles libèrent tout le monde. (…) Lorsqu’on fait reculer le colonialisme, lorsqu’on fait reculer le sionisme, lorsqu’on fait reculer l’impérialisme, on fait progresser la fraternité et l’humanité en général. Et personne n’y perd en fait parce qu’on a tous de nouveaux ancêtres et quels ancêtres ! Ceux qui ont lutté contre l’esclavage. Quels ancêtres ! Quelle fierté d’avoir ce genre d’ancêtres ! Quelle fierté d’avoir des anti-colonialistes comme ancêtres ! Et quelle fierté pour nous indigènes de partager les ancêtres des Blancs ! Je veux dire : moi je reconnais Robespierre comme mon ancêtre, je reconnais Louise Michel comme mon ancêtre. On voit bien qu’ici il n’y a pas de barrière raciale. C’est ça la fraternité. On doit créer notre panthéon. Mais c’est à nous de le choisir »

Ainsi à défaut d’ancêtres « personnels » communs, le nous des Beaufs et des Barbares devrait ainsi  s’articuler autour d’ancêtres politiques communs.

On peut retrouver une proposition stratégique  similaire dans les mots prononcés par Olivier Marboeuf  lors du meeting  post-élection « Que Faire ? » qui se tenait à Pantin. Il pointe  la nécessité de synchroniser « nos histoires ». (celles de la métropole et celles des pays ultra-marins), afin de partir d’un socle commun de connaissances en vue des luttes à mener.

C’est là qu’une blanche frilosité me saisit. Car le problème est que pour choisir d’autres ancêtres, les Français  doivent préalablement s’en faire. Se faire des ancêtres personnels et des ancêtres politiques, en articulant leur dynamique historique respective. Or, dans le cœur palpitant de cette gauche blanche dont je suis,  tout à penser les lendemains qui chantent en conviant paresseusement  deux trois noms historiques  porteurs, la question de l’ancêtre (personnel et politique) reste un angle mort.

De fait, en essayant de penser ce que tente de nous dire les deux auteurs décoloniaux, je me  heurte à ce mot ancêtre décidément bien chiant : un poisson qu’on tente de choper à main nue, et qui même lorsqu’on l‘extrait de l’eau vive, tout à l’agonie, soubresaute et vous glisse entre les doigts.

A plus forte raison quand  ledit ancêtre – personnel ou politique - est blanc.

Prenez les comparses communards de Louise Michel, déportés en terre kanak, pour devenir au fil des décennies,   ces Blancs « plantés »,  assurant la présence française sur l’archipel.  Des  ancêtres politiques que l’histoire raciale s’échine  à sculpter en agents de l’ordre colonial.

De même, prenez ces pieds-noirs espagnols républicains qui s’embarquent sur des canots de fortune pour s’échouer  en Algérie française pour là aussi, sous l’égide de l’Etat,  se refaire une petite vie à eux, « une vie sûre,  bonne, honnête et travailleuse » et ce faisant, participer à l’entreprise de peuplement blanc de la colonie. Des républicains espagnols devenus propriétaires terriens exploitant la main d’œuvre indigène.

Pour sûr, Il est plein de chausse-trappes et de funestes  mauvaises  farces coloniales  le mot ancêtre.

Cependant qu’une banalité de petits blancs se manifeste. Il est fort rare que nos ancêtres politiques aient les mêmes traits que nos ancêtres personnels. Ces derniers font rarement partie des « grands noms » qui ont fait l’histoire, qui ont été au rendez vous de celle-ci. Nous sommes souvent le fruit de gens, sans gloire et sans fait d’armes, dont l’existence a compté  de timides  pas de côté auxquels nous arrimons l’amour que nous leur portons et dans lesquels nous voyons les germes d’une rébellion avortée. Pour les petits  blancs que nous sommes, nos ancêtres personnels  sont souvent le petit bourrelet silencieux de l’histoire coloniale, indispensable à la poursuite bonhomme de l’ordre mondial raciste, capitaliste, impérialiste.  

Charge dès lors à nous d’organiser notre trahison politique en repensant à leur silence, à leur dos rond, à eux  qui tentaient de passer entre les balles d’une parole politique trop révolutionnaire, qui espéraient que dans l’ombre fleurie d’une cour cimentée de soleil, rien ne bouge. Nous devrions trahir leur désir de statu quo pour vomir ce que les grandes puissances ont entendu faire d’eux et entendent faire de nous.

Ils sont nos ancêtres. Ils sont nos familles qui votent RN, qui espèrent par ce choix électoral  rendre justice à nos ancêtres communs.  Nous aimons nos ancêtres, nous aimons nos familles… et nous devrions les trahir dans  leur désir de figer le bonheur matriciel de cet  entre-soi blanc dans lesquels ils nous ont nourris et bercés si tendrement.  

Mais trahir… Est-ce un mot pour nous les petits blancs ? Trahir, c’est bon pour le bourgeois qui veut trahir sa classe. L’éditeur François Maspero s’en délectait avec gourmandise devant la caméra de Chris Marker. Aurélien Barrau s’y aventure. Ce mot a quelque chose de frontal, d’héroïque, d’incisif et de jouissif tant il se présente comme la  transgression ultime face à un ordre dominant nécrosé… et  comme le gage d’une création à venir.

Mais ce mot-là est trop grand pour nous les petits blancs. Les nôtres sont tout au plus les agents de guingois et  mal fagotés de cet ordre. Mieux encore, les trahir est le processus de rupture  attendu par  un système néo-libéral qui préfère se frotter à des individus sans attache, plutôt qu’à des communautés qui se tiennent. 

Ces ancêtres qui nous obligent, sont à  la lettre, « ceux qui marchent devant, les membres  d’une avant-garde militaire,  des prédécesseurs… et par extension nos ascendants ». 

Face au vote que nos ancêtres attendraient et que certains membres de nos familles endossent, nous petits-blancs, sommes appelés à être des objecteurs de mémoire comme il y  eut des objecteurs de conscience et ce faisant, sommes appelés à devenir non des traîtres aux nôtres mais des contrebandiers, en tant que nous contre-bandons l’arc de notre destin politique , afin que les nôtres cessent de payer la taxe de la « blanchité » imposée par l’Etat,  afin que leurs « vies bonnes, sûres et honnêtes » , ne puissent plus se déployer sous le sceau dégueulasse de la hiérarchie des peaux et des dieux.

 Des objecteurs de mémoire qui ne déserteront jamais l’amour des ancêtres, fussent-ils des héros, des riens du tout, ou les forts peu glorieux petits  bénéficiaires des pullulantes  zones d’intérêt.  

Contrebande et amour. Dans un même mouvement. Jamais l’un sans l’autre. Deux rênes à tenir ferme.

Cette prise en main concrète, sans chouinade ajoutée, est le fondement à partir duquel notre focale  peut  s’élargir sur d’autres horizons,  et  laisser entrer  dans notre champ mémoriel des ancêtres politiques non-blancs, artisans des résistances , des luttes, et des révolutions qui ont permis la mise en échec – même temporaire - de l’ordre colonial qui aliène encore l’anc-être colonisé et l’anc-être colonisateur.

Aimer les nôtres. Soigner l’art de la contrebande. Epargner à nos morts l’infâmie d’être les  alibis des massacres en cours.  

Illustration 1
Arrestation de contrebandiers à la frontière en Haute-Savoie

[1] Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l'Algérie française adoubée par le Général Salan

[2] Beaufs et Barbares , le pari du nous. 2023 Editions La Fabrique

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